Signalons la sortie en poche (J’ai lu/ Nouvelle génération) de « Courir à trente ans », 4e roman de Nicolas Rey paru en 2004 Courir à trente ans quasiment simultanément à la sortie de son nouvel opus Vallauris Plage que nous présentions récemment. Une jolie couverture qui rend hommage à la phrase de l’auteur devenue célèbre : « A Paris, le soir, les mots d’amour s’échangent en fraude dans les salles de bains avec un téléphone portable. C’est la raison pour laquelle, vue d’avion, la ville scintille à ce point. » L’auteur a également été sélectionné par le Jury Renaudot aux côtés entre autres de Gaspard Koenig (pour son dernier roman : Un baiser à la russe) ou encore de Gabriel Matzneff (Voici venir le fiancé).
Après le thème de la fuite, c’est le thème de la course qu’aborde Nicolas Rey dans son quatrième roman Courir à trente ans. Ce qui finalement revient au même. On court pour fuir. On court pour éviter de s’attarder, de trop réfléchir. A ses actes et à leurs conséquences. C’est la course de cinq hommes que nous suivons dans ce nouveau roman. Des inconstants, des indécis : d’attachants paumés qui se sont tous brûlés au jeu de l’amour et du désir.
Franck, très proche de Gabriel de Mémoire courte, se ressource et s’empoisonne à l’infidélité. Vincent, étouffé dans sa vie de couple rangé finit par divorcer, et replonge subitement dans les affres du célibat (il retrouve le navarin d’agneau « une personne »). Jean, le père désabusé d’une ado, qui brise son couple pour une jeune comédienne rencontrée au hasard d’une soirée. Marc, l’amoureux idéaliste en quête de son amour d’enfance et enfin Louis l’étudiant aux penchants pédophiles.
Cinq « coeurs en vrac », « des grabataires incapables de courage et de lyrisme » pris en flagrant délit de ratage sentimental. Tiraillés par leurs désirs interdits ou impossibles. Et finalement vaincus. Envahis par la fatigue : « cette fatigue partout, cette fatigue immense, qui n’arrête pas de tomber. » Incapables de se justifier davantage : « Vincent aimerait ne rien répondre du tout, qu’elle comprenne sans phrase, sans marchandage, sans combat sur chaque détail. » De lâcheté en faiblesse, ils tenteront une ultime rédemption dans une clinique un peu particulière. Où l’on rééduque « les victimes volontaires du couple », les coeurs volatiles, les idéalistes. Où l’on s’en remet au corps médical pour dompter les égarements du coeur et de l’âme.
C’est un roman très riche qu’offre ici Nicolas Rey. Un prisme qui reflète toutes les équations de l’amour et du désir : célibat, divorce, amour manqué ou impossible…
Foisonnement de personnages (attention à ne pas s’y perdre !), chacun incarnant une face du sentiment maudit. Chaque situation révélant une nouvelle impasse, une nouvelle désillusion.
L’écriture comme une succession de polaroïds rapides, dévoile des pans d’existence, des zones d’ombres et de lumières. Le projecteur est braqué au point de chute. Après les signes avant-coureurs : l’instant où tout vacille. Où l’on succombe à un baiser interdit, où l’on ne parvient plus à se mentir dans une vie de famille rangée, où l’on comprend qu’une histoire est sans issue, un désir irréalisable. Et la descente qui s’ensuit. La recherche d’échappatoires, d’anesthésiants éthyliques.
Mais toujours en marge de la noirceur de ces histoires, la dérision qui affleure, venant désarmorcer le tragique : « Je vous demande d’avoir confiance, Marie-Laure, j’ai l’alcool tout à fait prudent. » Ou encore « Disons que je mène la vie d’un oisif en action ». Et pour finir cette clinique improbable, propice aux thérapies les plus farfelues : privation de romans ou de films d’amour (Breaking the waves, Sur la route de Madison) ou même des conversations téléphoniques de plus de 3 minutes ! La clinique des désemparés, qui n’est pas sans rappeler ce très beau film « Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel » de Laurence Ferreira Barbosa (avec Valeria Bruni-Tedeschi) où des paumés se retrouvent dans un hôpital pyschiatrique après avoir décroché de la vie, tout simplement par manque d’amour.
L’intrigue est aussi prétexte à glisser de belles envolées sur l’amitié hommes-femmes, la télé-réalité (le roman a été écrit pendant « Nice people ») ou encore régler ses comptes avec le statut d’écrivain d’autofiction. Ce dernier thème tient même une place récurrente tout au long du récit. L’auteur distille, amer, ses désillusions : « Un écrivain, c’est un écrivain tout court. Oublie l’écrivain-journaliste, l’écrivain-chroniqueur, l’écrivain-télé, l’écrivain-radio, l’écrivain-médiatique. Seul l’écrivain tout court existe. » Ou encore dans la bouche d’Emilie, fille de Jean, il demande « Pourquoi ces types écrivent-ils TOUS un peu les mêmes bouquins ? »
Et enfin dans l’épilogue « pour happy few », il conclut : écrire est un métier aussi dégoûtant qu’un autre. Un métier où plus personne n’a le choix. Il faut aller aux signatures. Il faut faire semblant d’écouter les gens qui te parlent de tes livres sans tirer à balles réelles sur qui que soit. Il faut être capable de faire commerce de sa vie privée pour dix mille exemplaires de plus. »
Bref c’est un Nicolas Rey lucide, et pas encore guéri de cette terrible maladie du couple, qui nous conte, avec sa plume toujours aussi sensible, ses angoisses de trentenaire désenchanté.
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