« U.V » de Serge Joncour, récompensé par le prix France Télévision, ce quatrième roman, après son remarqué roman « Vu » en 1998 (qui n’a rien à voir avec le thème d’U.V si ce n’est le jeu de mot sur leur titre respectif) est paru en 2003 aux éditions Le Dilettante, et adapté au cinéma par un jeune réalisateur Gilles Paquet Brenner en mai 2007 (le scénario a été co-écrit par Lolita Pille). L’auteur en entomologiste poursuit ici son exploration d’univers sombres où règnent une inquiétude sourde, une mélancolie et une angoisse diffuse, toutes ces « situations délicates » qui le passionnent (et qui seront aussi le titre de son recueil de nouvelles) et qu’il cisèle avec une cruauté subtile et ambigüe, enserrant ses personnages dans l’étau de leur solitude… La critique a notamment saluer son « humour froid » et « sa créativité métaphorique et langagière ». Il crée ici un nouveau genre de « roman noir » où la psychologie des personnages est au coeur de ses récits. U.V joue ainsi la carte du « faux » thriller psychologique et de la satire sociale, en imaginant une intrigue familiale autour d’un mystérieux convive sur fond de villa luxueuse en bord de mer…
C’est une histoire simple que nous propose ici Serge Joncour, une histoire de moeurs avant tout basée sur l’étude psychologique de ces personnages et des relations (entre rivalité et séduction) qui vont se tisser peu à peu entre eux, assombries par l’ombre du secret qui plane…
Dans une superbe villa, sur une île bretonne (qui fait très Riviera), sous un soleil ardent, une famille bourgeoise passe ses vacances tranquillement. Un inconnu débarque et se présente comme l’ami de leur fils Philip qui doit les rejoindre sous peu.
Très vite l’homme en question, prénommé Boris, va conquérir l’amitié et l’estime de chacun en particulier du père véritable patriarche qu’il sait flatter et mettre en confiance. Il séduira aussi les deux soeurs de la maison qui ne résistent pas à son charme. Seul le frère André-Pierre reste sur ses gardes. Il n’aime pas ce genre de type, sûr de lui et bronzé, qui prend ses aises si rapidement… Alors que l’arrivée de Philip tarde, la tension monte crescendo et l’on se demande qui est véritablement ce Boris ? Quel secret cache-t-il derrière ses airs affables ? Et pourquoi Philip, qui doit tirer le traditionnel feu d’artifice du 14 juillet, tarde-t-il à arriver ? Peu à peu des indices sont distillés jusqu’au dénouement final.
L’écrivain met ici en scène le thème de la manipulation avec le personnage de Boris, très archétypal : « Un type capable de capter la première fille venue, un type capable de faire ouvrir le droguiste avant 16h, un type capable de se faire aimer de tous dans cette famille, de se faire unanimement adopter, et tout ça en deux jours à peine, à coup sûr ce type là faisait des autres ce qu’il voulait« . On ne peut bien sûr s’empêcher de penser à d’autres héros de films qui ont marqué le cinéma comme « Harry, un ami qui vous veut du bien » ou encore « La piscine ».
Il tente d’installer une atmosphère à la fois éblouissante (la chaleur étouffante et le soleil étincelant qui domine l’action) et menaçante, en mettant en scène le décor opulent qui constitue presque un personnage à part entière : « la pelouse vert émeraude lissée comme un velours, le Trianon de pierres blanches, la piscine au bas des marches, les fauteuils translucides, les transats en teck, cette suprême désinvolture du luxe… » Parties de golf, de tennis ou bain de minuit rythment ainsi les pages et dévoilent chaque fois un peu plus la vraie nature de chacun. Ainsi, il travaille particulièrement son style, multipliant les descriptions et les impressions qui sous tendent chaque attitude ou comportement, creusant les non-dits et les ambiguités de chacun.
La critique et les lecteurs ont ainsi salué son « élégance et sa légèreté », son talent et son efficacité pour faire monter la tension nerveuse au fil des heures d’attente (aussi bien angoissante qu’érotique) et semer le trouble dans l’esprit du lecteur, ou encore la subtilité de sa prose qui joue sur les sous-entendus et les sensations.
Pourtant, ce roman pèche par son manque d’originalité, on sent le mauvais coup se profiler dés la première page, ce qui nuit à la crédibilité du personnage principal. Par ailleurs, le style (trop ?) travaillé de Serge Joncour peut aussi apparaît apprêté et verbeux avec des phrases à rallonge qui à force de vouloir être « riches » en deviennent surtout lourdes : « Pour lui ce disque relevait du rituel, celui de la fin de sieste, le rappel du soleil revenu derrière les persiennes, l’enthousiasme renouvelé d’un été toujours bien là, ce parfum de mer capté en plein élan, celui du vent qui le pousse, et ce geste couru d’avance de revisiter tout le ciel en y promenant son regard, tout ça lui revenait comme un mouvement de sympathie…« , tandis que les clichés sur le milieu bourgeois abondent…
Sans image réellement forte, l’émotion ne passe pas même si quelques analyses sont assez fines (comme le malaise ressenti par André-Pierre par l’intrusion de cet étranger dans le cocon familial paisible ou encore la complexité des rapports domination/victime entre méfiance, mépris et fragilité). Autre défaut qui crée un sentiment d’ennui : la lenteur de l’intrigue qui semble se traîner en longueurs jusqu’à ce que le dénouement arrive enfin dans les toutes dernières pages un peu brusquement du coup (et pas franchement à la hauteur de l’attente…).
L’adaptation ciné d’U.V
La forme très cinématographique du roman « U.V » a attiré les réalisateurs. Tout d’abord Claude Chabrol qui a commencé son adaptation mais a dû abandonner en raison de problèmes techniques. Repris par un jeune réalisateur, Gilles Paquet Brenner (on lui doit notamment « Les jolies choses »), le film a finalement pu voir le jour avec une esthétique très chabrolienne d’ailleurs. Sous la forme d’un huis-clos luxueux, il a été tourné à à Ramatuelle avec dans les rôles titres Jacques Dutronc ou encore Laura Smet.
Inspiré par des films comme « Les proies » de Don Siegel ou « Plein Soleil », le réalisateur commente : « Il y avait une atmosphère « visuelle » très forte dans le roman mais aussi une intrigue qui tenait en haleine : il ne se passait pas grand-chose, mais suffisamment pour que l’on ait envie de connaître la suite, avec une fin relativement ouverte, explique Gilles Paquet-Brenner. Du coup, j’avais envie de faire un film qui soit semblable à un conte, que l’on ne sache plus vraiment à l’issue du film si l’on est dans le réel ou dans le domaine du rêve, du fantasme. » A l’origine, UV étant un roman peu dialogué, mais qui fait bien plus ressentir des mouvements de sentiments, le film tout à l’image du texte mise sur la performance des acteurs à restituer ces mouvements de sensations qui sont au cœur du récit. La critique a été assez mitigée à son égard oscillant entre l’appréciation de son caractère envoûtant et regrettant l’exercice de style trop léché…
Le site officiel du film
Deux ou trois que l’on sait sur Serge Joncour :
Son style, Serge Joncour a eu tout le temps de le travailler, de le gratter jusqu’à l’os.
Dix manuscrits refusés avant la première publication en 1998. Avant ? « J’apprenais. J’ai eu le temps d’analyser la profondeur de ma motivation. » Depuis : six livres en autant d’années, la réputation d’un écrivain « marginal » (c’est son mot) brouillée par la parution de L’Idole sous la houlette de Frédéric Beigbeder.
L’ultra-médiatisation de l’éditeur, pour un livre sur l’ultra-médiatisation emballée d’un système qui tourne à vide : carambolage. N’importe. Serge Joncour écrit, « pour me donner les moyens d’écrire ». En se promettant de « travailler moins » pour s’affranchir d’un style qu’il redoute, peut-être, de trop bien maîtriser. Ce qui est un luxe – rarissime – d’écrivain. (Source : « La couture », 2004)
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