Haute Fidélité de Nick Hornby, Bande originale pop d’une éducation sentimentale


Haute Fidélité de Nick Hornby (High Fidelity en VO) est un roman anglais culte des années 90, vendu à plus d’1 million d’exemplaires, qui s’inscrit dans ce courant de littérature générationnelle d’anti-héros trentenaires tendance « looser attachant », un peu « geek », nostalgique, à la fois pathétique et flamboyant, marginal et rêveur, qui se laisse encore un peu de temps pour devenir un « bon père de famille responsable ». Avec son sens de la formule imparable, il narre ses mésaventures et états d’âme qui ne manquent pas de trouver écho auprès de ses condisciples qui se reconnaîtront en ce digne représentant de la (fin de la) génération X pas loin des « Y », qui cherche un autre modèle, une autre façon de vivre sa vie que la jolie case bien carrée que lui tend la société…

Robb Flemming, trente cinq ans, fou de pop musique, connaît sur le bout des doigts ses classiques de Bob Dylan à Neil Young. Il est aussi capable de vous établir en quelques secondes des listes et autres palmarès sur un nombre incalculable de sujets vitaux comme ses 5 ruptures inoubliables, les meilleurs solos de guitare ou encore les 5 meilleurs épisodes de Cheers…

Mais Robb est beaucoup moins doué pour mener une carrière professionnelle dont sa mère pourrait être fière : il survit grâce à sa vieille boutiques de vyniles « pour le collectionneur de disques sérieux » (ne vous avisez pas d’y demander un disque de Stevie Wonder !). Et encore moins pour garder sa petite amie, qui vient de le quitter.

Cet énième échec amoureux oblige Robb à faire pour la première fois, des choix, tout en le replongeant dans les souvenirs (truculents) de sa vie amoureuse (chaotique). « J’y vois clair maintenant. J’y vois toujours clair une fois que c’est fini. je suis imbattable sur le passé. Il n’y a guère que le présent qui m’échappe » avoue-t-il avec son ironie désabusée au détour d’un chapitre.


L’adaptation ciné de « Haute fidélité » réalisée par Stephen Frears en 2000

Au fil des pages on suit cet adulescent drolâtique qui évoque ses souvenirs amoureux (et ce faisant retrace son éducation sentimentale dans une petite banlieue sinistre de Londres) par exemple sa grosse déception quand il s’est rendu compte que les femmes étaient comme les hommes : elles gardent leurs plus beaux dessous pour leurs nuits d’amour. « Tous vos rêves lascifs d’écolier, où vous vous vautriez dans la lingerie fine, retournent alors à la poussière… » Avec une franchise désarmante, il nous confie son apprentissage amoureux avec les ratés et désillusions, la dimension fantasmatique que cela comporte. Et n’a pas peur de dévoiler ses failles et sa fragilité, ce qui est très rafraîchissant et infiniment attachant bien sûr ! Le phénomène d’identification jouant à plein tout en nous rassurant sur nos propres doutes et échecs (oui on est pas les seuls à se planter ou tout simplement se tourner des films ridicules sur tout un tas de trucs).

Ce fou de musique pop rock ne cesse de tisser des parallèles entre la musique et sa vie, ce qui fait toute l’originalité du roman et a grandement contribué à son succès. Mais il réalise aussi que cette passion dévorante peut aussi nuire à sa vie amoureuse… : « Il me semble que si on place la musique (comme les livres probablement ou les films, les pièces de théâtre et tout ce qui vous fait « ressentir ») au centre de l’existence, alors on a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut être que nous vivons tous de manière trop aigue, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. » C’est pour ce genre de réflexion mi-existentielle mi-conversation de comptoir sur la vie, le couple, la réussite, l’amitié, la famille, comment « avancer » tout simplement sans trop se tromper ou s’écrouler… qu’on aime ce roman qui vous donne l’impression d’écouter un ami se confier à la table d’un café, tout en nous faisant réfléchir sur notre propre parcours initiatique.

Rob est le genre de type, qui regrette son ex tout en tombant amoureux de la charmante musicienne, Marie (et rêve secrétement comme un gamin d’apparaître dans les remerciements sur la pochette de son prochain album). Le genre de type maladroit et émouvant qui ne veut pas s’attacher tout en faisant tout pour. Et de se poser 1001 questions toutes plus savoureuses les unes que les autres tout en élaborant ses petites théories sur la complexité des relations amoureuses: « Merde je déteste tout ça. Quel âge faut il avoir pour que ça cesse enfin ? » , se demande-t-il. On a vraiment pas envie que ça cesse de notre côté et on en redemande ! [Alexandra Galakof]

Extrait :
« Je commence à me rendre compte que c’est important d’avoir un truc qui se passe quelque part, dans le travail ou à la maison, sans quoi on ne fait que s’accrocher. Il faut un maximum de lest pour vous empêcher d’aller à la dérive ; il faut des gens autour de soi, des trucs qui se passent, sinon la vie est comme un film lâché par la production – plus de décors, plus de paysages, plus de seconds rôles, plus qu’un type tout seul qui fixe la caméra sans rien à faire et personne à qui parler – et qui croira ce personnage ? Il faut que je ramène plus de choses, plus de bordel, plus de détails ici, parce que pour le moment je risque de dévaler la pente. »

A lire aussi:Extrait choisi de « Haute fidélité » de Nick Hornby, « L’important n’est pas ce qu’on est mais ce qu’on aime… »

A voir aussi : Le film réalisé par Stephen Frears en 2000 avec John Cusack, Jack Black et Todd Louiso…

Un autre point de vue (masculin) sur « Haute fidélité »:

C’est une bonne comédie, avec ce qu’il faut de situations cocasses, d’anti-héros (Rob Fleming) et de seconds rôles pittoresques. « Mon père est un monsieur je-sais-tout un peu simplet, c’est une combinaison redoutable », et « Ma mère est juste une maman, définition impardonnable en toute autre circonstance. » Point. On remarquera le sens de la formule qui fait mouche, d’autant plus efficace qu’elle se glisse adroitement, sans le « m’as tu vu » typique des mots d’auteur, dans le flot d’un récit au ton soutenu et toujours sarcastique. Précisons que c’est Rob qui parle, et il parle avec une ironie désabusée. Même s’il entend bien condamner ses proches (la terre entière doit comprendre à quel point il est seul), il n’est pas pour autant plus indulgent avec lui-même. Mais la particularité de cette ironie tient au fait que, contrairement à Woody Allen qui expose ses complexes pour en rire, Rob se prend au sérieux. Le lecteur sourit de la naïveté du personnage. On sourit des réactions de Rob face à son passé, aux femmes ou aux moeurs actuelles. Il y a beaucoup de connivence là-dedans et aussi beaucoup de cruauté : voir quelqu’un d’autre se débrouiller aussi mal avec les filles et la vie en général n’est pas pour rien dans le plaisir que peut apporter ce livre.

Rob est un adolescent dans le corps d’un homme de 35 ans (intertextualité CAPITALE avec Big, dans lequel Tom Hanks joue un garçon de treize ans qui se retrouve un beau matin dans le corps d’un homme de trente) et il porte sur son passé le même regard que sur le présent, y restant désespérément accroché. Cela donne quelques morceaux de bravoure, comme l’ouverture du roman, avec le top 5 des plus grands chagrins d’amour, qui reste un bel exemple d’humour involontaire. Car Rob s’est fait plaquer par sa copine et il nous fait sa crise. Rob n’a jamais regardé que son nombril et sa collection de disques. Il faudrait que Rob apprenne à grandir. Il va s’y employer au cours d’une longue, très longue remise en cause. Il lui faudra renoncer à quelques rêves pour se mouiller, enfin, dans l’existence, « vivre sa vie » (« s’assumer », comme on dit) et ne plus rester sur la rive à regarder les autres nager ou se débattre avec le courant. Rob apprendra qu’une telle posture, contrairement à ce que disait un philosophe antique, relève moins de la sagesse que de la peur.

C’est un roman édifiant, et d’une grande pertinence pour la génération post 1968. C’est en effet le roman d’une génération pour laquelle rien n’est donné d’avance, la société n’imposant plus de cadre (ou presque) en matière de sexualité ou de choix de vie. Il se trouve, maintenant, que la conduite de notre existence dépendrait de nous seuls et que, fait unique dans l’histoire universelle, on est deux dans un couple. Il faut désormais compter avec la femme. Il importe maintenant d’être bon, à tous les points de vue. Se pose alors le problème de l’autre, du désir, celui de la compétition, comme chez houellebecq, qui – quand on a des prédispositions à la névrose – peut générer de nombreux complexes, de sérieuses inhibitions, et dans tous les cas soulever beaucoup de questions. On est alors tenté, comme le héros (non, l’anti-héros !), de se dire qu’avant tout était plus simple : « Je suis content d’être un mec, je crois, mais il m’arrive de ne pas être content d’être un mec de la fin du vingtième siècle. Parfois je préfèrerais être mon père. » (En arriver là, tout de même…) Quand on a été élevé dans une « société d’abondance », au sein d’un foyer de banlieue pépère, qu’on a été formé par la musique pop, il est bien dur ensuite de faire l’épreuve de la réalité et de ne pas écarter – soigneusement, d’un geste faussement désinvolte – toutes ces questions. Il est plus simple d’en rester à ses illusions et ses frustrations d’adolescent, de caresser les mythes que l’on s’est forgé avec la complicité d’une certaine culture. (Une question revient souvent : est-on malheureux parce que l’on écoute de la musique pop, ou est-ce que l’on écoute de la musique pop parce que l’on est malheureux ? A vous de juger.) Et ça ne s’arrête pas là ! Mais il est peut-être plus simple de conseiller le livre… plutôt que de le résumer.[SB]

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