Le mystérieux et atypique Stéphane Million, co-créateur (avec Frédéric Beigbeder) de la sulfureuse et tapageuse revue littéraire Bordel nous informe qu’il fait ses début en tant qu’éditeur au sein de la maison d’édition Scali. Un nouvelle mission qui lui va comme un gant, lui qui découvre, conseille et relit les auteurs de demain depuis plusieurs années, du fond de son Touquin ! Son premier bébé (et pas des moindres) ? Le premier roman de l' »antisocial » Bernie Bonvoisin (photo ci-contre), intitulé « Chaque homme a la capacité d’être un bourreau… ou au moins son complice ».
C’est Stéphane Million qui en parle le mieux bien sûr :
Une journée de juillet 1995. Deux récits. Max, agent immobilier dans les beaux quartiers parisiens, fêtera ses 40 ans. Nehrudin, jeune musulman bosniaque de l’enclave de Srebrenica, aura, lui, 15 ans. Max a deux rendez-vous, l’un avec un riche saoudien, l’autre avec un nouveau riche russe. Nehrudin voit une horde de soldats serbes débarquer dans la ville. La même journée, deux anniversaires, deux trajectoires qui s’entrechoquent malgré la distance…
« J’ai rejoint ma mère, ma sœur et mes frères. Les Serbes sèment un chaos indescriptible. Je suis passé derrière l’ancienne école et me suis arrêté net. Trois « Rambo » traînent deux pauvres vieux. L’un d’eux est plaqué dos au mur. Ils lui ont collé quelques gifles et lui ont fait ses poches. Je ne vois pas ce qu’ils ont pu lui prendre ? Le vieil homme leur a expliqué de laisser son frère tranquille. Pendant qu’il disait cela, il s’est pissé dessus. Les Tchetniks ont éclaté de rire. Le plus petit des trois soldats a sorti une lame de sa botte et sans aucun mouvement brusque, il a ouvert la gorge de l’homme qu’il tenait. Le vieux a glissé au sol en gesticulant quelques secondes. L’autre s’est agenouillé, pleurant toutes les larmes de son corps. Puis, il s’est mis à ramper pour être proche de son frère, sous les rires des bourreaux. L’égorgeur a saisi la tête du supplicié, l’a détachée du corps et l’a balancée contre le mur. Le vieux restant vivant a poussé un cri rauque, un des trois types lui a logé une balle dans la tête et ils ont disparu.
Le jour s’assied, Max est ravi. Il dépose le bouquet sur la table de la cuisine. Stella n’est pas là. Il ouvre le frigidaire, prend une bouteille d’eau et l’engloutit quasiment cul sec. Il ôte ses vêtements qu’il laisse tomber au sol et s’installe sur le canapé. Très vite ses fesses collent au cuir. Il y a des trucs plus agréables dans la vie. Et ce jour qui n’en finit pas. Max a hâte d’être à la fraîche. Il pose une serviette sur le canapé, se rassied et entreprend de rouler un joint. Il se saisit de la télécommande de la chaîne hi-fi. Le rap d’Executionners inonde à fort volume le salon. Aussitôt Max panique et baisse le son. Il se dit que Stella est malade d’écouter à cette puissance. Il change de CD et enchaîne avec Bob Seger, c’est plus soft et peut être écouté à faible volume. Il y a des heures pour tout. »
*Bernie Bonvoisin est né le 9 juillet 1956 à Nanterre.
Il est le chanteur fondateur du groupe culte Trust (1977-1985) : Antisocial, Bosser huit heures, Police-Milice. Après l’expérience Trust, Bernie devient acteur (Hiver 54, La Haine), puis, réalise ses propres films : Les démons de Jésus (97), Les Grandes bouches (99), Blanche (03), et prépare actuellement un nouveau long-métrage ainsi qu’une pièce de théâtre.
Il publie un texte bref à l’écriture ciselée et lyrique, Vous êtes faite de peines étranges, chez Flammarion (2003).
« Chaque homme a la capacité d’être un bourreau… ou au moins son complice est son premier roman » (Scali 2006).
Ajout du 10/07/2006 : Signalons également une interview de Bernie Bonvoisin parue dans Metro :
Extrait :
« Ton livre raconte la journée de Max, agent immobilier à Paris, et de Nehrudin, jeune bosniaque musulman aux mains des Serbes en pleine épuration ethnique. Comment t’es venu l’idée ? On m’a donné une vidéo shootée sous le manteau par les casques bleus hollandais. On y voit des Serbes venir chercher impunément des Bosniaques dans l’enclave où se trouvent des milliers de réfugiés censés être protégés par l’ONU… ça fait froid dans le dos. Je suis parti là-dessus.
Tu as préféré le roman au document…
Je préfère l’onirisme, des parcours qui s’entremêlent. Les seules références historiques que j’ai prises sont les dépêches AFP.
Pourquoi mêler les parcours de Max et Noredine ?
Je fais le parallèle entre Max, à Paris, qui estime qu’il a passé une journée d’enfer parce qu’il s’est pris un PV, tapé des bouchons, engueulé avec sa nana… tandis que Nehrudin, à trois heures de Paris, ce bosniaque de 14 ans est enlevé et torturé par les serbes. Si Max estime avoir passé une journée d’enfer, comment qualifier celle de Nouredine ? Tout est dans la proportion. Il y a quand même eu une épuration ethnique à trois heures de Paris et l’indignation n’a même pas constitué une arme, c’est incompréhensible. C’est en Bosnie, au Rwanda, ou en Tchétchénie. On est dans un système où chacun ne pense qu’à sa gueule, où ce qui compte c’est ce qu’on a et pas ce qu’on est, au détriment du facteur humain. L’essentiel dans la vie c’est le verbe être, et pas le verbe avoir. Cette histoire, j’ai voulu l’écrire du côté de l’humain ».
Bernie Bonvoisin prépare également un film « Yéma, la France d’en bas », une chronique sociale, dans la droite ligne des « Démons de Jésus ». « C’est un film sur la tolérance, l’acceptation des autres, des différences quelles qu’elles soient, ethniques, raciales, religieuses, c’est un film sur les gens au travers de gitans et d’une famille de beurs recomposée. Le film sera réalisé entre autres avec Fanny Ardan, Alexandra Lamy, Daniel Duval, Amel Djemel… Il va se faire entre octobre et janvier pour une sortie prévue en 2007. » Il nourrit aussi des projets au théâtre avec une pièce intitulée « Bord cadre » traitant de la complexité à monter son premier film pour début 2007.
Mise à jour Janvier 2008 :
Stéphane Million quitte son poste de directeur de collection chez Scali et se lance seul comme éditeur indépendant.
Sa première parution, au mois d’avril, sera le numéro 8 de sa revue littéraire « Bordel » (après avoir été publié par Flammarion à ses débuts, puis par Scali), ayant pour thème « La jeune fille ». En septembre, il publiera « Le garçon qui dessinait des soleils noirs », le second roman de Jérôme Attal qui, après « L’amoureux en lambeaux », Et peut-être un premier roman du réalisateur et scénariste Denis Parent (titre à venir). (voir interview de Stéphane Million)
Derniers commentaires