C’est sous sa casquette d’auteur de littérature « blanche » que l’on préfère, sur le Buzz littéraire, l’auteur des célèbres polars « La Madone des sleepings » ou encore « Les Morsures de l’aube »… Romancier, scénariste et nouvelliste, Benacquista ne se sent pas écrivain mais avant tout « conteur ». Et il est vrai que cette revendication s’affirme pleinement dans ce recueil de dix nouvelles très construites et hyper efficaces reposant sur un mystère à élucider et une chute. Initialement parues dans une kyrielle de volumes et revues (de Jazzman au Nouvel Economiste), l’écrivain y explore les mécanismes de la psychée, du moi, du surmoi, du passé et ces petits incidents (ou accidents) qui peuvent, un jour, bouleverser notre routine quotidienne ou conduire à des révélations existencielles… Inventives et captivantes, mâtinées d’étrangeté, elles surprennent à chaque fois le lecteur qui se laisse emporter dans les réseaux souterrains de ce « tout à l’ego » qui peut parfois déborder au point de tout inonder…
Le recueil s’ouvre sur la célèbre nouvelle « La boîte noire » qui a fait l’objet d’un film, diffusé en novembre 2005 (réalisé par Richard Berry avec José Garcia et Marion Cotillard…, illustration ci-dessus) et d’une BD avant de donner son nom au recueil entier lors de sa parution en Folio (« La boîte noire et autres nouvelles » lors de sa parution en Folio) Qu’est-de donc que cette mystérieuse boîte boire ? Elle symbolise notre inconscient, cette part sombre et insoupçonnée de nous même qui enregistre à notre insu des données et capte des signaux qui pourraient bien représenter les clés de notre destinée… Un homme s’éveille du coma dans une chambre d’hôpital. On ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il vient de réchapper à un accident de voiture mortel. Avant son départ l’infirmière lui remet un cahier consignant toutes les phrases et mots disparates qu’il a prononcés lors du délire de sa nuit de coma « vigile ». Un véritable trésor psychanalytique qui l’entraînera sur les pas de sa propre identité : « A force de me chercher, je suis devenu un autre. Une sorte de flic de l’âme, ou pire, un détective privé qui n’ira jamais au bout de son enquête.« , dira le héros qui deviendra alors « accro à sa propre psychée et tributaire de son moi captif ». Fasciné par ce qui se cache au plus profond de lui-même, il élucidera, indice après indice, les mystères de sa vie jusqu’à la révélation finale…
Sous ses airs triviaux, cette nouvelle démontre la puissance de nos souvenirs inconscients et donne le ton de l’ensemble du recueil.
« Dans une vie de couple, il y a toujours un matin où l’autre vous regarde avec une petite lueur de doute au fond des yeux. De doute ou d’autre chose. Et cet autre chose a quelque chose d’hypnotisant. Pour la première fois, on perçoit une inquiétude chez celui ou celle qui, jusqu’alors, partageait avec vous cette douce et routinière insouciance. Ce que vous ne savez pas encore, c’est que VOUS êtes ce sujet d’inquiétude.«
Qu’il s’agisse d’un vieil oncle qui meurt en demandant à être enterré dans une mystérieuse « volière », d’une épouse un peu trop prévisible sur laquelle son mari a systématiquement « 5 secondes d’avance », d’une interview rocambolesque d’Harisson Ford qui se terminera en commando pour sauver un prisonnier politique sud-américain (La pétition) ou encore d’un interrogatoire de police où un innocent cherche desespérément à se souvenir ce qu’il faisait le 17 juillet 1994 entre 22h et 23h… Une des nouvelles les plus marquantes (Bobinages) met en scène un père de famille en prise avec ses démons libidineux et avec un magnétoscope qui viendra dynamiter le tranquille ronron de son couple tout en resserant les liens avec ses enfants ! Jusqu’à ce qu’une cassette s’y coince et le plonge dans le plus grand désarroi…, le conduisant à cambrioler sa propre maison pur sauver son honneur. Original et très drôle ! Dans la nouvelle la plus cuisante, un «paparazzo» se venge de la cruauté d’une call-girl.
Inégales mais diversifiées, elle sont toute baignées d’une certaine folie burlesque, kafkaïenne voire fantastique… Rythmés, piquants, légers, ces textes d’une douceur cruelle révèlent le sens de l’observation et, surtout, le talent de conteur d’un écrivain mystique capable de faire croire à l’invraisemblable… Tout en ne perdant jamais une occasion de faire sourire par son humour tendrement ironique : Dans « Bobinages », le héros commente par exemple les contraintes d’achat de son magnétoscope : « Si ça ne tenait qu’à moi, je serai au centre commercial du bourg mais, dans un bled où tout le monde est au courantdés que vous achetez une boîte de préservatifs, le cousin en question m’aurait déclaré une guerre dont nos descendants auraient hérité plus tard. » ou dans « La boîte noire » : « L’opium ne m’a procuré strictement aucun effet, la relecture de Tintin et le lotus bleu aurait été bien plus efficace.« , avec l’art de la métaphore subliminale : « Je ne sais pas ce qui s’est passé mais, juste après avoir dit ça, il y a eu une sorte de silence un peu craquant, comme une corde de pendu qui sé détend après le lynchage. »
« On se demande souvent ce que l’on ferait si la chance nous était donnée de lire notre avenir. Je sais aujourd’hui que connaître son passé a quelque chose de bien plus extraordinaire. La peur du lendemain est une plaisanterie comparée à celle de la veille. Et le destin n’est rien qu’un peu de passé en retard.«
Benacquista explore les dessous de la normalité et du quotidien tranquille qui peut à tout instant être détraqué par un évènement « non conforme », qu’il soit d’ordre psychanalytique, sexuel ou technologique. Un drame petit ou grand qui vient bouleverser une vie et conduit à une remise en question de soi. Et révèle par là-même l’ambivalence et la fragilité de nos comportements ou de nos rapports aux autres que l’on croit parfaitement connaître et qui peuvent dissimuler un jour qu’on ne leur connaît pas… La vie est comme un iceberg dont les personnages explorent la partie immergée. D’acte manqué en lapsus, petits mensonges ou interprétation de rêve… Des nouvelles tour à tour introspectives, nostalgiques ou tragicomiques qui font défiler des maris infidèles, des prostituées, des hommes maladroits avec les femmes, des journalistes minables, des inventeurs qui rêvent de victoire au Concours Lépine, des petites frappes ou encore des inspecteurs de police entêtés… Où l’auteur se moque aussi gentiment, au passage, de la grotesque dilatation du « Moi » dans les sociétés occidentales qui conduit à sur-analyser chacun de nos faits et gestes…
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