Le journalisme est mort, vive le journalisme !

Arrivée à la fin l’émission Arrêt sur image sur France 5 hier midi, je n’ai pu intercepter que la fin du débat intitulé « Primaire PS : nouvelle donne médiatique ? ». Débat qui ne m’intéressait pas spécialement mais les propos de Paul Nahon, directeur de l’information de France 3 en réponse à la question de Schneidermann sur les mutations du travail de journaliste face à la multiplication des documents amateurs diffusés sur Internet (en particulier les vidéos postées sur Dailymotion ou Youtube et reprises en podcast sur les blogs…) m’ont particulièrement surprise et interpellée. Ils font écho, dans une moindre mesure, aux thèses développées dans « Bandes alternées par Philippe Vasset« , présenté précédemment…

Après avoir débattu des incidences de l’irruption de ces vidéos sur le débat politique, le plateau réuni a analysé ses conséquences sur le travail journalistique. Outre les problèmes déontologique et de manipulation (Qui a filmé ? Pourquoi ? Comment ?), c’est surtout la définition du métier de journaliste qui est sévèrement bousculée et remise en question.

Comme en témoigne la réponse, désarmante de sincérité du directeur de l’information de France 3, Paul Nahon, lorsque Schneidermann le questionne : « Qu’est ce qu’il va vous rester comme boulot finalement si tout le monde filme, si tout le monde fait des enquêtes, des contre-enquêtes ?
– C’est le vrai défi, se contente de répondre humblement Nahon.
– Mais quelles sont vos pistes de solution pour contrer cette nouvelle concurrence ? insiste Schneidermann.
– On en a pas pour l’instant. On patine. Vraiment. » admet-t’-il, visiblement débordé et dépassé par le phénomène et ne cherchant même pas à le cacher.

Un aveu, qui, s’il a le mérite de la sincérité (et évite les discours habituellement condescendants ou moqueurs sur les contenus émanant d’Internet) a de quoi sidérer ! Et l’on réalise avec une immense surprise que face à ce « nouveau » (datant tout de même de presque plus de 10 ans) média interactif, les plus grandes rédactions accusent globalement un assez grand retard pour véritablement s’y adapter.

Etrangement, elles voient son avènement comme une menace et non comme la formidable opportunité qu’il devrait représenter. Une attitude (et une réaction très française dés qu’un changement intervient) comparable à celle induite par « la mondialisation » (et qui en est d’ailleurs une conséquence également) : les gens prennent peur parce qu’ils vont devoir modifier leurs habitudes et se remettre en question. L’attitude généralement observée est alors la plainte et la position de victimisation en cherchant un responsable sur qui taper ou de fausses excuses régressionistes derrières lesquelles se retrancher ou occultant le contexte de fond.

Certes, les journalistes n’ont plus le monopole de l’information, de l’exclusivité ni même de l’interview, mais ils conservent leur savoir-faire et leur sens de l’analyse, du décryptage, d’éclairage (chiffres, mise en perspective…), « d’anglage » ou encore celui de médiateur. C’est précisément là-dessus qu’à mon avis l’enjeu se situe. « Réinventer un nouveau rôle du journaliste » pour reprendre l’expression de Nahon, passe à mon avis par la nécessité de faire mieux ou de faire différemment (creuser la différence entre « amateurisme » et « professionalisme » qui malheureusement tendent à se rejoindre aujourd’hui…), de renouveler le traitement de l’information, d’être plus créatif, plus pointu et non plus se contenter de la simple et pure restitution de faits. L’émergence du « journaliste robot » (génération automatiques de news financières à l’aide d’un logiciel d’intelligence artificielle qui prête encore à caution…) témoigne aussi de l’urgence de ce repositionnement.

Alors que toutes ces vidéos sont livrées à l’état brut, les journalistes pourront se distinguer en apportant la plus value de leur expérience et de leurs connaissances pour trier cette avalanche, mettre en valeur, relativiser et expliquer. Cela demande du temps et une expertise dont ils sont encore les seuls à disposer (pour combien de temps ?). Leur rôle est primordial mais il devra effectivement évoluer vers une plus grande spécialisation et qualité. Et devra s’accompagner d’un changement de regard sur Internet qui ne doit plus être vu comme un concurrent mais comme un allié avec lequel travailler main dans la main (en descendant de son piédestal), sans en être non plus son répétiteur docile.

L’émission Arrêt sur image en est d’ailleurs un bel exemple à travers la dernière rubrique présentée par Chloé Delaume où Schneidermann réagit en direct aux critiques des internautes. Il y a ici un prolongement naturel et intéressant avec le média web (le forum de l’émission). A citer également, l’initiative intéressante du magazine Technikart (repérée par Culture Café) qui vient de lancer sa Technikart TV (« La 1ère webTV communautaire de qualité » alimentée par les vidéos de ses lecteurs et classées par catégorie). Une sorte de Dailymotion sélectif en somme… Un des journalistes fondateurs de Rue89, Laurent Mauriac, proposait une nouvelle définition du rôle du journaliste : « Un bon journaliste en 2007 ? Il doit savoir faire ce qu’il faisait avant, plus être polyvalent dans le maniements des outils (CMS) et des médias (video). Il doit aussi apprendre à distribuer la parole, à animer le débat, ce qu’il n’avait pas spécialement l’habitude de faire. » (ajout citation : juin 2007)

C’est donc un véritable changement de mentalité qui s’impose mais il est certain qu’avec des directeurs de rédaction et des rédacteurs en chef plus proches de la génération des baby-boomers que des enfants d’Internet, la révolution sera longue à se mettre en route… Beaucoup n’ont même pas conscience de ce qui se passe en ligne, le nient ou pensent encore qu’Internet est un truc réservé aux ados (dixit l’une de mes rédacs chef) ! D’autre part, lorsqu’ils font preuve de bonne volonté, ils pensent qu’il suffit de plaquer leur magazine papier (ou radio, TV…) sur le Net, sans saisir son monde de fonctionnement spécifique et la réactivité/spontanéité qu’il requiert.

Bref, il y a du pain sur la planche ! Ce qui laissera sans doute la place et la chance à de nouveaux entrants de s’imposer… [Alexandra – Buzz littéraire]

Lire aussi :
Bandes alternées par Philippe Vasset
Les intellos-précaires : victimes consentantes ?
Regarder l’émission d’Arrêt sur image

10 Commentaires

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  1. Alexandra.
    La grosse difference entre medias et internet est la frilosité des annonceurs. Tant que tous les medias seront tenus par trois groupes ils ne pourront jamais vraiment condamner; prendre parti, ils vont continuer a se cacher derriere une objectivité ridicule et se casser doucement la gueule.
    (a un moment on ne va pas payer pour avoir un discours de communiquant qui est dejà sur tous les supports gratuits nous environnant)

    A mon avis le seul espoir du jounralisme est dans la subjectivité assumée et la precision des faits. Deux choses qui n’existent nulle part.

    yann

  2. La désarmante naïveté de Paul Nahon m’a frapé aussi – un rare moment de vérité!
    Il me semble clair pourtant qu’il ne s’agit pas de concurrences mais de complémentarités dans un monde où :
    1. on consomme de plus en plus d’informations (sous toutes formes)
    2. le consommateur devient producteur, certes. mais quand on produit, on aime en entendre parler 😉

    Quand bien même l’information sur internet irait trop vite pour les médias traditionnels (ou trop vite tout court), il y aura toujours besoin de référents pour faire le point, mettre en perspective… Bref, des journalistes, oui.
    Encore faudrait-il que ces derniers s’affranchissent des communiqués de presse qui constituent aujourd’hui, le plus souvent, leur principale matière première…
    Et là, oui, il y a défi.

    (PS – Alexandra, promis, la semaine prochaine je me penche sur tes hussards)

  3. Je rebondis sur Yann (sans l’écrabouiller !). Tu as tout à fait raison ! J’avais occulté la question de la transparence, malheureuse que je suis… Il a d’ailleurs été abordé dans l’émission : Internet serait un espace "Off" en comparaison aux médias officiels plus langue de bois… L’inconvénient d’Internet est qu’on se sait pas toujours d’où vient la source donc le risque de manipulation est aussi présent.
    Je suis assez d’accord avec ta vision de subjectivité assumée accompagnant la présentation factuelle.

    Second Flore, "Encore faudrait-il que ces derniers s’affranchissent des communiqués de presse qui constituent aujourd’hui, le plus souvent, leur principale matière première…" Oui, enfin faut pas exagérer non plus ! Mais force est de constater que les journalistes manquent en effet parfois de curiosité pour sortir des sentiers battus. Il y a là aussi une piste à explorer certainement…
    Merci de vos intéressants avis sur la question !

    • MonsterJack sur 28 novembre 2006 à 21 h 51 min
    • Répondre

    Attention, il y a internet et internet. Les grands groupes commencent à truster l’internet en couplant leur publications papier ou télévisuelle au web. Il ne faut pas laisser le fidèle lecteur, auditeur, téléspectateur s’égarer. On a mis tellement de temps à le fidéliser, à lui forger un jugement monophonique, à lui enseigner le monothéisme de la consommation!

    D’où vient l’information? Ne l’oublions pas, de quelques agences de presse occidentales. Elles possèdent une vue globale de l’information, c’est l’approche macro.
    L’auto-information produite par le consommateur que l’on peut trouver sur le web, est une information parcellaire, celle que tout à chacun a été témoin à un moment ou à un autre et peut répercuter avec plus ou moins d’emphase, car comme le dit secondflore "quand on produit on aime en entendre parler". C’est l’approche Micro.

    D’un côté l’information et les annonceurs ne font qu’un, car ils défendent le même style de vie, la même idée de société. De l’autre, des milliers de sources d’informations anarchiquement ordonnées. Ce n’est pas une question de moyens financiers mais d’approche et de crédibilité comme le dit Alexandra.

    Petit retour en arrière, concernant un autre support médiatique, la radio assez comparable au phénomène actuel des blogs. A la libération des ondes en 1981, des milliers de radio libres naissèrent. C’était un nouvel espace de liberté, d’expression. Les auditeurs intervenaient en direct sur l’antenne, les débats foisonnaient. Les gens avaient besoin de s’exprimer… En 2006, combien de radios libres reste-il?

    En espérant que le Buzz Littéraire survivra à la récupération inéluctable des espaces de liberté et d’expression par les Régisseurs qui martèlent notre société, notre carcan!

    Tout est une question d’approche…

  4. le 1e problème de la presse est de continuer à penser qu’elle peut continuer à ronronner sur ses plates-bandes. Les notions "d’exclusivité" et "d’inédit" sont de plus en plus sensibles… Ce n’est peut être même plus là qu’il faille chercher.
    Connaissant mieux la presse écrite (je pense que la problématique pour le média audiovisuel et radio est encore différente), je constate un manque flagrant d’esprit d’innovation. La dernière création presse innovante c’est à Jean-Jacques Servan-Schreiber qu’on la doit. La presse ne fait rien sinon que se répéter, se plagier ou se caricaturer et c’est dommage car il y a tant de voies à explorer…

    Monster, tu parles d’auto-information parcellaire. la somme de ces micro-informations réunies sur des portails communautaires (dailymotion ou pour les blogs sur wikio par ex) finit par représenter un système total, affranchi des contraintes des médias comme le soulignait Yann. De plus, je pense que les comportements d’information ont changé et changeront de plus en plus, en particulier sur les nouvelles générations. On attend plus que qqn vienne nous donner la becquée, on va chercher ses infos, on compose son propre "tableau", sa propre mosaique de sources d’infos de prédilection à partir justement de ses micro-sources.
    C’est aussi une dimension à prendre en compte…

    • MonsterJack sur 30 novembre 2006 à 8 h 49 min
    • Répondre

    La somme de ces micros ne donne pas une approche macro, car ces informations ne sont pas resituées dans leur contexte historique, culturel ou (géo) politique et empêchent toute analyse des faits. Mais tout cela tu le sais très bien !
    De plus comme tu le dis précédemment, l’origine de la source reste souvent inconnue et le risque de manipulation ou de mauvaise interprétation est important.
    Je me rapprocherais plutôt de l’opinion exprimée par ailleurs, c’est-à-dire de voir ce support comme complémentaire dans le sens d’aller chercher l’information brut à sa source.

    « La dernière création presse innovante c’est à Jean-Jacques Servan-Schreiber qu’on la doit » alors là c’est vraiment la tarte à la crème !!! Et je passe la suite de ton propos du même acabit.

    Bon pour me faire un petit plaisir je citerai quelques revues intéressantes et innovantes dans leur ton comme Crossroads pour la musique, Positif pour l’analyse du ciné ou encore Bodoïd pour la BD qui ont un ton personnel. En fait il existe des magazines bien foutus dans tous les domaines, il suffit de prendre la peine de les chercher et non de se contenter d’attendre la becquée des gondoles, mais là ça me rappelle quelque chose…

    JM

  5. Je n’ai jamais lu Crossroads ou Positif, par contre, dans Bodoï, il y a quasiment 50% de pubs. De quoi regretter (A suivre)…

    Si le journalisme veut resister à la vague d’internet, il faut qu’il innove et qu’il prenne de la hauteur.
    Les blogs doivent être vus comme un complément d’informations. Le problème est que les journalistes (en particulier la presse quotidienne) ont tendance à céder au sensationalisme et au copier/coller de commentaires de blogs (cf. l’affaire "Florent Zellaire" dans Le Figaro.) Sans oublier certains (cf. chez Libé) qui se contentent d’agiter leurs cartes de presse et de critiquer pêle-mêle la presse gratuite, les blogs et le téléchargement illégal!
    Là, c’est clair qu’ils ont tout à perdre.

  6. C’est de l’agrégation personnalisée de l’information tout simplement !

    En ce qui concerne Jean-Louis Servan-Schreiber (je corrige, en fait je voulais parler de Jean Louis et non de feu jean-Jacques !), je maintiens, je pense que c’est un homme de presse innovant, en presse grand public en tout cas. Après on pense ce qu’on veut des dits supports mais il a su renouveler des genres et s’affirmer sur Internet.
    Dans les revues que tu cites, je ne connais que Positif, qui ne me semble pas spécialement innovant par rapport aux cahiers du cinéma par ex ? Mais je ne connais pas bien donc…

    J’ajoute un truc ! Un excellent exemple récent de bonne synergie entre média TV et blog : la collaboration entre Vinvin et Canal +, apprise sur le Culture Café. Je viens de regarder tous les épisodes du télépathe et je trouve ça top dans le genre bourrin-subtil (oui, oui ça existe, lol !).
    C’est très très bon. Je plébiscite !

  7. Hop ! le lien :
    cdelasteyrie.typepad.com/…

    Je réalise qu’on s’inscrit là plus dans l’entertainment que le journalisme mais bon…

  8. Et France 24 vous en faites quoi ?
    Une chaîne d’infos internationale lancée sur Internet en avant première!

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