Guillaume Clémentine a donné un titre Le petit malheureux qui ne peut qu’intriguer et qui réveille notre instinct de compassion. Quels sont donc les malheurs de Guillaume ? Ceux d’un trentenaire en mal d’amour, qui, de plus, a opté pour une vie de marginal (érémiste -ex RSA- avec chambre de bonne et bouteille assorties) alors que tous ses amis se sont rangés dans une vie petite bourgeoise, conforme à la norme sociale. Seulement voilà, Guillaume ou son double de narrateur est un idéaliste ! Impossible de renoncer à sa liberté, ses soirées de biture entre copains et malgré tout sa quête désespérée d’une douce fiancée…
« Je viens d’achever une nouvelle année sabbatique, paisiblement consacrée au whisky, à quelques trop rares filles, au sommeil et à la masturbation… Mon seul but dans la vie : vivre centenaire pour runier les Assedics. Je suis un lâche qui se croit trop malin pour marcher dans la combine et qui refuse de vivre dans l’émotion parce qu’elle lui fait mal. Résultat : je suis le type même du déclassé, une sorte de demi-clochard intellectuel aigri. Je vis des fantasmes de destruction et de dégringolade sociale… »
Ce premier roman, sorti en 1998 aux éditions du Serpent à Plumes, se lit d’une traite, avec un sourire au lèvre et un pincement au cœur. Et reste ensuite imprimé en nous comme une sorte de fulgurance, quelque chose qui va très vite et qui vise profondément juste.
Il s’inscrit dans cette filiation de roman urbain et trentenaire propre aux années 90/2000, nihiliste diront certains, mais sans doute davantage existentiel, une forme de rebéllion sociale, anti-bourgeois. L’autoportrait d’un « crevard » pour reprendre l’expression de Thierry Théolier, d’un « clochard céleste ». La peinture d’une époque aussi entre Guerre du Golfe (la première de 1991), précarité économique, sociale, amoureuse (le célibat), frustration sexuelle et errance sentimentale, ultra-moderne solitude, anti-consumérisme, nonchalance et lose adulescente, intellos précaires, alcoolisme mondain et shopping chez les épiciers discount ED… On pense aussi à la phrase de Virginie Despentes, presque une décennie plus tard qui dans « King Kong théorie » débute son essai féministe par la phrase : « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. » dont Guillaume Clémentine pourrait être l’alter ego masculin.
« Il fait nuit noire. Je m’enfonce dans Paris, les mains dans les poches de mon blouson en croûte de porc. Il fait froid. Je suis tout seul. Je suis un homme en fin de droits. C’est dimanche. »
Un livre imprégné de cette lucidité poétique et de cette dérision permanente, entre Bukowski et Cioran et bien sûr l’inévitable référence à Houellebecq qui trouve en lui un petit frère, qui le préserve de sombrer dans le pathétique. De sa solitude du week-end (« Nous entendons les cris de joie qui montent de la rue. Toute cette frivolité qui dégueule de partout, sans nous, à travers Paris, nous semble insupportable. Nous avons l’impression que l’humanité tout entière est un gigantesque lupanar dont nous sommes à jamais exclus.« ) jusqu’à sa misère sexuelle et affective, mais aussi toutes les petites anecdotes de son quotidien de célibataire parisien désabusé et bourré de tendresse.
Virées nocturnes où il dragouille en vain des belles en bottes de cuissarde, gueule de bois ou manif’ où les casseurs prennent le dessus sur les « belles idées intellectuelles ». On croit reconnaître dans cet auto-portrait fictif ou non quelques personnages croisés dans les nuits parisiennes… N’hésitant pas à confesser quelques fantasmes honteux comme celui sur sa caissière Leader price dotée d’une nature généreuse (« Comme le peintre Paul Gauguin, je vouais une passion aux filles un peu grasses, voire un peu bêtes. Mes rêves érotiques étaient peuplés de grosses femmes, elles étaient toujours là à l’heure de mes pollutions nocturnes. Cette honteuse fascination était le pur produit de ma frustration. » ou la taille trop minime de son entrejambe (« Ne dites jamais à un garçon qu’il a une toute petite bite, s’il vous plaît les filles.« )
Le petit malheureux prend des résolutions, gamberge sur son ivrognerie, son oisiveté, les dimanches, la vie de famille, le couple ou encore les diktats sociaux. Il finira dans une formation de reclassement à l’ANPE avec la ferme intention de rentrer dans le rang… et de trouver enfin l’amour.
Y parviendra-t-il ?
4 Commentaires
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Guillaume est un pote, et je suis triste qu’il n’ait plus la force de s’y remettre, le succès a été trop fort pour lui. Il y a quelques années il disait vouloir écrire quelque chose sur les balkans, à quatre mains, et puis rien, il a perdu la confiance. C’est dingue. C’est un mec pur, enfin un mec qui veut se faire des filles quoi. Aucune méchanceté dans le mec. Je sais pas pourquoi je dis ça, je ferais mieux de fermer ma gueule, mais en revoyant la couve du "petit malheureux" c’est pleins de moments forts qui remontent, l’émotion me nique les yeux.
Ce roman est formidable. À offrir à ses amis…
moi aussi j’ai lu ce livre qui n’est pas dénué de qualité. Et je suis chamboulé de lire le post de half a person.
Qu’est Guillaume devenu ? oui qui avait certain don pour la littérature, une pronfondeur mêlée de dilettantisme. aussi bien chez le bonhomme que chez le personnage.
Je me souviens de ce sale gosse sensible que j’ai crois qqfois. La magie du Web 2.O ? de reparler de qqqn qu’on plus vu de belle lurette ?
(Bidulette, celle qui amenait des gâteaux, dans ses soirées parisiennes perdues en banlieue.