Près de neuf ans après la parution de son premier roman, Les actifs corporels, Bernard Mourad a fait bien du chemin et vient de prendre la tête du nouveau groupe média « Mag & News Co » qui regroupe notamment L’Express et Libération. Il prépare aussi une pièce de théatre. A cette occasion, retour sur ses débuts de romancier en 2006…
Tout a commencé par une curiosité pour ce titre prometteur et ambigu Les actifs corporels, évoquant une auscultation subtile de notre époque et de notre société. Ont suivi quelques recommandations appuyées de ci et de là. Le parcours de l’auteur est aussi atypique : un trentenaire au profil de premier de la classe, diplômé de Science po et HEC et… banquier. Inaugurant une nouvelle vague de roman d’anticipation dystopique à la française (en évitant l’écueil de singer les classiques du genre américain), il imagine un monde terrifiant où tout a un prix y compris les humains, qui à l’instar du marché boursier, peuvent se valoriser ou se dévaluer jusqu’à leur aliénation. Entre humour satirique et inventivité parfaitement maîtrisée, le jeune auteur signe ici un premier roman à la fois glacial et captivant. Mise à jour 2007/08 : sortie en poche du roman dans la collection « J’ai lu Nouvelle génération ». Une traduction en Allemagne (sous le titre « Kauf Mich » – « Achete-moi ») est sortie l’an passé tandis que l’espagnole et la coréenne sont en cours. Son deuxième roman toujours dans une veine d' »anticipation réaliste » est sorti en avril 2008 : « Libre échange ».
A mi-chemin entre roman d’anticipation et satire socio-économique, « Les actifs corporels » constitue une fable futuriste intelligemment conduite et construite. Un genre où les français excellent peu d’ordinaire mais il est vrai que l’auteur, cosmopolite, est né au Liban et vit « entre Londres et Paris »…
L’histoire ? Alexandre Guyot, brillant consultant parisien de 32 ans est le premier être-humain à être coté en bourse, marquant l’avènement d’une « Nouvelle Economie Individuelle » ou « personnalisme ». Une idée originale, même si David Bowie y avait pensé avant lui ! Désormais tous ses faits et gestes feront varier son cours, qui s’affiche en permanence à son poignet, sur sa « price watch ». Son corps et son âme seront alors régulés par les lois du marché et par les volontés de ses actionnaires. Aucun faux pas ne lui est plus permis pour atteindre les performances attendues.
Mais c’est sans compter avec les aléas du destin : le suicide de son ex ou encore les assauts sexuels de sa redoutable collègue : Laurence Kellerman… Frôlant la caricature (une célibattante, bête de travail), cette dernière n’en reste pas moins un des personnages les plus savoureux du récit même si l’image qu’elle donne de la féminité est déplorable… Car la plume du banquier n’est pas tendre et ne se prive pas de brocarder au passage la faune du micro-système financier : avocat omnipotent, PDG mégalo, jeune requin-fayot frais émoulus de HEC, auditeurs abrutis de chiffres et de slides powerpoint… Il en dresse des portraits caustiques et corrosifs, souvent très bien vus. Seule l’attachée de presse, Estelle Dupuis, trouve grâce et incarne à la fois la beauté du corps et de l’esprit.
L’écriture est élégante, parfaitement maîtrisée, ménageant ses effets au travers de tournures efficaces et de descriptions fouillées. Mais l’ombre des maîtres, Bret Easton Ellis ou encore Houellebecq (qu’il cite d’ailleurs dans le roman), planent et affadissent son style qui laisse parfois un goût de « pâle copie ». Du moins au cours des 90 premières pages. Ensuite l’auteur s’en affranchit et donne vraiment de l’ampleur à son intrigue ainsi qu’à ses personnages qui gagnent en épaisseur (même si les motivations du héros restent obscures).
Et c’est avec une belle inventivité qu’il pousse la logique boursière à l’extrême et livre ainsi, contre toute attente, une superbe métaphore des rapports amoureux, sociaux et professionnels. Décrivant un monde où les mariages deviennent des fusions-acquisition, les enfants des filiales d’une société-mère et les vengeances amoureuses des OPA hostiles…
Les théories financières deviennent des allégories de la vie humaine comme cette définition du marché efficient où « le prix révèle une vérité singulière aussi provisoire qu’absolue, aussi furtive qu’incontestable. Point de convergence d’une histoire assumée et d’un futur probabilisé, le prix reproduit par construction une version instantanée de l’être. Ce à quoi se résume toute existence individuelle saisie à l’instant T : une mémoire et une espérance. »
On se régale de ces démonstrations financières subtiles qui finissent par devenir presque poétiques… Ou même philosophiques lorsqu’il s’interroge sur les fusions et les vertus des « synergies » soit la « magie du couple » reposant sur l’axiome « Toutes choses égales par ailleurs, l’union quelqu’en soit la forme, est fondamentalement supérieure à l’état de solitude. »
Bref, un roman qui décomplexe la littérature d’anticipation française (résistant même à la tentation de fuire l’hexagone pour placer son action à la Défense, boulevard Haussmann ou avenue Montaigne…) et rassure sur les capacités d’innovation de nos jeunes auteurs !
Pour commander votre exemplaire au format poche de « Les actifs corporels »
Vous pouvez lire un extrait de « Les actifs corporels » dans la rubrique « Tranche de livres ».
La chronique sur son deuxieme roman « Libre échange » paru en 2008.
A propos de Bernard Mourad :
Bernard a consacré une partie de ses nuits et de ses we à l’histoire des Actifs corporels. Selon lui « il s’agit d’un roman d’anticipation, pas d’un récit réaliste ou d’une autobiographie ». Il a deux autres projets de roman en cours mais n’entends pas délaisser sa carrière de banquier d’affaires : « Choisir entre mon travail et l’écriture serai aussi absurde que de me demander de trancher entre ma vie amoureuse et ma vie professionnelle », dit-il. (Source : L’Expansion) > ajout du 28/02/2006
24 Commentaires
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C’est en effet une belle métaphore conduite avec maestria, sur la marchandisation des corps humains. Le corps humain est une marchandise comme une autre, nous montre l’auteur, en démontant ce dernier tabou. Mais il n’est point besoin d’être coté en bourse pour s’en apercevoir, il n’y a qu’à faire un tour dans les bureaux des esclaves modernes du tertiaire. Nous sommes tous aujourd’hui des matricules dont notre seule valeur est de pouvoir faire du profit au nom du grand saint capital.
Vous n’avez pas parlé de la chute du livre. Et quelle chute. Une vraie chute digne de ce nom (les auterus sont souvent très paresseux sur les fins de leurs romans). Alors bravo à ce jeune romancier, ce "jeune espoir du roman français" et espérons que d’autres suivront.
j’en ai pas entendu parler. que pensez-vous sinon de valérie tong cuong ? son dernier noir dehors, est raté paraît-il mais ferdinant et les iconoclastes était pas mal dans le genre satire socio-eco sur fond de croissance de profit.
Oublie tuong cong et va acheter Les actifs corporels. C’est vraiment un bouquin fabuleux – bien vu le buzz ! – je l’ai acheté ce matin et je l’ai lu d’une traite. Captivant, drôle, un style très maîtrisé. Ca sort vraiment de l’ordinaire. Chapeau la jeunesse….
Oui, l’un des meilleurs bouquins de la rentrée.
Et quel était l’article qui accompagnait la photo ?
Une (bonne ?) critique/interview ?
Pour l’instant, pas vu une seule mauvais critique.
Pas vraiment une critique, mais un article sur les cadres-écrivains…
Effectivement Buzz, pour l’instant, je n’ai vu que de très bonnes critiques.
Après Googlisation intense, je vous informe que l’auteur passe à l’émission de Daniel Picouly vendredi prochain sur France 5… Miam.
RECTIF : j’ai trouvé une critique négative…
"le style un peu pataud de l’auteur" sur WANADOO.
J’aurais plutôt dit, style un peu trop lisse. Reproche mineur (mais il en faut toujours).
Glané sur le net, l’interview réalisée pour un magazine d’étudiants journalistes "Ipjmag":
Bernard Mourad décrit dans son premier livre d’anticipation l’emballement, terrifiant mais vraisemblable, du monde de la finance qu’il côtoie au quotidien.
Un code barre, tatoué sur une poitrine d’homme. Bernard Mourad voulait une image bien précise pour la couverture de son premier roman, Les actifs corporels. Son personnage principal, Alexandre Guyot, incarne le premier être humain à s’introduire en bourse. Experts gesticulants, ministres perclus d’ambition, le microcosme des finances et de la communication entame un manège dont Alexandre va bientôt se retrouver prisonnier. Car une fois coté en bourse, l’individu devient un produit comme un autre, objet d’analyse et condamné à la rentabilité.
Bernard Mourad, ancien élève de Sciences-Po et d’HEC, aujourd’hui banquier d’affaires, connaît tous les ressorts du fonctionnement des marchés. Sans la condamner, il s’est juste amusé à pousser la logique du libéralisme à l’extrême. Le roman d’anticipation bascule dans l’ironie glaçante lorsque de plus en plus d’individus se lancent dans la « nouvelle économie individuelle ». La propre mère d’Alexandre Guyot siège ainsi à son conseil d’administration, tandis qu’une collègue desséchée lance une l’OPA pour le forcer au concubinage.
Une histoire originale, un style grinçant, Les actifs corporels ne sont pas l’œuvre d’un professionnel de la littérature. Né au Liban, Bernard a grandi en France. De ses origines méditerranéennes, il a gardé le teint mat et l’élégance de la tenue. Sandwich jambon-beurre, ballon de rouge et cigarette, la pause déjeuner du trentenaire semble sortie d’un cliché pour touristes américains. Parisien modèle, avec le français comme langue maternelle, Bernard se sent tout de même plus proche des auteurs anglo-saxons, « qui n’hésitent pas à chercher des idées originales, à raconter une histoire, et pas juste à rester dans l’introspection ». Confronté professionnellement aux exigences des marchés, il s’est amusé à décrire ce que ces mécanismes feraient d’un être humain. La barrière morale levée, l’imagination peut s’engouffrer dans son texte.
Une critique à la Beigbeder
Bernard boucle son manuscrit en moins de six mois, à la faveur de nuits de sommeil raccourcies. Les petits colis partent pour les maisons d’éditions. Dès lors, « c’est passé dans la quatrième dimension », sourit le jeune auteur. Autrement dit, l’heureuse surprise de se retrouver avec « un bon ratio de réponses positives ». Costume bleu marine, ordinateur de poche et lunettes fines, Bernard garde les attributs de l’expert de la finance. Sans cacher qu’il a parfois un peu de mal à rester concentré sur les chiffres de la bourse depuis que son livre a été publié, « livré au public ».
Au comptoir du café Varenne, Bernard a laissé un exemplaire de son livre pour un autre fidèle des lieux. Frédéric Beigbeder a pu retrouver dans Les actifs corporels un sens féroce de la formule, ainsi que la critique désenchantée d’un univers lui-même sans pitié. Les droits du roman ont déjà été achetés en Allemagne. Par ailleurs l’ouvrage se prêterait facilement à une adaptation filmique. Pour Laurent Laffont, directeur éditorial chez Lattès, « Bernard Mourad n’est pas l’homme d’un seul roman. Je sais qu’il a d’autres idées, et je lui fais confiance pour qu’elles soient aussi originales ». Le banquier d’affaires serait ainsi devenu une valeur d’avenir sur le marché littéraire.
Mesdames, vous en savez un peu plus à présent! lol
je trouve cela très intéressant et je suis entièrement d’accord avec l’adaptation ciné. J’avais un vrai film qui se déroulait dans ma tête au fil des pages. Je verrai bien Valérie Lermercier dans le rôle de Laurence Kellerman et Benoît magimel dans le rôle d’alex.
Dis nous Bernard, est ce que ta relation avec ta mère a inspiré le personnage de la maman d’alexandre. Avoir des actions de son fils, n’est ce pas une manière de garder le contrôle sur lui?…..lol
Bien vu ! Ce rôle de mère est étrange, voire odieux.
Il y a sans doute quelque chose de freudien là-dessous à éclaircir !
Peut-etre que Picouly lui posera la question ce soir !… (je vous rappelle que l’émission est sur France 5 à 20h55).
Je confirme. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas dévoré un livre. Français de surcroît. Il y aurait juste quelques longueurs qui auraient pu être coupées.
Bon ben moi, j’ai vu l’émission, et je crois bien que je suis amoureuse !!!
Ce garçon a toutes les qualités !
Interview le 12 mars soit dimanche prochain :
http://www.radiofrance.fr/chaine...
Et pour ceux qui la louperaient, l’émission peut être écoutée ensuite sur le site.
Moi, ce qui me marque vraiment dans ce bouquin, c’est le malaise latent… On rit beaucoup, on entre dans le côté loufoque de l’histoire, et puis on en sort comme glacée, terrorisée… C’est pour moi le vrai tour de force de l’auteur… Il arrive à rester tout du long à la frontière du rire et de l’angoisse, cette frontière sur laquelle nous marchons si souvent… Il est parfois difficile de distinguer un éclat de rire d’un cri de douleur…
Et hop !
D’abord bravo, le buzz fonctionne à ce que je vois…
Ensuite merci : j’ai consacré une partie de ma nuit à la découverte de B.M., et m’y replonge "asap".
NB : cette excellente idée de départ a déjà un fondement (presque) réaliste avec le site "BlogShares.com"… Du coup j’ai foncé racheter quelques actions de mon blog, histoire d’atteindre une minorité de blocage ! 😉
A suivre…
Merci le buzz de m’avoir fait découvrir ce jeune auteur.
Quel régal de bouquin !
Je l’ai commencer a 18h hier, j’ai annulé un diner (avec mon ex) et je ne l’ai pas laché jusqu’au dernier mot aux alentour de 3 h du matin !!!
J’ai lu les commentaires ci-dessus et je suis assez d’accord – entre rire et désespoir glacial, parfaitement mené du début à la fin.
Très belle chute qui plus est, on est vraiment tenu en haleine jusqu’à la dernière page.
Je suis heureux de constater l’enthousiasme partagé sur ce bouquin.
J’ai été un "early adopter" de Mourad, par pur hasard (un conseil de mon libraire, très emballé).
Mon interprétation du bouquin est plutot "psycho-économique" : via les processus de marché (transparence, etc.), c’est l’hypocrisie du monde qui se retrouve dévoilée, quantifiée, chiffrée : un tel gagne/vaut tant, pense-t-on fréquemment sans le dire… Or, dans le monde que décrit Mourad, tous ces tabous sont étalés sur le marché via le prix qui fluctue, selon les informations et la perception de la personne…
Un roman très puissant. Je suis fier (et surpris) que ce soit un auteur français qui ait eu le premier cette idée géniale !!!
Oui, ce livre se lit d’une traite. Et à la fin la sensation de laisser avec regret un héros auquel on s’est attaché (une sensation assez récurrente apparemment, donc un tome 2 des Actifs corporels serait peut-être une bonne idée (itinéraire du fils… ?) !). L’idée de base est en effet très bonne même si faire tenir la route au récit ensuite n’était pas gagné. Est-ce lié ou non mais on pourrait aussi y voir un prolongement des émissions de téléréalité où le candidat vient se vendre en direct au public qui décide ensuite de son sort.
Je partage avec beaucoup ici ce mélange subtil de sentiments générés à la lecture de ce roman; Celui qui m’a le plus marqué a été ce curieux sentiment d’abandon et de solitude qui m’a envahi le lendemain de la nuit où j’ai fini de le lire; je m’étais tellement attaché au héros , que de savoir que je n’aurai plus de ses nouvelles m’a perturbé pendant 48h…comme si j’espérai inconsciemment un "actifs corporels 2; ou le retour d’alexandre" lol
pas sûr que ce lien fonctionne, mais c’est le fichier realplayer de son passage ce jour à la librairie francophone, sur la radio suisse romande. Mesdames, si vous ne voulez pas entendre (ou écouter) les infos suisses et l’écrivain quebecois, allez directement aux alentours de la 41ème minute, et vous aurez l’audio de votre favori du moment…
real.xobix.ch/ramgen/rsr/…
Drjack je n’arrive pas à ouvrir le lien.
Je vais me contenter d’écouter France Inter aujourd’hui a 17h !
A noter qu’il a jamais fait khagnes et hypokhagnes…Sciences po (avec un 18/20) à la dissertation de culture générale au concours d’entrée, même note qu’un certain ….Alain Minc, quelques années plus tôt….puis HEC….C’est déjà pas mal….J’aurai bien aimé faire autant…
Assez d’accord que le journaliste l’embarque sur un discours économique qui ne met pas suffisament en valeur le livre.