Tout le monde en parle (et chante ses louanges)… Des « Inrocks » au journal « Le Monde » en passant par Télérama, « Chronicart », et presque tous les magazines spécialisés de la BD… De qui ? De Frédéric Poincelet pardi ! Et de son dernier album « Mon bel amour ». Révélant ainsi cet auteur, plébiscité depuis de nombreuses années par la scène graphique underground, au grand public. Ce graphiste-illustrateur, connu pour ses esquisses à la fois nerveuses et angoissantes, tour à tour crues ou poétiques et ses dessins hachurés, annotés ou ultraréalistes (voir sa série « Le périodique » et surtout son Essai sur le sentimentalisme), a beaucoup travaillé autour des thèmes qui l’obsèdent : le sacrifice, la douleur, l’amour ou encore les apparences. Avec « Mon bel amour », il livre une étonnante radioscopie de la fragilité du couple, toute en délicatesse et subtilité…
Sur le thème éternel (banal ?) du couple, de l’équation mille fois explorées d’un homme-une femme Poincelet parvient à restituer une vision inédite et de nouveaux chemins sur la complexité et l’ambiguité des sentiments.
Comme autant de fragments ou de bribes de la vie amoureuse, il nous raconte, à mi-chemin entre un Ozon dans « Cinq fois deux » et l’émission Strip-tease, ces moments de tragédie du couple (les disputes, les malentendus, les séparations et la rupture), ses prémices (la rencontre), ses doutes (les regrets, les monologues intérieurs) ou encore d’extase et de partage (l’amour) à travers 4 histoires de couples (soit seize courts chapitres), précédées chacune d’une exergue d’André Gide (extraite de ses journaux intimes tenus après 1939).
Par exemple, « Nous sommes inéluctablement enfoncés dans la matière et même nos plus mystiques amours ne peuvent se passer de représentations matérielles. », « Dommage que si souvent notre honnêteté puisse prendre un air de bêtise. » ou encore « On sent si bien quand un objet se détache de vous, veut vous quitter comme un enfant qu’on ne tient plus en main, qui s’émancipe ? Un instant d’inattention et le tour esy joué. » Des phrases libres d’interprétation et particulièrement bien choisies qui donnent une profondeur et une saveur particulière aux planches qu’elles précédent.
Dans cette oeuvre, son dessin se fait plus précis, plus expressif et élégant rappelant le style des gravures sur des fonds aux couleurs pastels (beige, vert pâle), un peu estompées, comme des voiles à la fois douces et mélancoliques. Des couleurs qui symboliseraient le quotidien et l’ordinaire des situations présentées. Le décor dépouillé presque silencieux résonne parfois de dialogues rares et concis. Un album où les demi-mots, les non-dits sont plus importants que les mots car ici tout se devine, se chuchote.
C’est davantage le langage des corps que cherche à ausculter, à déshabiler, l’auteur, avec un art aigu de l’ellipse. Il traque et traduit, avec minutie, chacune des attitudes de ses personnages et leurs micro-changements à mesure que les assaille la gêne, l’inquiétude, le désarroi ou encore le désir… Il s’attarde aussi sur les étreintes particulièrement explicites mais jamais exhibitionnistes. A la fois violentes et douces, leur réalisme épuré et frémissant rappelle les images d’un Chéreau (dans son film Intimité). Les corps fusionnent, s’abandonnent et les mots aussi « J’aime te baiser mon amour », chuchote l’amant au bord de l’extase. Et se regardent avec en tête la citation de Gide qui les précède : « Mais sans doute n’est-il pas mauvais de trouver dans sa vie de quoi rougir et sans avoir à chercher trop loin. »
Zoomant sur les sexes, les mains, les regards…, il étudie ses sujets sous tous leurs angles, comme une caméra pourrait le faire. Créant ainsi une tension grandissante à chaque nouveau « cliché » (il apprécie d’ailleurs travailler d’après photo). Il se glisse là où les êtres résistent, se blessent, tombent et se relèvent dans cette ronde perpétuelle des âmes et des corps… Et plonge ainsi au coeur de la fragilité des êtres et des relations.
Le tout servi par une mise en page originale à mi-chemin entre la présentation séquentielle de la BD et l’illustration pure (absence de cases ou de cadres visibles) aux bulles évanescentes et à la typo manuscrite éthérée, presque « usée » faisant écho à la déliquescence qu’il décrit.
Son but ? « Faire jouer les personnages sans narrateur omniscient. J’avais envie de leur donner une vie et d’être justes », dit-il. Le résultat est à la hauteur des espérances, un instantané moderne et troublant, tout en retenue, sur la difficulté d’aimer sans se faire souffrir.
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Comme le disait un autre critique: « Voila un sentiment très présent et fort dans l’œuvre de Gide, que partage avec lui Frédéric Poincelet. Celui de la dualité de l’amour, de joie et désespoir mêlés.«
2 Commentaires
(il apprécie d’ailleurs travaillé)
Merci de cette correction qui a été intégrée.