Le nouveau Claire Castillon s’apprête à venir ensorceler les rayons des libraires en janvier 2006. Après avoir exploré les malaises de la féminité de l’enfance à l’âge adulte (« Vous parler d’elle » en 2004), l’écrivain au visage angélique et à la plume d’arsenic a choisi de sonder les méandres de la relation mère-fille… Et de s’interroger sur « l’instinct maternel », le rôle d’une mère ou encore l’amour maternel… Elle utilise pour cela la forme de la nouvelle qui s’approche souvent de la fable cruelle. Un ouvrage qualifié de « dérangeant » par son écho toujours juste malgré les situations improbables (voire insoutenables). On aurait parfois envie de rire, mais il est finalement difficile d’y parvenir car l’humour noir et cinglant est omniprésent. Claire Castillon frappe fort, avec une écriture sans retenue.
La première nouvelle intitulée « J’avais dit une » annonce d’emblée la couleur. Car il ne s’agit pas là de coupes de champagne ou de cigarettes. Il est question d’une enfant. Dépourvue d’un désir quelconque de maternité, cette femme va finir par céder à la demande de son mari à la condition d’en n’avoir « qu’une ». Ironie du sort, elle tombera enceinte de jumelles dont elle ne veut pas, elle pense à en « supprimer une » mais garde finalement les deux et, finit par jeter l’une d’elles sur le périphérique. « J’avoue ne pas être contente de mon geste car j’ai jeté la plus sage », confiera la maman. Les dix-huit nouvelles sont du même accabit. Inceste supposé, cancer mal géré, suicide au suppositoire, refus de l’âge, adultère, dopage… Jusqu’aux situations les plus loufoques comme un combat de catch féminin dans un océan de choucroute. L’écrivain passe avec agilité de l’ignominie au burlesque pour brosser une galerie de portraits inattendus de mère indifférente, abusive, castratrice (Ma meilleure amie) voire criminelle (Münchhausen par procuration), femme accouchant délirante (Un bébé rose), fille indigne (Un anorak et des bottes fourrées) et même meurtrière (Se battre).
« J’aime décrire les existences et j’aime m’attarder dans les maisons tristes, les têtes mal nouées. Ces choses là ne sont pas monstrueuses, elles sont vivantes.
Quelques phrases :
« Elle part avec son pantalon qui traîne par terre et qui cache ses chaussures. Je me dis que dans quelques mètres elle se prendra les pieds dedans et tombera dans sa nouvelle vie sans que j’aie même besoin de la pousser. »
« Une histoire pour chaque noeud, en marine c’est comme ça, et dans la vie aussi, le noeud est dans l’histoire. »
« Elle est belle, au-dessus de mon berceau, devant l’école, dans la voiture garée au coin, et puis maintenant, vingt ans plus tard, dans le café où elle m’attend pour boire un thé, vert, c’est à la mode, il paraît que ça peut faire maigrir, alors elle essaye, des fois qu’elle perde un os ou deux. »
Dans « Insecte », même si le traitement par l’absurde est récurrent, il est aussi question d’amour, de tendresse, de peur de perdre… », explique t’elle. Quant à la réaction de sa mère ? Elle dit que celle-ci a compris à quel point elle aurait peur de la perdre et de vivre sans elle.
Pour l’auteur « la nouvelle est un noeud qui doit se nouer très vite. On attrape un personnage à un moment de son existence, on en manipule un ou deux aspects, et ensuite on le relâche. Dans mes nouvelles, je suis le chef d’orchestre. »
Présentation de l’éditeur: Insecte évoque les rapports entre les mères et les filles. Dix-neuf nouvelles qui sont l’expression libre de sentiments intenses, de pensées fulgurantes, irréelles quelquefois, qui s’installent pourtant sans relâche dans la tête des mères et des filles. Dans ces nouvelles, les pensées fugitives deviennent des récurrences, des poids, des raisons de vivre. La mère est un insecte et la fille son insecte. Vice-versa. Mante religieuse, lézard ou coccinelle, les femmes étudiées à la loupe ont sans doute des vies à facette.
Les nouvelles d’Insecte : Ma fille est ma meilleure amie ; mon père n’est pas méchant maman ; arrange-toi, tu es déguisée ; ma mère est bête ; ma fille est idiote ; j’aime encore mieux que mon mari me trompe avec notre fille ; ma fille est née dans une rose mais périra dans le chou ; ma mère a un cancer, elle m’énerve ; ma mère se laissait tellement aller qu’elle est morte.
Extrait Nouvelle « Se battre » :
« Comme j’aimerais lui planter des aiguilles tout autour des chevilles, j’aimerais qu’elle saigne, se vide et disparaisse, oui j’aimerais la manger et la rejeter après, ou enfiler ses bottes et cogner dessus. Elle écrase son mégot par terre, avant de l’envoyer un peu plus loin du bout de sa grole. Je continue à faire mes arrondis. Elle crache alors à quelques centimètres de mes doigts. _ Au fait, me dit-elle, je pars vivre avec papa.
_ Très bien.
_ Tu t’en fous ?
_ Non, non.
_ Si, tu t’en fous.
Ce n’est pas exact. Je ne m’en fous pas, je suis folle de joie. Mais comment le dire sans me prendre une énième mandale puisqu’il s’agit d’avouer quelque chose qu’elle n’apppréciera sûrement pas. [ … ] Et là, soudain, je dis, sans m’en apercevoir :
_ Oui, je m’en fous, ça me fait même très plaisir. Quant à tes bottes, elles sont absolument aussi distinguées que ta belle-mère. Je souhaite que ses chiens fassent dedans et te prie de partir maintenant.
_ Après mon ourlet.
_ Tu as grossi. Tu as de grosses fesses. Allez, ma grosse fifille, file.
_ Couds, vieille conne.
Alors je me relève, malgré mes deux bras plâtrés, et je lui crache à la figure. Elle baisse le nez pour que je ne voie pas ma salive couler comme une grosse larme sur sa joue. Elle part avec son pantalon qui traîne par terre et qui cache ses chaussures. Je me dis que dans quelques mètres elle se prendra les pieds dedans et tombera dans sa nouvelle vie sans que j’aie même besoin de pousser. »
Source: Fayard
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