1984, a souvent fait qualifier Orwell de visionnaire, voire de prophète sur les grandes désillusions des années 50, le développement d’une société de masse dominée par le mensonge, la violence et par le spectacle médiatique et technologique.
Mais c’est surtout en se basant sur des faits réels déjà existants qu’il a construit son roman (1984 n’est qu’une inversion des chiffres 1948 année d’écriture du roman soulignant l’analogie entre les 2 dates). C’est une extrapolation basée sur des faits précédemment vécus et toujours en cours (guerre froide).
Aujourd’hui au XXIe siècle, quelle valeur peut encore avoir 1984 ? En se limitant au monde occidental, on voit bien que les dérives politiques n’ont pas atteint cette situation dramatique. Pourtant les gouvernements sont régulièrement montrés du doigt pour la manipulation qu’ils exercent sur les médias et l’opinion publique. Par exemple la première décennie 2000 a vu George W. Bush et sa croisade contre l’Irak et contre tout pays susceptible de le gêner, soutenu par la presse américaine. Elle-même dirigée par une élite étroitement liée à l’establishment politique. Sélection, dissimulation de la vérité, ré-interprétation : le lecteur devient incapable de discerner le vrai du faux et prend des décisions sur la base d’orientations erronées et d’informations tendancieuses. Lire à ce sujet un très bon article sur Autodafe.org mettant en lumière les nombreux « orwellismes » opérés par les USA dont voici un extrait :
« Les mass media ont décerné aux États-Unis leur prix de vertu d’une manière qui aurait bluffé George Orwell. C’est un exemple d’école d’auto-intox : on y prétend que les armes de destruction massive, généreusement fournies à Saddam Hussein dans les années quatre-vingt par les gouvernements Reagan et Thatcher, représentent une menace pour les États-Unis et la sécurité du monde, et l’on ajoute que ses efforts pour déjouer les inspections imposées par ses anciens acolytes américains et britanniques sont intolérables et bafouent les Nations unies et le Droit international ! Dans le même temps, on tolère qu’Israël ignore, avec l’aval de Washington, les résolutions des Nations unies. Un tel processus obéit à l’un des principes orwelliens : « Oublier ce qui doit l’être, puis le réintroduire dans la mémoire quand le besoin s’en fait sentir. »
Il existe également un totalitarisme émanant des forces économiques dominantes. La nouvelle dictature est celle des marques, des méga-multinationales, de la télévision toute puissante et désormais d’Internet qui dicte les goûts aux téléspectateurs/internautes de tous âges. La télévision et youtube au pouvoir hypnotique, sont devenus les premiesr éducateurs des jeunes générations abreuvées d’images et de schémas de pensée prêts à l’emploi. Des tubes musicaux sont martelés en boucle sur les ondes des radios qui calquent leurs playlists (toutes rigoureusement identiques) en fonction des budgets pub des maisons de disque.
L’information devient complice de la publicité. Des groupes comme L’Oréal ou Microsoft, forts d’un chiffre d’affaire supérieur aux PIB d’une majorité de pays, sont capables d’incliner les choix éditoriaux des médias, de disposer d’un droit de relecture et de modification.
Craignant trop pour leur survie financière, ces derniers se plient à leurs volontés et génèrent l’information conforme aux intérêts de ces entreprises.
La manipulation (consentante et inconsciente) des esprits, touche en particuluer les jeunes totalement aspirés par les images et les discours consuméristes martelés par le petit écran. Le nouveau Big Brother s’appelle « Marketing » et les « big data » (collecte des données personnelles toujours plus précises et intrusives, avec en tête le géant Google). Il détient dans ses bases de données, quantité d’informations personnelles sur notre profil, nos habitudes. Et évidemment couronnement de tout ce dispositif : Internet et ses fameux cookies et autres mouchards (fichiers et petits programmes qui s’installent à l’insu de l’utilisateur sur son ordinateur et permettent de tracer ses navigations et pourquoi pas extorquer des données personnelles sur son disque dur). Récemment les émissions de télé-réalité inaugurées par Loft-Story ont relancé le débat autour du système Big-Brother.
Mise à jour 2016 : La journaliste Natacha Polony qui a fondé le « comité Orwell », un collectif de journalistes en faveur de la liberté d’expression et du pluralisme des idées a publié un essai baptisé « Bienvenue dans le pire des mondes » sur le danger d’un nouveau « totalitarisme mou » selon leur expression induit par « la technologie, le contrôle des flux financiers et commerciaux où quelques dizaines de multinationales, la plupart américaines, entendent organiser, orienter, régenter notre vie quotidienne »
Ainsi 1984 reste une œuvre extrêmement moderne et d’actualité. La manipulation et l’oppression sont constantes dans toutes sociétés. Le formatage des esprits et le bourrage de crâne semblent avoir malheureusement encore de belles carrières devant eux…
A voir sur le même thème : Les « Big brother awards » Une organisation décernant « des prix » aux institutions ou entreprises ayant porté atteinte à la vie privée ou négligé de la protéger, ou ayant fait la promotion de la surveillance individuelle ou collective.
A lire : « Tous manipulés, tous manipulateurs » de Jean-Marie Abgrall (Editions First). Une virulente démonstration de tous les procédés de manipulation conscients et inconscients qui sous -tendent notre société et les parades pour résister !
La réception de 1984 lors de sa publication en 1949
1984 déclencha une violente polémique lors de sa sortie. Des critiques acerbes comparent l’attitude d’Orwell à celle d’Ezra Pound, figure de proue du modernisme anglo-saxon, accusé d’avoir collaboré avec des fascistes italiens. De nombreux intellectuels issus de l’intelligentsia anglo-saxonne condamnent l’ouvrage en indiquant par exemple que celui-ci est une attaque délibérée et sadique contre le socialisme et contre le directorialisme de Burnham. Morton, historien marxiste qualifia l’œuvre de réflexion philosophique truquée basée sur les moeurs et les préjugés les plus méprisables de la société bourgeoise. Isaac Deutscher, politologue et historien de renom vit en Orwell un créateur de bouc émissaire, responsable de tous les maux qui accablent l’humanité. Ceci ne l’empêcha pas d’être un succès de librairie : un an après le livre s’était vendu à près de 50 000 exemplaires en Angleterre, 170 000 aux USA et à près de 190 000 dans l’édition « book of the month club). En juin 49, des lettres de félicitation signées d’Huxley, Roy Campbell, Lawrence Durrell, Bertrand Russel et de Dos Passos parvinrent à Orwell.
Lire la première partie de l’article sur 1984
Article initialement rédigé en 2003
2 Commentaires
A moins que je n’aie mal lu, il me semble ici évacuée la préexistence du roman de Zamiatine, "Nous Autres", avec lequel "1984" présente bien des parallélismes – parfois troublants. Ces deux romans ont trop de proximités pour que ce soit innocent, même si on ne peut nier les mérites d’Orwell. Zamiatine est le précurseur visionnaire de lendemains qui déchantent. Orwell surajoute une vision. Les deux livres sont éminemment complémentaires, et tous deux incontournables.
Tout comme vous j’ai adoré le livre 1984 de George Orwell et récemment j’ai découvert sur internet qu’il y avait une adaptation au théâtre de ce magnifique livre. La bande annonce est sur dailymotion et elle est prometteuse. Je pense donc que j’irai la voir et je conseille tous ceux qui ont aimé 1984 de faire de même. Et n’oubliez pas Big Brother is watching you !!!