Colette s’inspirait des forêts et des jardins, les jeunes auteurs défrichent eux de nouvelles sources d’inspiration… Après le cinéma qui a fait naître de nouvelles formes d’écritures proches des scènes d’un film, les jeux vidéo semblent devenir un nouveau terrain d’exploration pour la fiction. De Chloé Delaume à David Calvo…
Chloé Delaume, passionnée de jeux de rôle (JDR), de plateau et de jeux vidéo, est l’une des premières à l’avoir expérimenté. Dans Corpus Simsi, paru en 2003, elle analyse le rapport entre fiction et virtuel, et le jeu « en tant que territoire d’investigation poétique. « Les jeux vidéo constituent en soi un support artistique encore trop peu exploité à ce jour. Alors que le détournement, le cut, la réappropriation d’images fixes et mouvantes sont couramment usités, le jeu vidéo, probablement victime de son aspect populaire et générationnel, est rarement pris pour ce qu’il est : un générateur de fiction, doublé d’un outil technique singulier », explique t’elle sur son site.
Toutefois, elle nuance l’incidence des jeux sur son travail dans une interview donnée au site Portnawak.net : « Les Sims, par ce qu’ils symbolisent et mettent en exergue, peuvent être un matériau de travail parfait mais je ne vois pas l’intérêt de bosser à partir de Final Fantasy, bien que j’ai joué à tous les opus. Un jeu de rôle, c’est comme un jeu vidéo : l’immersion seule m’intéresse, en fait. C’est comme partir en vacances dans un lieu exotique, c’est de l’ordre du privé, pas du travail. » Dans « Certainement pas », publié en 2004, elle s’aventurait également sur le jeu du Cluedo pour retracer les trajectoires torturées de ces personnages.
Son prochain roman, « J’habite dans la télévision« , à paraître en cette rentrée littéraire 2006, s’attachera lui à comprendre en quoi consiste la mise en disponibilité mentale des téléspectateurs, comment l’humain devient « un outil au service de « la fiction collective » (voir billet sur la rentrée littéraire 2006 vue par Chloé Delaume).
De son côté, David Calvo, jeune auteur (né en 1974 à Los Angeles) du roman « Minuscules flocons de neige » chez la jeune maison d’édition Les Moutons Electriques, s’intéresse lui aussi aux jeux vidéos (et pour cause il est aussi développeur !). « La fiction ne guérit plus du réel, elle agonise et le réel la soigne. Le compte à rebours de la modernité a déjà commencé, nous vivons tous dans un remake de TRON. », dit-il en préambule de ce roman sur la solitude digitale et la poésie de la postmodernité.
« Dans une forme expérimentale (insert de dialogues télévisés, poèmes, photos et dessins), il décrypte avec talent les sociétés virtualisées et paranoïaques dans lesquelles nous évoluons tous aujourd’hui », résume parfaitement le blog Mille feuilles de Fluctuat. Le webzine lui consacre également un entretien très intéressant dans lequel Calvo explique qu’il puise désormais davantage dans l’univers des jeux vidéos et lis de ce fait moins : « Je lis moins aujourd’hui parce que je suis plus impatient. Je joue plus parce qu’il se passe dans le virtuel en général des environnements qui dépassent le cadre de l’entertainment ou du développement personnel. D’ailleurs, je n’ai plus l’impression de jouer. Je continue mon travail d’auteur, dans une autre réalité, c’est tout. Le virtuel est une extension de l’imaginaire. Je trouve là-bas des choses que je rêvais de voir fonctionner – des modèles d’organisation, de nouvelles technologie, un nouveau rapport à l’émerveillement. (…) J’essaie d’envisager la façon dont l’illusion de liberté pourrait être implémentée dans le réel, ou comment une nature digitale pourrait trouver une légitimité dans notre monde« …
Présentation de l’éditeur :
Los Angeles, aujourd’hui. Pris dans les filets d’une secte nihiliste, un jeune journaliste exhumera malgré lui les derniers secrets d’une ville inhumaine où s’achève la réalité, où commencent les terreurs d’un imaginaire devenu concret. Qu’est venu faire Osamu Tezuka en Californie, au début des années 50? Qui sont les mystérieux dramaturges qui prétendent réveiller Godzilla? Que dissimulait Walt Disney dans les souterrains de son studio de Burbank? Los Angeles a-t-elle réellement été colonisée pendant la guerre par un envahisseur invisible? Ces particules blanches qui noient le ciel sont-elles le fruit d’une nanotechnologie venue du Japon ou les pixels d’une neige signalant la fin du monde? À quoi serviraient des réponses?
David Calvo est né à Los Angeles en 1974. Retourné dans sa ville natale pour devenir développeur de jeux vidéo, il en a rapporté un roman sur la solitude digitale et la poésie de la postmodernité. Il vit aujourd’hui dans une arcologie du sud de la France.
« Merveilleux Calvo. » Le Monde ; « David Calvo montre que les littératures non-mimétiques n’ont en rien perdu leur puissance d’expérimentation, leur discours propre. » Galaxies.
Dans son dernier roman intitulé « Dieu Jr« , l’auteur américain Dennis Cooper imagine la quête d’un fils perdu trop tôt par son père (responsable de l’accident qu’il l’a tué) à travers sa GameCube et livre ainsi un « requiem électronique » tout en se penchant sur la force des liens filiaux.
Il reprend la partie du jeu là où son fils l’avait laissée et tente ainsi de trouver un substitut à son absence intolérable et des clés pour comprendre sa mort. « Et si ce jeu avait créé la vie comme une chose radicalement différente ? Et si c’était une authentique oeuvre d’art qui aurait changé pour toujours le monde du jeu ? Ou peut-être que je suis défoncé et que c’est qu’un tas de foutus pixels ? », s’interroge t’il.
Commencent alors à se confondre dans son esprit réalité et virtualité à mesure qu’il s’immerge dans les mondes en 3D. Le père poursuit le fantôme de son fils dans l’écran et lui construit, ce faisant, un mausolée délirant « Je ne sais pas pouquoi un mond efaux a rendu la mort de mon fils si stimulante, ni pourquoi le monde réel est si rugueux, parce qu’un jeune paresseux l’a quitté. », confie t’il au détour d’une page. Interrogé par le magazine Chronicart, l’auteur explique son intérêt littéraire pour le jeu vidéo : « J’ai toujours aimé le jeu vidéo, ,otamment dans ce qu’il a de fondamentalement expérimental. J’aime ses possibilités narratives, possibilités que j’ai déjà utilisées de manière moins explicité dans Period. Tout comme la pornographie ou la violence, le jeu vidéo dégage une énergie incroyable : c’est un moteur passionnant. Dans le jeu, j’aime la notion de progression : on se demande ce qui va se passer, on est pleinement impliqué. Il y a quelque chose de mystique dans l’expérience du jeu vidéo. Le joueur est un dieu, un peu comme l’écrivain. » (voir la critique de Christophe Greuet ci-dessous en commentaire)
Ajout du 16/08/2006 : Merci à Romain qui nous signale l’existence d’un dossier intéressant (et au graphisme léché !) sur les addictions paru sur Lemonde.fr. Parmi ces addictions, est abordée l’addiction aux jeux-vidéo, en particulier aux simulateurs de vie virtuelle avec avatars. Le sujet n’est pas nouveau mais rappelle ses dangers et les formes extrême que peuvent prendre cette dépendance au point de réduire les joueurs à des « no-life« . Après tout « la vie est ailleurs », nous disait déjà Kundera…
Extrait (témoignage d’un « accro ») : « J’ai traversé des périodes où je jouais presque 19 heures par jour. Réveil à 9h et puis du jeu, du jeu quasi non stop, jusqu’à 4h du matin et rebelote. J’ai même passé jusqu’à une semaine sans mettre un pied hors de l’appartement. Sortir, croiser des gens, c’était bizarre. C’est le paradoxe de la grande ville, pouvoir s’isoler dans la multitude (…) Rien ne me rappelait à la vie réelle. » Un décrochage dû à la vacuité de sa réalité alors qu’au sein de la Guilde, la vie est dense : échanges, concours, commerces… Une forte socialisation cimente une communauté. « Nous jouons en permanence avec d’autres personnes, nous n’avons pas le sentiment de nous retirer du monde, précise le chef de la horde. » Et d’ajouter : « Notre guilde est puissante. Nous sommes respectés et courtisés (…) Nous ne recrutons que les meilleurs d’après des critères d’embauche très stricts : pas d’amis, pas de famille, pas de travail… du jeu, rien que du jeu. Les chômeurs sont appréciés. »
Edifiant…
7 Commentaires
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Coté littérature étrangere, il y a aussi cette rentrée le nouveau DEnnis Cooper, Dieu Jr., qui parait chez PoL. Un père y "retrouve" son fils décédé à travers la dernière partie joué par le fils sur sa console.
Livre très brillant, comme souvent d’ailleurs chez Cooper.
Merci Christophe. C’est extra ce pitch ! On peut être un peu sceptique voire inquiet de cette nouvelle "tendance" mais finalement elle apparait assez féconde…
PS : super votre critique sur Hitomi Kanahera, n’hésitez pas à faire un trackback sur la nôtre !
Je crains que cela ne finisse par faire de la "littérature concept", qui sous ces abords très modernes, n’en reste pas moins illisible.
après avoir lu l’interview de david calvo sur fluctuat, j’ai lu son livre, que j’ai dans ma librairie, et voilà mon avis : ce n’est pas tant que le livre est illisible (après tout, beaucoup de livres modernes le sont aussi – à commencer par ceux de delaume, que j’aime beaucoup par ailleurs), mais il s’agit d’une vision assez pointue de quelque chose auquel on ne connait pas grand-chose. Je n’y connais rien aux jeux vidéo, mais ça ne m’a pas empéchée d’aimer ce livre pour ce qu’il est, à savoir quelque chose de différent. Mon fils joue beaucoup aux jeux et je crois que j’aimerai qu’il le lise.
Evidenz, que mets tu exactement derrière le terme de "concept" ?
Penses tu ainsi à une stratégie marketing pour coller à la mode ?
Cette "tendance" semble plus découler d’une volonté de recherche littéraire, explorer de nouvelles voies narratives, un peu comme l’a fait en son temps les membres des l’Oulipo dont Chloé Delaume est d’ailleurs une fervente lectrice.
Merci Piranese de ce témoignage qui montre que l’on est pas obligé d’être un mordu de jeu vidéo pour apprécier…
Merci pour le pitch !
Une idée de bon bouquin à lire sur ce sujet -attention, ce n’est pas un roman, mais une étude sociologique : "Jeux de Rôle, Jeux Vidéos, Multimédia, les faiseurs de monde" de Laurent Trémel (PUF).
Je ne suis pas forcément l’auteur sur tout son discours, mais le propos et l’analyse gagnent à être lus.
Bonne lecture.
A+
blog de calvo ici
http://www.pomofrag.org
il est game designer aussi