« Dans la vraie vie » d’Héléna Villovitch, arrivée sur la scène littéraire en 1998, l’auteur a rapidement séduit la faune des lecteurs « intellectuels précaires branchés » qu’elle incarne (cette graphiste-plasticienne-cinéaste a longtemps sauté de job en job) et raconte à merveille. D’autres lui ont au contraire reproché un certain snobisme parisianiste… Mais finalement, ces mésaventures de trentenaires instables trouvent une certaine universalité qui concerne toute la « génération précaire » des années 90 et 2000, adepte du zapping, pour qui « l’amour dure 3 ans » voire 3 mois…
Souvent à la première personne du singulier, elle excelle dans l’art des « petites histoires » comme elle les appelle. Autant de tranches de vie inspirées de ses propres expériences quand elle arpentait en tant que graphiste intermittente les grosses agences de communication entre La Défense et la Plaine-Voyageurs.
Elle croque ainsi à merveille le monde sinistre des rats de bureau et leurs quotidiens, frustrants, rythmés par les pots, « le cabillaud au fenouil au restaurant d’entreprise » et les petites mesquineries entre collègues. Le tout avec une pétillance ironique qui reste toujours bienveillante et ne manque pas de faire sourire ou rire !
– « Je croyais que tu avais arrêté de fumer, s’étonne Térésa.
– J’ai arrêté d’acheter des cigarettes répond Nicolas. »
Dans la vraie vie son quatrième recueil paru en 2005 se situe dans la veine de son premier roman « Je pense à toi tous les jours » (en moins « arty-branché »). Elle y met en scène des personnages trentenaires instables en quête d’eux-mêmes, d’une attention, d’une existence, d’un vrai travail, d’une vie sociale, d’un amoureux pour la vie ou la nuit…
A travers les yeux d’une héroïne-double de l’auteur ou cette fois-ci, nouveauté, de héros (homosexuels*), elle décrit par exemple comment un jeune homme héberge les parents baba cools d’un ami et s’aperçoit « qu’une génération qui n’est pas la sienne est en train de conquérir l’immortalité pendant que les plus jeunes s’échinent à chercher leur place dans une société qui ne veut pas d’eux », comment une intérimaire enchaîne les missions, court après ses tickets de cantine, tente de se souvenir de ses collègues « lunettes carrées, brosse grise, doigts noueux » et cohabite un temps avec quelques amoureux croisés ici et là mais une question demeure : « Qu’est ce que tu vas faire ? » …
Certaines nouvelles se teintent même d’une dimension kafkaïenne ou fantastique comme celle où une jeune femme, en route pour un entretien, se retrouve à errer (éternellement ?) dans une gare, après avoir accumulé les malchances et perdu son sac ou encore mieux dans A bout de souffle, comment un groupe de fumeurs tente de résister à « la chasse aux sorcières » qui leur est faite (avec des passages hilarants sur les bienfaits du tabac : « Au collège j’ai remarqué que c’étaient les élèves les plus intéressants qui fumaient »).
Notre coup de coeur : la nouvelle ayant donné son nom au recueil Dans la vraie vie qui traite des rencontres par Internet sous un angle inattendu et finit par devenir une allégorie des rapports féminins ambigüs au bureau et du malaise lié à l’incompréhension hommes-femmes.
Quoi qu’ils fassent les héros « villotchiens » finissent toujours par déraper, non sans une certaine grâce en dépit de la banalité voire du pathétique de leur situation.
Infiniment moderne, Héléna s’échappe des codes traditionnels et montre des relations faites d’entrechocs et non plus de rencontres, dévorées par le monde du travail et reprenant même ses principes (rentabilité, durée, modalités…). «Je possède trois téléphones et je n’ai rien d’important à dire. Deux mille CD et pas le temps de les écouter. Un abonnement à un club de gym et la flemme d’y aller. Un boulot super-intéressant et l’angoisse de passer les trente prochaines années de ma vie coincé entre une moquette gris foncé et un faux plafond en dalles microperforées.»
Ce thème, récurrent chez l’auteur, l’intéresse beaucoup : « Je lis généralement tous les articles ou rubriques à ce sujet dans la presse. J’ai vu par exemple le film de Pierre Carles « Attention, danger travail » qui montre qu’on a le choix, malgré tout, du milieu de travail et du fait même de travailler. J’ai voulu, moi aussi, montrer cela, inciter les gens à réfléchir et peut-être prendre une distance avec cette vie-là. » confie t’elle au magazine Oxydo.
Chroniques du désespoir ordinaire
L’écriture de l’auteur peut dérouter au début, voire agacer par son minimalisme. Sujet, verbe, complément (« Je m’endors comme un bébé et fais des rêves amusants »). Pas de fioriture ou d’effet de style chez Héléna. Des faits rien que des faits qui s’enchaînent sans s’attarder. Le ton reste égal, presque monotone, usant même de la répétition là où d’autre se seraient échiner à trouver un synonyme. Et finalement, la petite musique fait son effet et au fur et à mesure se glissent entre les mots, d’apparence anodine, une profondeur et un désespoir insoupçonnés, non sans rappeler les films de Laurence Ferreira Barbosa.
Héléna Villovitch a l’art de noter les petits détails de nos tragédies intimes. Celles qui ne font pas beaucoup de bruit mais qui sont finalement essentielles…
*A ce sujet Héléna dit qu’elle a écrit ce livre alors que le questionnement sur le mariage homosexuel et l’adoption battaient son plein. Elle a ainsi été influencée par cette actualité qui la préoccupait beaucoup. D’autre part, s’imaginer dans la peau d’un homme hétérosexuel lui était difficile alors qu’un homme homosexuel lui semblait plus proche de sa sensibilité.
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