Les clefs du bonheur est un recueil de nouvelles, le genre où Vincent Ravalec excelle, et qui confirme tout son art pour croquer les mésaventures rocambolesques des galériens de la société. Il est publié en 1993, juste après « Un pur moment de rock’n’roll« , son premier roman qui l’a sorti de l’ombre (et lui valut le prix de Flore) et avant son célèbre « Cantique de la racaille » en 1994 (adapté au cinéma). A travers cinq récits hauts en couleur, il affirme son style tragicomique et une voix unique qui rappe, swingue et décolle, dans le grand terrain de jeu urbain qui lui sert de décor. Entre drôlerie, pathétisme et insolence, il dresse une galerie de portraits qu’il est difficile de quitter une fois la dernière page tournée…
Ce (court) recueil s’ouvre sur la nouvelle phare qui lui a donné son titre et qui s’avère la plus longue également. Particulièrement truculente, elle place son action dans un centre de réinsertion pour jeunes déliquants.
Tout juste rescapé de sa banlieue, Kamel est contraint de se mettre au vert, aux Clefs du Bonheur, un lieu de vie qui doit le remettre dans le droit chemin. Entre sa découverte ahurie des joies de la campagne (« On peut dire ce qu’on veut sur la ville, qu’il y a de la pollution, que c’est mal fréquenté, mais au moins il y a des trottoirs. En descendant j’ai mis de la boue plein mes baskets, c’était tout gadouilleux et un chien m’a sauté dessus exprès pour me déguelasser le pantalon.« ) et le déroulement de sa psychothérapie, il ira de surprise en surprise. Supervisée par une sorte de gourou new-age, elle prendra rapidement des allures surréalistes par ses exercices loufoques pour « débloquer ses émotions » (comme sauter à pied joint en slip en ahanant ou hurler des insanités en se remémorant des souvenirs douloureux du passé…), les conseils abracadabrants de son responsable et ses pratiques « très conviviales » (tout le monde couche avec tout le monde)… Des délires de « dingo » qui entraînent par la même occasion le lecteur de fou rire en fou rire !
« Bruno a quitté sa place et s’est collé derrière moi.
– Là vas-y, relâche.
Il me palpait le ventre avec son poing
-C’est dur là-dedans, c’est bourré d’agressions, il va falloir qu’on travaille tout ça.
Evidemment que c’était dur, c’est le but de la boxe thaï, de vous endurcir, pas de vous ramollir ! »
La suite des nouvelles reste dans la même veine nerveuse et humoristique. Qu’il s’agisse des déboires d’un dealer face à l’amour et son envie de paternité (Renato), d’un plan à trois de dépucelage qui finit sur une épouvantable méprise (Porte Dauphine), ou encore la fascination exercée par un junkie numérologue (nouvelle qui préfigure la fascination de l’auteur pour l’esotérisme) adepte de la « Loi du Hasard » et de « la Chance virtuelle » pour gagner sa vie, sur une petite frappe désargentée… « Le premier qu’essayait de me chourer mon bonheur, je le tuais sur place. (…) C’est incroyable comme d’avoir un peu de pognon devant soi change la vie, même pour aller voler on est plus tranquille.«
Pour tous en quête d’argent ou de filles faciles, une seule issue : la chute et les désillusions… avant de rebondir ailleurs !
Entre arnaques en tout genre, frictions avec les flics et petits arrangements avec la réalité (et avec la loi), Ravalec décrit avec la plus grande justesse le décalage perpétuel de ces paumés, de ces petites frappes malchanceuses ou allumés de tout bord qui peuplent les villes, en marge de la société.
Le tout sans une once de mépris mais plutôt avec une tendresse amusée. Un sens inné de la dérision (« Il y avait une deuxième ville à côté de la première, la même mais en jeune.« ), du loufoque, du pathétisme joyeux et jamais sordide. Et un sens du dialogue cocasse au service de l’absurde, qui pourrait en faire un fils d’Audiard. Son langage ancré dans le réel voire l’oralité est très novateur et préfigure celui employé par de futurs Bégaudeau ou Faïza Guène…
Une devise pour résumer le fil conducteur de toutes ces nouvelles ? « Rien ne va mais tout roule ! »
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