Rentrée littéraire (3) : La télévision, filon (et bouc émissaire) inépuisable des jeunes auteurs ? De Rick Moody à Chloé Delaume ou Grégoire Hervier…

La télé c’est moche, c’est pas bien. Abrutissement hypnotique, programmes bêtifiants ou immoraux, bourrage de crâne, miroir aux alouettes, surenchère du trash et du kitsh… : elle s’attire régulièrement les foudres des écrivains qui s’égosillent à qui mieux mieux pour en dénoncer les « dérives » et les « dangers » et la diaboliser. Après Lolita Pille qui venait s’indigner sur tous les plateaux TV, lors de la sortie de Bubble gum de la « gravité » de la Star Academy ou encore Amélie Nothomb qui imaginait dans Acide Sulfurique un jeu de téléréalité extrême version camp de concentration, la rentrée littéraire accueille à nouveau son lot de satires de la télévision et critiques (originales ?) de la société du spectacle… Mais est-il bien nécessaire de tirer sur une ambulance ?


Le plus percutant (même si un brin alambiqué) semble être celui du petit dernier du Diable Vauvert avec une couverture choc qui a le mérite de retenir l’attention : « Scream Test » : « le livre qu’Amélie Nothomb n’a toujours pas écrit sur la télé-réalité« , comme le présente avec aplomb Marion Mazauric, son éditrice (Diable Vauvert), en interview dans le journal Le Monde. Il s’agit du premier roman d’un auteur né en 1977, Grégoire Hervier, jeune écrivain passionné de cinéma fantastique et d’horreur, de rock et de karaté. Il livre une parodie de polar gore (de slasher plus exactement pour les experts du genre) et tourne en ridicule les dérives médiatiques avec un humour noir plutôt réussi.

L’histoire résumée par l’éditeur : A Los Angeles, sept jeunes gens disparaissent, laissant leurs familles sans nouvelle. Tous ont pour point commun d’avoir participé à des castings de reality shows. L’enquête menée par le lieutenant Clara Redfield connaît un rebondissement inattendu lorsqu’on découvre que les disparus sont les candidats d’une émission de télé réalité diffusée sur Internet, The last one, en concurrence directe avec l’émission d’ABC, The good one. Une concurrence déloyale qui met le FBI sur les dents et fait exploser l’audimat grâce à son nouveau concept : chaque jour, le perdant sera exécuté en direct.
Bientôt toutes les chaînes de télé traditionnelles couvrent l’événement et rivalisent d’ingéniosité pour gagner la bataille de l’audimat. L’une d’elles va jusqu’à organiser un loft des familles des futures victimes, qui assistent ainsi en direct à l’élimination (au sens propre !) de leur progéniture… Pendant ce temps, Clara piste les criminels, des as de l’informatique qui sont parvenus à effacer toute trace de leur site. Construit comme un thriller, le roman monte en puissance au rythme de chapitres qui suivent les journées des candidats : comme il est de mise, à l’issue des votes du public et des jours dramatiques, il ne doit en rester qu’un…

De son côté, Rick Moody décrit dans « Le script« , la course poursuite d’une célèbre productrice de cinéma obèse et féroce, prête à tout, pour retrouver un mystérieux scénario, qui serait LE film du siècle : une quête semée d’embûches, impliquant braqueurs de bijouterie et coursiers schizophrènes à vélo… L’occasion pour l’auteur de Tempête de glace de dresser un portrait au vitriol du show-biz new-yorkais, fustigeant sa vulgarité, sa violence et son cynisme.
Des acteurs ratés aux agents mafieux en passant par les mégalos des castings, les coachs endoctrinés, les starlettes écervelées ou encore les politiciens sans scrupules désireux de passer à l’écran… « Les gens deviennent idiots devant une caméra », écrit l’auteur exaspéré par cette obsession de la célébrité.

Le fameux et bien trash « A l’estomac » de Chuck Palahniuk présenté précédemment, s’inspire aussi des mécanismes les plus sordides de la téléréalité pour décrire les parcours d’apprentis-écrivains prêts à tout pour connaître la gloire.

Enfin, Chloé Delaume, romancière et au coeur des coulisses de la télévision toute l’année 2005-2006 dans l’émission « Arrêt sur image » a nourri son dernier opus « J’habite dans la télévision » de son rapport très personnel à ce « produit brun, encombrant et inesthétique », « cette lucarne hystérique, vitraux maniaco-dépressifs et mosaïques d’un carnaval foulant le temple en saccadés. »
Dans la lignée des critiques qu’elle avait déjà émises dans « Certainement pas », elle décrypte dans ce livre qui tient plus de l’essai que du roman (sous une forme originale de « 27 pièces » à mi-chemin entre le puzzle et le journal de bord), les conséquences corporelles et mentales induites par le visionnage intense des flux cathodiques…
L’auteur a eu la bonne idée de proposer des montages audio-musicaux illustrant « J’habite dans la télévision ». (voir aussi les articles sur une rencontre-lecture de Chloé Delaume et son intervention au Salon du livre 2006)

Et si, au lieu de la critiquer, la télé, on l’éteignait tout simplement ?

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3 Commentaires

  1. La télé et les écrivains, c’est un vieux débat.

    "Apostrophe" et "Bouillon de culture" avaient montré que l’on pouvait parler intelligement de livres (malgré quelques défauts.)
    Désormais, à la télé, on parle de livres pour faire "cultivé". On installe côte-à-côte le footballeur qui prétend avoir écrit son autobiographie et le romancier. Les écrivains n’ont que quelques secondes pour parler de leurs oeuvres, entre deux questions bateaux (pour Amélie Nothomb: "Vous mangez toujours des fruits pourris?".) Le pire, c’est qu’à la rentrée littéraire, les maisons d’éditions se battent pour caser leurs auteurs dans telle ou telle émission et toucher le maximum de lecteur…

    Bref, à mon avis, tout le monde est coupable.

    • Evanesca sur 24 août 2006 à 18 h 23 min
    • Répondre

    Je me trompe peut etre mais j ai l impression que depuis le cri du sablier chloe delaume devient une caricature d elle meme ?
    je prefere depuis quelques annees lire son journal en ligne (bien meilleur) que ses derniers bouquins. Dommage…

  2. Bienvenue Joest et merci de tous tes commentaires intéressants ici et là.
    Dans ce billet, il s’agit plutôt de la perception des auteurs sur les programmes TV en général (téléréalité…) qu’ils dénigrent, et pas forcément les émissions littéraires (qu’ils dénigrent aussi de toute façon, tu as raison).
    Un billet intéressant signalé sur librairie.caracteres.free…

    et visible sur slaurent.over-blog.com/ar…
    où l’auteur dit : "Je me suis toujours méfié des auteurs qui parlent bien de leurs livres, depuis que, jeune adulte, j’avais été séduit par le discours de Philippe Adler sur son roman Les amis de ma femme, qui en réalité ne vaut pas plus qu’un scénario de sitcom ou une pièce de boulevard avec Michel Leeb. Disserter sur le vide semble être un art à part entière que maîtrisent à merveilles tous les zozos cités plus haut. Voilà pourquoi je conserve une tendresse toute particulière pour Patrick Modiano, incapable de terminer une phrase et qui n’a rien à dire sur ses livres. Sans doute parce qu’ils sont bons et qu’ils parlent d’eux-mêmes." Sic

    Evanesca, d’accord avec toi pour le blog de C.Delaume qui est souvent très bon ! Pour le reste, tu es seule juge 🙂

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