Génération X de Douglas Coupland fait partie de ces petites bibles, de ces guides de survie qui vous donnent soudain l’impression d’y voir clair. Ces livres qui renversent les perspectives et soulèvent le voile poussièreux du prêt-à-penser. Publié en 1989 par Douglas Coupland alors jeune auteur canadien pour la presse, le roman, initialement un feuilleton dans le Vancouver Magazine strictement alimentaire, n’a rien perdu de son actualité. La génération Y ou Z s’y retrouvera. Et c’est même un pur bonheur de le relire régulièrement et de s’émerveiller de l’avant-gardisme de l’auteur, de sa lucidité et de son humour à la fois cynique et tendre.
Difficile de chroniquer ce livre dont on aurait envie de citer chaque phrase ou chaque tête de chapitre…
Pour résumer, il dresse le portrait de trois enfants de la révolution post-soixante huitarde, « nés après la bataille », après l’âge d’or…
Une génération coincée entre les modèles de réussite matérielle exhibée par les baby-boomers (leurs parents) et l’envie de se réaliser vraiment.
Dag, Claire et Andy en sont les trois (anti-)héros, trentenaires, à la recherche de nouveaux repères et bien décidés à ne pas « collaborer » ou « à jouer le jeu ».
Retirés dans des bungalows rudimentaires à Palm Springs (« petite ville où des vieux essaient de se racheter une jeunesse et quelques barreaux à l’échelle sociale »), ils ont tous fui leur destinée toute tracée de parfait yuppie de publicitaire ou de courtier… « Nos systèmes centraux avaient disjoncté, brouillé par l’odeur des photocopies, du correcteur, le parfum des titres de bourse et le stress sans fin des boulots absurdes faits à contre-coeur et sans gloire. »
Vivotant de petits jobs ou « macjobs »* comme ils les surnomment (vendeuse, barman…), ils déroulent leurs journées paresseuses autour des piscines de leur quartier, de pique-niques dans le désert, de soirées où ils réinventent le monde et maudissent le bourrage de crâne social. Cultivant leur successphobie (« peur que le succès ne fasse oublier les désirs personnels et donc rende incapable d’assouvir ses rêves d’enfance« ), ils interrogent leurs anciens collègues : « En quoi méritons-nous nos crèmes glacées, nos chaussures de jogging et nos costumes italiens pure laine ?« . Des collègues qui n’auront jamais « les trips de vivre la liberté absolue », « effrayés par l’absence de règles« . Bref une recherche de du sens à leur vie plutôt que de remplir leurs comptes bancaires et leurs appartements, sur un air de la fable de La Fontaine (peut-être le précurseur ultra précoce de ce mouvement après tout !): Le loup et le chien ((1668-1694) où le premier incarne la liberté et l’indépendance au prix d’une vie rudimentaire et le second le confort matériel au prix d’un asservissement.
Rappelons nous ces quelques vers finaux et fatals:
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu’est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu’importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
Leur programme pour les décennies à venir ? Rien…et surtout pas de plan de carrière ou de crédit immobilier ! Chapitre après chapitre (aux titres en forme de credo : « Je ne suis pas un coeur de cible », « Quitte ton boulot », « Mort à 30, enterré à 70 », « Acheter n’est pas créer »…), Coupland démonte, dans un style vif et hilarant, la mécanique hypocrite du système et les mesquineries de la vie de bureau.
Outre l’originalité et l’audace du propos, la forme du livre est elle aussi innovante puisqu’elle reprend, dans les marges, les illustrations pop d’origine signées Paul Leroche, accompagnées de notes parodiant les études sociologiques ou d’aphorismes subliminaux. Coup de coeur pour : La « substituion de statut » qui consiste à « se servir d’un objet à profil intellectuel ou mode pour faire contrepoids à un objet qui ne vaut que du fric : « Brian, tu as laissé ton exemplaire de Camus dans la BMW de ton frère. »
Un roman culte, fondateur, à lire et relire, qui préfigure le succès de romans des années 90 tels que « Haute fidélité » de Nick Hornby, « Fight Club » de Chuck Palahniuk et sa devise « Les objets que nous possèdons finissent par nous posséder » et même « American Psycho » de Bret Easton Ellis dans une certaine mesure (pour le côté satire des milieux ultra friqués de Manhattan). Côté français on pense à Djian ou le plus récent « Libre, seul et assoupi » de Romain Monnery qui s’inscrit dans cette veine.
Un roman qui encore une fois conserve toute sa pertinence aujourd’hui, à l’heure de la« décroissance » où les consultants en stratégie se « déclassent » volontairement pour s’exiler en campagne profonde pour devenir boulanger, ouvrir un gîte au vert ou encore les avocats qui deviennent écrivains…
Le « modèle » de réussite sociale aurait-il fait son temps ?[Alexandra Galakof]
*Mcjob : « boulot à petit salaire, petit prestige, petite dignité, petit profit et sans aucun avenir dans la branche des services. »
7 Commentaires
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les illuces sont excellentes !!!
je me suis toujours demandé si ce livre était un éloge du nihilisme ou de l’insouciance…
oui et avant Coupland ou Palahniuk, il y avait Gide qui disait "Tout ce que tu ne sais pas donner te possède."
(Les nouvelles nourritures)
A méditer 😉
Vivre complètement marginalisée quand on a fait des études et qu’on aspire à une certaine réussite paraît assez utopique voire naif en effet. C’est le mythe du bon sauvage version XXIe siècle.
Il est vrai que l’on subit souvent un certain conditionnement souvent depuis son âge pour construire une carrière, une famille censé représenté le modèle social idéal..
Diifile donc de tout abandonner, sans compter les regards réprobateurs de son entourage à assumer en conséquence !!
J’adore le terme de "McJob"!
Fan de Bret easton ellis, et ayant apparemment la même philosophie que l’auteur, c’est un livre qu’il faut mettre dans sa bibliothèque, ou encore mieux, le prendre dans son sac de voyage!
Je ne connaissais pas ce livre, sinon de nom. Tout comme mindart, je reconnais des références qui me sont chères dans cette chronique fort bien menée – bref vous m’avez convaincu de lire Génération X !