« Les amants du n’importe quoi », deuxième roman de Florian Zeller, paru en 2003 (à la suite de l’obtention de la Bourse écrivain de la fondation Hachette), le jeune futur dramaturge alors âgé de seulement 23 ans, démontre déjà une vraie maîtrise littéraire et romanesque. Il laisse ici s’exprimer toute sa sensibilité sur les thèmes qui le hantent : la quête amoureuse « de ce visage à aimer », l’illusion, la nostalgie de l’adolescence « cet été qui se termine », les tiraillements du désir, la séduction éphémère ou « la souffrance de l’engagement devant l’infini des possibles », à travers l’histoire éternelle d’un jeune couple moderne. Avec « Les amants du n’importe quoi » (traduit en anglais joliment par « Lovers or something like it »), il compose « une partition cynique et cruelle mais finalement comique » selon ses propres termes. Il livre surtout avec une grande justesse le portrait touchant d’un jeune-homme pris au piège de ses sentiments et de ses désirs paradoxaux et d’une jeune femme fragile et romantique, qui s’interrogent sur la difficulté d’aimer ou d’être aimée tout simplement… mais magnifiquement.
« L’amour est un isolement que l’on vit à deux. »
Comment parler de l’histoire éternelle d’un homme et d’une femme, d’un couple qui se rencontre, se déchire, se sépare… sans répéter tout ce qui a déjà été dit et redit avant soi ?
Comment éviter l’écueil de la mièvrerie et de la banalité ? Comment revisiter et toucher à ce classique littéraire sans verser dans le cliché ? Les réponses à ces questions se trouvent dans ce petit livre « Les amants du n’importe quoi ».
Petit parce qu’il est en effet court (à peine 200 pages) mais il n’en est pas moins intense et baigné d’un charme envoûtant. Florian Zeller est parvenu ici à transcender son sujet en abordant son thème sous un angle inédit. On sent déjà ici le futur auteur de théâtre et un talent pour la mise en scène certain.
C’est donc l’histoire de Tristan et d’Amélie qu’il choisit de nous conter, comme on déplacerait sur l’échiquier ses pièces. Tristan et Amélie, deux personnages qui finalement restent abstraits presque flous. Deux personnages symboliques qui représentent plus qu’ils n’incarnent. Il y a la rue, la librairie polonaise, cette rencontre impromptue, des yeux masculins qui s’arrêtent sur une silhouette féminine et le début d’une « Histoire » avec un grand H.
Une Histoire qui débute presque sur un malentendu, qui débute malgré Lui, sous son initiative pressante à Elle. Mais Histoire tout de même qui se matérialisera, progressivement, presque irréellement, sous ses yeux étonnés et impuissants. Une brosse à dent, des vêtements féminins dans l’armoire… Une lente mais certaine colonisation de SON espace, de SA vie, de SA liberté surtout…
Et puis un soir, le « démon de Selby » qui le tenaille, prend de nouveau le pouvoir : « Le corps des femmes donnait à ses désirs cette sublime fixité par lesquelles les forces de la jeunesse se dépensent inutilement. » Séduire, conquérir n’importe laquelle mais faire l’amour avec une Autre. Un autre Corps. Le Diable au corps. L’engrenage infernal de la double vie, l’autodestruction, …
« O est encore dans le lit. Elle voit bien qu’il a l’air embarrassé, et elle devine immédiatement ce que cela signifie. Elle trouve la situation comique et déplaisante. La lâcheté est une sorte de confidence ratée, pense-t-elle, un aveu de faiblesse. Il semble que les femmes passent leur vie à confesser les hommes. »
Il nous raconte cela, cette imposture amoureuse vécue par Tristan. L’angoisse qui le saisit face à cette jeune femme, innocente, tyran inconscient et victime en même temps des conséquences de son empressement (typiquement féminin ?).
« On ne peut pas exiger de quelqu’un, dés le premier soir, qu’il soit transi d’amour. »
Il saisit toute la subtilité de l’incompréhension de ce couple naissant et s’officialisant dans le malaise. Ce décalage quasi permanent dans la relation, ce jeu dangereux d’attraction-répulsion que l’on peut ressentir à des instants différents, la comédie de l’amour que l’on doit parfois jouer malgré soi… Il raconte cela sans chercher d’excuses ni à l’un ni à l’autre. Et ce faisant, pose sa plume avec délicatesse sur ces imperceptibles frontières entre tendresse et amour, culpabilité et lâcheté, égoïsme et faiblesse… : « L’amour eût été la délivrance mais il s’agit là d’une vieillerie incompatible avec le fonctionnement actuel du monde. (…) Quant à la tendresse dont on se contente généralement, cela ne pouvait suffire. L’attendrissement non plus. L’attendrissement prend la forme de l’amour, alors qu’il n’est est que la caricature. »
Florian Zeller parvient à peindre les différentes nuances des sentiments masculins dans toute leur magnifique et cruelle ambigüité, dans cette indécision, ce dilemme qui fait souffrir et leur est aussi insoutenable, leurs doutes aussi, leur fragilité. Il se glisse aussi avec une étonnante justesse dans les pensées d’une jeune femme rêveuse et éthérée. Il décrit parfaitement bien son manque d’assurance et son romantisme absolu pas toujours compatible avec le désir masculin avant tout charnel…
Et révèle par là-même des vérités bien plus profondes qu’il n’y paraît, frôlant le philosophique comme sa métaphore très bien vue des sphères et du ventre maternel ou encore du mythe de la parousie, l’incapacité à renoncer (il a d’ailleurs étudié la philosophie) avec une voix tranquille mais lucide : « Tristan est prisonnier d’une sphère, puisque tous les objets désirables qui l’entourent se trouvent à égale distance de son Moi. Il ne parvient pas à savoir celui qu’il préfère. Cette sphère est la figure de l’immaturité moderne. »
Il faut aussi saluer l’originalité de son style très théâtral : Il déroule ces chapitres comme se succéderaient sur une estrade des scènes, avec une précision de gestes et d’attitude tout aussi significatifs que les dialogues eux-mêmes. Une pièce en deux actes, en deux temps, qui alternent le point de vue masculin en premier lieu puis le féminin comme un écho émouvant et ironique à la fois. Une superbe construction symétrique qui ouvre à plusieurs perspectives et niveaux d’interprétation. Il assume aussi le côté bourgeois de cette anti-romance ente Sautet et Lelouche, entre Paris (côté quartier latin/d’Odéon…) et Deauville… Et façonne son image d’auteur romantique hautement sensible, en évitant le cliché.
On a reproché à Florian Zeller de ne rien dire de NOUVEAU dans ce roman. Mais la nouveauté est-elle un gage de valeur littéraire ou d’émotion ?
Florian Zeller ne dit peut-être rien de « nouveau » mais il le dit bien et différemment avec sa musique bien à lui, toute en cordes sèches et vibrantes. « Les amants du n’importe quoi » constitue un très beau roman épuré aux accents Baudelairiens (relire le poème « A une passante ») et bien sûr de Kundera (on pense beaucoup à « L’insoutenable légèreté de l’être » et au déchirement de Tomas entre la tendre Tereza et Sabina son audacieuse maîtresse) qui porte en lui une certaine noblesse, une poésie mélancolique et troublante tout en faisant preuve d’une belle finesse psychologique.
A lire aussi : extraits d’une interview où Florian Zeller donne quelques éclairages sur sa vision de l’amour et des relations homme-femme actuelles
La chronique de « Neiges artificielles », le premier roman de Florian Zeller qui préfigure « Les amants du n’importe quoi »
Extrait choisi :
« Quand il était plus jeune, étudiant, il avait ressenti la même incapacité à savoir quelle vie il désirait. Il enviait secrètement ceux qui, par manque de talent ou par vocation, ne se posaient plus la question. Il avait fait ses études comme on se laisse emporter par un courant calme. Rien d’autre que cette indifférence ne l’avait prédestiné aux études de droit, puis au carnaval de diplômes dont il pouvait se prévaloir. Il avait maintenant une respectabilité et un pouvoir d’achat. C’était bien. La réussite professionnelle lui semblait être l’exigence la plus accessible puisque au fond elle ne dépend que de soi. Rien n’était comparable aux tourments que l’on pouvait ressentir auprès des femmes – et ces tourments étaient à la mesure de ce qu’il pressentait en lui. »
Florian Zeller vu de l’autre côté de la Manche : (4e de couv’ de la traduction anglaise)
« A true novel for our time, Zeller exposes the futility of love for the lost souls of Generation X. When disaffected young Parisian Tristan meets pretty, fragile Amelie he is thrown off guard by his feelings for her. He had sworn to stay single forever, loving and leaving a trail of heartbroken women in his wake. He hasn’t done anything to deserve falling in love: why him and why Amelie? An intelligent and sensitive portrayal of the doubts and desires of a new generation, suffering from the agony of indecision and too many choices to feel true contentment. »
Visuel d’illustration extrait de sa pièce « L’Autre »
3 Commentaires
Très bel article. J’ai aussi adoré ce livre. C’est un ami qui me l’a offert ; une de ses amies le lui avait offert; je l’ai à mon tour offert à un ami – c’est un livre qui circule parce qu’il parle, mieux qu’un autre, de la difficulté d’aimer de notre génération. Comme dit l’article anglais : "the futility of love for the lost souls of Generation X."
Je viens de découvir cet auteur en lisant ce livre hier. Ce n’est qu’en surfant sur internet que j’ai réalisé aujourdh’ui qu’il était si populaire.. et je me demande bien pourquoi tout comme
Je trouve votre article bien élogieux pour ce court texte qui n’est finalement qu’un plagiat de Kundera. Je ne vois aucune musique qui lui serait propre. Rien dans le fond ni dans la forme qui justifierait un tel engouement et je serais tenté d’ajouter que c’est du N’importe quoi !!
Pas d’accord du tout. Je trouve que c’est un très beau roman. Je l’ai lu il y a déjà quelques mois, et j’en conserve encore quelques images fortes. Le lien avec Kundera, oui, c’est clair. D’ailleurs, je crois me souvenir que Kundera lui-même avait écrit un article sur ce jeune auteur. J’ai lu quelque part qu’ils étaient tous les deux très amis… Donc…
Réponse Buzz littéraire : Pour info, une interview de Florian Zeller réalisée à l’occasion du Salon du livre 2008 est disponible ici