La bande d’adolescents fascinés et obsédés par les cinq mystérieuses soeurs Lisbon dans le roman culte de Jeffrey Eugenides, Virgin suicides, analyse pour leur camarade, un brin nigaud, de Trip Fontaine, le tombeur du lycée, les rudiments de la séduction au téléphone… Un art risqué ! Yann Moix qui développe des héros obsessionnels assez proches de ceux d’Eugenides a lui aussi décortiqué l’appel téléphonique à son amoureuse quand on a que 12 ans :
« (…) Apprendre par cœur les phrases clé, prévoir les différentes conversations possibles, faire les exercices de respiration de yoga avant de plonger tête la première et les yeux fermés dans l’océan crépitant d’électricité statique des lignes de téléphone. Il n’avait pas enduré l’éternité de la sonnerie avant qu’on décroche, ignorait le coup au cœur qu’on éprouvait en entendant la voix incomparable soudain jointe à la sienne, l’impression que cela faisait d’être trop près pour même la voir, d’être en fait à l’intérieur de son oreille. Il n’avait jamais enduré la douleur des réactions molles, la crainte du : « Oh…salut », ni l’annihilation soudaine du : « Qui ? » (Extrait de « Virgin suicides » de Jeffrey Eugenides).
« Il faudrait l’appeler, se ridiculiser au téléphone, en cachette des parents, trébucher sur les mots, dans les bégaiements, les silences compliqués et les hésitations boueuses. Pour lui dire quoi ? De l’universel rapiécé, du par-cœur, ridicule. Moi blanc et téléphone rouge. Je fais le grand numéro. Mes mains d’enfant tremblent comme un corps, l’index glisse, je dérape. Suicide. Plus qu’un tour, petit tour de manivelle pour moteur à explosion. Je ne suis plus qu’à un chiffre d’elle, une demi-révolution. Je maintiens un peu, accompagne le retour, ôte le doigt. Un bruit sec. Les combinés d’alors avaient ce côté roulette rousse que n’ont plus les appareils à touches. Premiers bips caverneux sur l’autre versant de la nuit. Je donne du sens à ces tonalités qui l’appellent inexorablement l’appellent, trop rapprochées pour ma panqiue, trop espacées pour mon impatience, air de flûte mécanique chez moi et sonneries tonitruantes chez elle : c’est bien l’amour qui implore. – Allô ? Ca y’est. Quelque chose d’elle m’appartient. Deux secondes enveloppées dans un soupir d’ondes susurrées. Elle m’a donné deux syllabes et un point d’interrogation. Je retiens son souffle. Comme un poing se referme sur l’oisillon tombé, je serre à mourir cette proie de sons inédits offerte en pâture à la collection des intimités. D’elle je possède désormais cet instant d’étonnement téléphonique pour toute la durée du monde, à jamais, et, quand le soleil rougi explosera bientôt sur l’univers, il emportera ce premier murmure d’Hélène dans les ouragans de cailloux comme une musique de politesse sur la déflagration d’Apocalypse. » (extrait de « Jubilations vers le ciel » de Yann Moix)
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