Un titre qui peut effrayer les auteurs wanna-be, qui préparent leur premier roman ou attendent fièvreusement sa publication. C’est pourtant le thème original du roman « Parano » de l’écrivain canadien Jan Lars Jensen qui raconte ici sa propre histoire. Celle d’un auteur qui, après la publication de son premier roman, tombe en dépression et tente de se suicider.
« Allongé dans mon lit, j’attendais mon tueur. Je ne doutais pas qu’il viendrait durant la nuit mais fus déconcerté par la manière dont il choisit de révéler sa présence. » Le début de Parano, met immédiatement le lecteur dans l’ambiance (noire) de ce livre où l’auteur décrit sa descente aux enfers avec une sincérité saisissante.
En publiant son premier roman, Shiva 3000 (non traduit en français), histoire de science-fiction sur l’Inde du quatrième millénaire, Jan Lars Jensen n’aurait pu imaginer de telles conséquences. « Je rêvais depuis toujours de devenir écrivain. Mais le jour où c’est arrivé, mon plus grand rêve s’est transformé en pire des cauchemars. » confie t’il dans un entretien mené par Fluctuat*.
Et d’ajouter : « La solitude de l’écrivain, l’isolement dans lequel il se trouve pour écrire est difficile et coupe un peu de la société. Les écrivains sont plus sensibles à ce qui les entoure, prennent plus le temps d’observer leur environnement. Ils sont donc plus enclins au doute, à la remise en question, et donc à la dépression.«
Le risque du succès est de se laisser dépasser. Au lieu de fêter sa gloire, il se persuade qu’il a provoqué un désastre et sombre alors au point de tenter de se suicider. Sauvé in extremis, il est interné dans un hôpital psychiatrique. Pris au piège de son propre livre, il se trouve alors sujet à des crises de paranoïa qu’il ne peut maîtriser. Ses boissons sont des poisons, ses amis des ennemis, ses proches des traîtres, et son livre, Shiva 3000 (Shiva étant la déesse indienne de la destruction) le facteur déclencheur d’une guerre nucléaire…
Témoignage sur la folie, « Parano » angoisse réellement et plonge le lecteur dans les mécanismes du délire et de la confusion mentale tout en posant en filigrane la question « Ecrire peut-il tuer ? ».
Jan Lars Jensen a d’ailleurs longtemps hésité avant de publier « Parano » même si cette écriture -très clinique » lui a servi de thérapie. Un livre que l’on pourrait bien recommander à un certain Michel…
Extraits de « Parano » :
« J’ai le malheur d’avoir compris de quoi j’étais l’instrument et si je le couche maintenant sur le papier, c’est dans l’espoir que l’humanité pourra en faire quelque chose. J’ai écrit un roman dont le titre est Shiva 3000. Shiva, déesse indienne de la destruction – la puissance destructrice – est celle dont, sans l’avoir désiré, j’ai causé l’avènement ».
Je rendis la feuille de papier imprimée au docteur Brophy. Nous étions à nouveau dans son petit bureau.
« -Vous reconnaissez ce papier ? me demanda t-il.
– C’est l’e-mail que je me suis envoyé à moi-même le jour où j’ai été hospitalisé. »
« Le lendemain matin, les choses m’apparaissaient clairement. […] Tout avait commencé avec mon livre. La suite était simple. J’essayai d’imaginer des solutions pour rompre le processus mais il n’en existait aucune. Aucune. Le désastre se frayait un chemin autour de mes tentatives. Je ne pouvais que tout aggraver. Tout rendre pire. L’engrenage était fatal. Publication. Outrage. Protestations. Procès. Cours de justice internationales. Violence généralisée. Conflits armés. Guerre nucléaire. Le soleil perçait à travers les vitres. Il y avait quatorze jours que je n’avais pas passé une nuit complète et j’étais éveillé depuis soixante-douze heures. Mais je n’avais pas sommeil. Mes yeux étaient grand ouverts. Je venais de comprendre ma position unique dans l’histoire du monde. »
Lire la chronique de Parano sur Fluctuat
Lire *une interview de Jan Lars Jensen sur Fluctuat
1 Commentaire
Cette note et l’aventure de Jan Lars Jensen me fait vraiment penser à cette question classique plus générale : après avoir voulu être connu, d’une manière ou autre , comment vit-on le fait de rencontrer le succès, mais aussi d’être exposé aux média et au regard du public ?
Il faut croire que ce n’est pas si facilement gérable, et les pétages de plombs de tous ordres se rencontrent si fréquemment. Vouloir être connu est souvent associé à vouloir être reconnu en tâche de fond, signe chronique d’une estime de soi fragile ?
Votre billet m’a donné envie de lire ce livre, autant par intérêt pour le contenu de l’ouvrage, que pour les extraits que vous avez choisi : ils m’ont "accroché" et donné l’appétit.
Ça fait un livre de vendu grâce au Buzz, et accessoirement un livre de plus dans ma bibliothèque, et pas encore les moyens d’avoir un 150 m2 : j’ai trouvé, je vais ajouter quelques tables ici et là, et fabriquer leurs pieds en empilant tous les bouquins qui jonchent mon sol faute de place.
Mr Jensen, tenez bon et continuez, sincèrement.