« Jouer juste » premier roman de François Bégaudeau, « écrivain-ex-joueur de foot-prof et accessoirement chroniqueur ciné »…, couronné de toute part en 2005 pour son roman « Entre les murs », pourrait vous rebuter si vous êtes allergique au ballond rond et à toutes les grands messes/exhaltations qu’il engendre. On pourrait alors vous dire que ce roman vous réconcilliera avec les hommes montés sur crampons… Et si vous êtes un adepte de ce sport national, alors vous n’aurez aucune hésitation. Mais les choses ne sont pas si simples…
« Ma vie ne pèse pas lourd, elle est impondérable comme nos passes, nos passes qui trouent l’espace et se dissolvent dans l’air, légères comme lui, fluettes comme nous. »
Pour un premier roman, on peut dire que le jeune auteur prend des risques. Ici pas d’histoire ni de chapitres. Pas de phrases non plus. Ou plutôt si. Une phrase longue et puissante, scandée par de simples virgules, comme une vague qui déferle de la première à la dernière page.
« Jouer juste » est donc un authentique exercice de style avant d’être un roman, qui séduira ou non.
Son principe ? Mettre en parallèle voire entremêler les régles d’un terrain de foot et celles d’un couple. Un projet qui paraît assez périlleux car les relations entre les deux sujets n’apparaissent pas comme évidentes (voire antithétiques !). Mais l’auteur se lance vaillamment dans sa démonstration en passant, à intervalles réguliers; du discours de motivation d’un entraîneur à son équipe, juste avant la prolongation (en finale de championnat d’Europe) à l’histoire -fusionnelle- de son couple avec Julie, avec des transitions plus ou moins fluides… plus ou moins heureuses.
Point commun : la difficulté pour cette équipe de onze joueurs comme pour ce duo d’amoureux de « jouer juste ». Mais en quoi cela consiste t’il ? C’est ce que le livre va tenter de nous expliquer en passant par de multiples circonvolutions, détours, digressions, double-sens, ou analogies parfois un peu artificielles…
« Je l’ai vue, elle m’a vu, c’était elle, c’était moi, c’était merveille, c’était comme naître, c’était une mer qui s’ouvrait, nous y étions, nous avions trouvé, nous nous sommes embrassés sur la bouche et nos corps escomptaient davantage, ils se sont joints et ne voulaient plus se détacher (…) Julie se plaisait dans ma chambre, la sienne m’était familière, les objets m’y recevaient comme un des leurs, les flacons de parfum m’évoquaient des fleurs inconnues mais associées à des prairies d’enfance et je m’allongeais sur le flanc dans l’herbe du lit, genoux remontés contre le ventre, elle me caressait le front et nous nous repaissions de notre histoire encore fraîche, glosant ses prémisses, surdramatisant ses noeuds, c’était notre histoire, imbue d’elle-même et sincère, passionnelle à mourir, nous subissions, nous ne savions pas, de prime abord nous ne pouvions pas lutter, cela venait de trop loin, du plus bas, la passion est la rumination originelle du troupeau humain, ceux d’en face disent que le football est une passion au nom de quoi ils pourraient se tuer… »
Car foot et relation amoureuse se nourissent du même feu (sacré) : celui de la passion, estime l’auteur.
Et cette passion qui les unit « les lie, les joint », l’un comme l’autre peut devenir aussi facilement de la haine. « Jouer juste » ou « aimer juste » seraient donc affaire de régles et non affaire de pulsion. « Vivre à deux, vivre ensemble, l’amour comme l’amitié, demandent de la technique. On met toujours en avant le sentiment, mais ce n’est pas ça le vrai problème. Il faut trouver de bons dispositifs, occuper les bons espaces au bon moment. », a expliqué l’auteur dans un entretien accordé à Fluctuat*.
Il combat ainsi les idées dominantes selon lesquelles « Le foot a toujours été, il suffit d’y jouer comme on y a toujours joué ». En faisant fi des questions ou atermoiements… ou « Si nous nous aimons, tout coule de source, il n’y a pas à travailler », comme l’affirme sa compagne.
Le narrateur s’efforce donc de tout réglementer et théoriser pour contrevenir à leur « sexualité ombilicale » : « dominer l’évidence de l’envie », « plus d’attouchement dans les lieux publics », « maintenir une distance de trois mètres dans ces mêmes lieux », « ne coucher ensemble qu’une entrevue sur deux »…
Objectif : ne pas s’aimer comme des malappris. Avoir une discipline en somme. « Il fallait inventer autre chose, maintenir les procédures en vigueur mais en neutraliser les effets secondaires en innovant. » Le romancier explique sa peur de l’amour-passion : « Quand on part sur des bases passionnelles, cela peut détruire (…) On arrive à l’oxymore suivant : est-il possible de parvenir à un amour qui soit juste ? Il y a là un vrai effort conceptuel à faire : comment arriver à s’aimer sans être dans la furie, dans la folie ? »*
« Si par le passé on vous a loués on vous a trompés, ce que vous savez faire, il faudra l’oublier, ou l’épurer plutôt parce qu’en l’état votre jeu est insalubre…«
Tout du long, il établit des corollaires entre le jeu des corps sur un terrain ou entre les draps, les premiers entraînements et les préliminaires amoureux… : « Pendant les premiers entraînements, vous vouliez tout de suite agir, vous n’aviez que ça en tête, être positifs, actifs dynamiques, vous n’imaginiez pas les milliers de micro-catastrophes qu’engendre un faire primesautier, sitôt positionnés à trente mètres du but vous vouliez décocher un tir (…) il faut ne s’autoriser à tirer au but qu’après avoir objecté à toutes les bonnes raisons de ne pas le faire. La première fois que j’aurais dû embrasser Julie je ne l’avais pas fait. Décomposant a priori le baiser je n’avais pas pu. Regards croisés, blanc des yeux, gravité soudaine, sourcils froncés, inclinaison symétrique des visages, rapprochement lent, blanc des yeux toujours, effleurement infime des lèvres, petites touches sporadiques puis accélération puis accolement définitif… »
L’énigme du « jeu juste » ne sera toutefois pas entièrement résolue et éclaircie. L’auteur laisse planer jusqu’à la fin l’ambiguité : « Toute situation porte à sa justesse, il reste à en produire la formule et à s’y conformer en actes, j’appelle cela faire justice à la situation… » nous dit-il. Victoire ou défaite d’un match ou d’une relations amoureuse, tel n’est pas l’important finalement semble-t’-il conclure tant que l’on garde la conviction d’avoir joué juste…
« Les grands récits nous laissent pour morts, seules les parenthèses nous ravivent… »
Un premier livre bref (à peine 100 pages), dense aux accents parfois philosophiques ou proche de la folie mystique, mais qui s’étire en longueur et manque de respiration. Le monologue continu de l’auteur tourne parfois au bavardage abusant de certaines formules ou jeux de langage (comme le « cotcotcot » de la poule qui vient ponctuer régulièrement sa loghorrée pour signifier le caractère ronronnant ou attendu des choses ou l’empilement d’idées sans articles un peu comme le fait Chloé Delaume mais avec moins de talent littéraire. Il n’en reste que le propos est inventif et ne peut que dérouter. A découvrir donc.
Lire la chronique TV sur François Bégaudeau à propos de « Entre les murs » (Buzz +)
*Lire linterview donnée par François Bégaudeau à Fuctuat.
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