Intriguant. Telle est la première impression ressentie lorsqu’on tient entre les mains ce premier livre de Lola Gruber, jeune auteur d’une non moins toute jeune maison d’édition Les petits matins. Son titre décalé, illustré d’une jeune femme, multicadrée, qui semble s’ennuyer ferme face à son compagnon, ne donne pas beaucoup d’indices… Si ce n’est l’annonce d’un texte anti-conformiste teinté d’humour. Et en effet, Lola Gruber a l’art de planter des situations et des dialogues déroutants. Transformant les plus charmantes idylles en jeu de massacre psychologique, en guerre des nerfs où chacun teste l’autre en permanence et le pousse dans ses retranchements…
Comme deux rivaux sur un ring. Les corps, les mots s’entrechoquent mais ne se rencontrent pas, ne fusionnent pas. Comme l’huile reste en surface dans l’eau. Privilégiant le huis-clos, elle met en scène des héroïnes, dont on se sait presque rien, mais qu’on imagine avoir l’âge de l’auteur (25 ans au moment de l’écriture du livre), citadines, qui évoluent dans des vies « vert-de-gris » en se posant beaucoup de questions. Elles veulent « trop en faire », tergiversent puis regrettent « après coup » face à des hommes qui ne savent guère les comprendre et tout aussi indécis.
Personne ne dit ce qu’il pense ou pense ce qu’il dit, en permanent décalage avec l’Autre. « Archie se disait qu’il fallait qu’il saisisse le bon moment, il le ferait d’une minute à l’autre, mais voilà, le bon moment n’arrivait pas, ne venaient pas que des moments moyens, et une partie de lui fomentait déjà des échappatoires : l’alcool, le sommeil, le travail tôt le lendemain. L’autre soufflait qu’Ana serait déjà rentrée se coucher depuis longtemps si elle n’avait pas été intéressée. Oui mais elle ne l’avait pas non plus invité chez elle. L’esprit d’Archie était tellement absorbé par ces marchandages qu’il lui était de plus en plus difficile de poursuivre une conversation normale, et ainsi le bon moment demeurait indéfiniment hors d’atteinte.«
A travers douze histoires tragicomiques centrées sur le couple, Lola Gruber braque son regard sur cet instant du déclin amoureux où » ‘l’on vient à s’exaspérer mutuellement de désir, de silence, d’incapacité », où « des retrouvailles escomptées sont violemment tièdes », où les rires sonnent faux et les silences étranglés…
D’Ana qui mitonne « avec trop d’amour » et s’attire les sarcasmes d’Archie à la recherche délicate d’un mot à laisser à son amant après « une première nuit » en passant par une rupture inextricable dans une chambre d’emprunt ou la lecture fastidieuse d’un « roman sur les grouses » recommandé par son ami sous ses yeux impatients… « T’aimes vraiment que les petits chichis intimistes en chambre de bonne« , lance ce dernier tandis que l’autre se défend « Ces chasseurs de grouses, je ne peux pas m’identifier, ça m’énerve« . Une nouvelle en forme de clin d’oeil qui réconciliera tous les détracteurs de la littérature intimiste !
A chaque fois, excès de scrupules, mauvaise foi, déconvenues et maladresses vicent l’atmosphère de ces douze histoires sentimentales où l’on ne fait pas de sentiment !
Travaillant en plans serrés (l’auteur a étudié initialement le cinéma avant de bifurquer vers l’écriture), Lola Gruber explique avoir voulu dépouiller les situations de « tout leur gras » pour conserver uniquement leur noyau afin « d’en faire des écrans où chacun pourrait se projeter ».
Elle dissèque ainsi chaque geste, chaque posture, chaque silence, chaque hésitation de ses personnages pour en restituer toute la portée « sur-psychologique » et toutes ses nuances, avec une minutie quasi bergmanienne.
Usant pour cela d’une écriture singulière, savant mélange de phrases précieuses, de malice et d’ironie.
Loin de la débauche crue de nombreux romans contemporains, elle cultive, au contraire, pudeur et retenue dans ses récits où « l’on ferme les yeux et colle ses hanches » contre l’autre, où « une bretelle de robe glisse » et n’est pas ajustée, où « les minutes se diluent » avec les caresses…
C’est encore « une multitude de détails qui viennent cimenter l’évidence comme s’ils évoluaient tous les deux selon une suite d’abscisses et d’ordonnées, comme si leur nuit avait créé un axe de correspondance. Comme des indices, tout en ayant le soupçon qu’il les crée de toute pièce, qu’il falsifie l’enquête. » Rendant décidément impossible toute osmose du couple…
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