La littérature mondiale contemporaine nourrit un complexe d’infériorité à l’égard de la littérature américaine qui serait la seule encore capable d’innover, d’imaginer ou de raconter des histoires dignes de ce nom… Qu’il s’agisse d’un fantasme ou d’une réalité, le traditionnel salon du livre ne suffisait en tout cas plus à présenter sa richesse et à satisfaire les inconditionnels. Depuis 2002, existe donc un « Festical America » qui lui est entièrement dédié ! Une excellente initiative qui permet de rencontrer des « stars » de la scène littéraire contemporaine Outre-Atlantique et de s’imprégner le temps d’un week-end de l’énergie et de l’ébullition de ces écrivains aux personnalités et univers très variés. A l’honneur cette année : les secrets de famille (avec des auteurs comme Daniel Wallace ou Lee Gowan…) la relation aux père et à la mère (avec Eddy Harris ou encore Richard McCann…), le poids de l’histoire (avec en principe Jonhatan Safran Foer…), la féminité avec Mélissa Bank ou encore l’adolescence avec Benjamin Kunkel… L’occasion aussi de découvrir les nouvelles voix canadiennes. Nous sommes allés faire un petit tour :
C’est au cours de cafés littéraire ou de débats que les auteurs se croisaient autour de thèmes divers et variés en fonction des thèmes de leur dernier roman et/ou de leurs styles respectifs.
Une bonne idée qui a permis par exemple de confronter Robert Lalonde au jeune Benjamin Kunkel ou encore le jeune phénomène littéraire canadien Craig Davidson à son maître Chuck Palahniuk avec qui il partage un univers commun.
Seuls regrets, les entretiens menés manquaient parfois d’interactivité entre les intervenants et restaient assez « scolaires » (chaque auteur présentait son livre à tour de rôle, sans vraiment réagir à leurs propos respectifs et indépendamment du thème censé être débattu…).
Grosse déception : l’absence de Jonhatan Safran Foer (damned !), arrivé le vendredi à Paris et reparti aussitôt à New-York pour cause de bébé fiston malade (selon la version officielle) ! Le devoir de père avant tout… Mais quelle claque en particulier pour les visiteurs venus parfois de province pour l’entendre… Heureusement Benjamin Kunkel était bien là lui, fidèle à l’image que l’on pouvait avoir de lui : le charme et le charisme à la new-yorkaise. Dommage j’ai moins aimé son premier roman « Indécision », pourtant salué de tous. Une anglophone me confiait que la traduction française aurait quelque peu nui à l’humour et à la légèreté qui habitent l’ouvrage original…
Benjamin Kunkel, Nancy Lee, Melissa Bank, Sheila Heti
L’édition 2006 fait aussi la part belle aux littératures canadiennes et québécoises autour desquelles sont organisées plusieurs tables rondes. Dommage le débat sur « Canada : les voix nouvelles« , aux allures très sympas de campus étudiant, a vite tourné au complexe de la littérature canadienne sur celle des Etats-Unis. En ligne de mire le jeune Craig Davidson (auteur d’un premier roman très remarqué : « Un goût de rouille et d’os », un recueil de nouvelles en situations extrêmes entre cruauté et satire sociale, du boxeur au magicien, dénonçant toute l’absurdité du monde, sa rage destructrice et son absence de divin, servies par une plume d’une acuité exceptionnelle). Exilé dans l’Iowa, il fut la cible de reproches (teintés d’humour) de la part de ses consoeurs, Nancy Lee (« Dead girls ») et surtout Sheila Heti (« Ticknor »), restées « au pays ».
Cet auteur, d’à peine 30 ans et à la personnalité étonnante, est notamment le chouchou de Bret Easton Ellis (« Ces formidables nouvelles sont les meilleures que j’aie lues depuis bien longtemps. Il y a là matière à une douzaine de romans… Croyez-moi, vous n’avez jamais rien lu de tel ! » se serait-il exclamé selon son éditeur), Thom Jones ou encore Chuck Palahniuk (il restitue leurs commentaires sur son blog). Ce dernier l’a d’ailleurs retrouvé au cours du très attendu café littéraire « Le choc des mots » en compagnie de Guillermo Arriaga (le scénariste mexicain de « 20 grammes » notamment).
Craig Davidson, Chuck Palahniuk et Adrienne Miller
Petit regret : j’ai manqué le débat, certes un peu cliché mais peut-être intéressant, sur « La jeune littérature américaine est-elle subversive ?« , apparemment très tourné sur le thème de la violence d’après une participante croisée sur la rencontre avec Melissa Bank. Cette dernière très décontractée confiait à la journaliste Delphine Peras que je retrouvais avec plaisir, ses sources d’inspiration et a réagi sur la « chick lit », étiquette qu’elle ne supporte pas ! Elle a aussi évoqué Grace Paley comme l’une de ses références, un auteur qu’il me tarde justement de découvrir. La lecture d’un extrait de son dernier roman « Prochain arrêt, le paradis » a suscité de nombreux rires.
Nous retrouvons par la suite notre cher ami Landry devant le club presse pour « Ze » évènement de la journée : la conférence « L’Amérique en question » avec deux grandes dames des lettres américaines : Nancy Huston et Margareth Atwood, mais l’entrée nous est refusée pour cause de salle comble. O rage et désespoir…
Nous allons donc ronger notre frein dans la superbe salle de conférence de l’hôtel de ville…
Peu de temps après je découvre avec curiosité la fameuse Adrienne Miller, comparée à Jonathan Franzen, dont on a pas -encore- beaucoup entendu parler dans les critiques françaises, auteur d’un premier roman « Fergus » (la satire du milieu manipulateur et hypocrite de l’art contemporain à travers une incroyable et excentrique famille dans l’Ohio), et ex-rédac chef des pages littéraires du mythique Esquire. Intéressante et sobre. Son roman semble très sophistiqué.
En fin d’après-midi arrive enfin la récompense avec le débat tant attendu « Le choc des mots » où intervenait Chuck Palahniuk (voir la petite vidéo de sa dédicace originale et l’article sur son dernier opus « A l’estomac« ) qui fut parfait : drôlissime, brillant et d’une humilité touchante. Un grand. Un très grand. Il m’a réellement passionnée… et impressionnée. Craig Davidson l’était tout autant se comparant à une « petite souris » face à « ce lion de la littérature » (en français s’il vous plaît !). Une des nouvelles son recueil « Un goût de rouille et d’os » mettant en scène un sex-addict (« Frictions ») est d’ailleurs un hommages direct au roman Choke, a t’il confié.
Autre très bonne idée du festival : la projection de films adaptés de grands romans américains contemporains (comme « Big Fish », « Tout est illuminé » ou « Fight Club » justement) suivi d’une discussion avec l’auteur et/ou le scénariste.
De quoi y passer tout son week-end si l’on voulait… Rendez-vous l’année prochaine !
Voir aussi : les vidéos des auteurs lors des moments forts du Festival dans la rubrique « Buzz+ »
Lire le résumé « off » du Festival vu par un des auteurs : Craig Davidson (sur son blog)
9 Commentaires
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J’ai lu… la moitié de Fergus. Je dois dire avoir assez vite décroché, car je n’ai pas bien compris ce qu’Adrienne Miller avait à nous proposer. C’est une histoire ample, certes, mais sans véritable début ni fin. Déception, donc !
Par contre, A l’estomac sera à coup sûr dans mon top 3 des meilleurs livres de l’année.
…dead girls de Nancy Lee est vraiment bien…
Damned! maT m’a devancé : oui, "Dead girls" de Nancy Lee sont des petits bijoux de nouvelles noires et sensibles…A lire d’urgence. Quid de la présence ou pas de Douglas Coupland, très intéressant auteur multiformes canadien?
Bonjour,
je découvre ton blog avec plaisir… J’ai assisté au Festival moi aussi ce week end et j’en rends compte sur mon blog (si le coeuyr t’en dis…). J’ai trouvé l’organisation formidavble, les auteurs ouverts, et les journalistes plutôt sympathiques… J’ai regretté comme toi l’absence de Jonathan Safran Foer… En revanche j’ai découvert cet érudit brillant et loquace: M. Manguel.
Au plasir de te relire
Christophe, mais tu avais aimé « Les corrections » ou pas, qui apparemment serait dans la même veine ?
Mat (décidément de très bons goûts ce garçon,en plus de faire don de son sourire aux filles en détresse ds la rue !) et Etranger, je fondais bp d’espoirs sur Nancy Lee mais elle m’a un peu "déçue".
Par contre j’ai trouvé intéressant le fait qu’elle explique avoir voulu s’intéresser aux victimes et non au seriel killer comme c’est souvent le cas et quand elle a parlé de "glorification" du serial killer. J’avoue que j’ai aussi une méfiance (préjugé ?) sur les romans adaptés de fait divers et qui de plus se revendiquent comme tel…
eh nooooon !, ce cher Doug n’était pas là, pas d’actu donc il ne se déplace pas tu penses ! lol
Ravie de découvir aussi ton blog Anne-Sophie : tu as eu la chance d’entendre les deux monstres sacrés : Nancy Huston (je ne me lasserai jamais de relire Instruments des ténèbres !) et Atwood !!!! C’est chouette qu’elles aient parlé français (vu la qualité des traducteurs du festival apparemment tous atteints d’incompréhension aigue… ou bien ?)
En tout cas gros gros coup de coeur pour Chuck Palahniuk (et par ricochet sur Craig davidson), cet auteur m’a bluffée par sa simplicité et sa finesse d’esprit. Je dois encore lire Survivant, le top 3 de ses meilleurs livres après Fight club et Choke, je crois.
Alexandra, je t’avoue que je n’ai pas été transporté (non plus) par Les corrections. Je pense que le livre avait été largement surévalué à sa sortie, même si tu connais mon intérêt pour la littérature américaine. Et je dois t’avouer ne pas vraiment voir le rapport de ce livre avec Fergus… Enfin c’est mon (humble) avis !
Oh je vous trouve un peu dure avec les interprètes plutôt que traducteurs justement, ce n’est pas un exercice facile. Bon il y en a bien une qui m’a un peu agacée pour s’être mise en avant à la place de l’auteur, mais j’ai trouvé que la langue n’était pas trop un handicap dans ce festival… La preuve : souvent le public réagissait aux blagues de Melissa Bank bien avant la traduction !
Cher Bakelith, tu as tout à fait raison, je suis un peu dure.
Mais la dernière calamiteuse traduction de Guillermo Arriaga qui a dû changer 4 fois d’interprètes sautant de l’espagnol à l’anglais pour se faire comprendre était quand même énorme ! Et justement comme tu le dis ce qui était dingue c’était que le public comprenait alors que les traducteurs s’emmêlaient les pinceaux…
Il y avait tout de même une interprète excellente (également traductrice de Craig Davidson je crois).
Chouette ton compte-rendu, il faudrait "trackbacker" tout cela 🙂
Festival America