« Le petit malheureux » est l’unique et mémorable roman de Guillaume Clémentine, écrit à l’aube de sa trentaine. Dans ce livre étonnant, il décrit l’existence d’un érémiste parisien, looser magnifique tout à la fois oisif, ivrogne à ses heures, fumiste et surtout terriblement attendrissant derrière son cynisme de façade. Particulièrement doué en théorie, il nous livre celle des « samedis soir » : « glauque », « calme » ou « agité. Une petite typologie truculente !
Il existe trois sortes de samedis soirs :
Le samedi soir glauque que l’on passe chez soi, tout seul, en faisant semblant de bouquiner, au fond incapable de faire quoique ce soit, perturbé par le silence de ce téléphone qui refuse de sonner. Ces soirées là, en dehors de l’ennui mortel qu’elles suscitent, nous remettent atrocement en question. Nous entendons les cris de joie qui montent de la rue. Toute cette frivolité qui dégueule de partout, sans nous, à travers Paris, nous semble insupportable. Nous avons l’impression que l’humanité entière est un gigantesque lupanar dont nous sommes à jamais exclus. Qu’avons nous donc fait pour être ainsi mis à l’écart ? Pourquoi ? Le méritons-nous ? Où sont nos amis ? Avons-nous encore des amis ? Tous à nos calepins, nous recomposons sans cesse et sans cesse des numéros de téléphone pour tomber sur des répondeurs qui ont l’air de nous dire merde.
Quoique de plus en fréquent, le samedi glauque, soirée morbide, ne constitue pas encore la norme de nos vies. Il peut être évité par la conjugaison de quelques solitudes et la mise en place de solutions de dépannage.
De la même manière que les samedis glauques nous permettent de faire le point ur nous-même, les samedis calmes nous permettent de faire le point avec les autres. Ils se terminent en effet souvent par de grandes discussions, jusqu’à tard dans la nuit, au cours desquelles nous constatons que nous avons encore des choses à nous dire loin des frivolités de la musique et de l’alcool.
Les samedis soirs agités sont bien sûr ceux vers lesques se tournent nos préférences. Ils consistent en de grandes soirées chez les autres, qui en général ne nous ont pas invités, ce qui accroît d’ailleurs d’autant plus notre espace de liberté. Libérés des contraintes sociales qui nous affligent toute la sainte journée, nous prenons enfin le droit d’être nous-mêmes, ivrognes, fêtards, sensuels, dégénérés. Dix ans qu’on se construit des souvenirs en vidant des bouteilles de scotch chez les autres ! Dix ans qu’on visite les appartements parisiens, de la chambre de bonne au triplex avec piscine, de la rive droite à la rive gauche ! Saoulés de femmes et d’alcool, nous en arrivons alors à croire au bonheur et à notre éternelle jeunesse. Il suffit d’un appartement accueillant pour organiser une petite bouffe ou échanger quelques cartes en parlant du cul des femmes. Ces soirées là, quoique peu exaltantes, nous permettent au moins d’échapper à la morosité dans une ambiance paisible et conviviale.
3 Commentaires
Ce roman est jubilatoire…qu’est devenu cet auteur?
Ah enfin quelqu’un qui connaît ce roman ! Il semble que l’auteur n’ait en tout cas pas récidivé. Peut être pointe t’il toujours au RMI et poursuit-il sa carrière d’oiseau de nuit éthylique ?
ce livre est depuis plusieurs mois mon livre de chevet ….je suis fan et déçue de constater que c’est son unique livre, pourquoi avec un tel talent ?