Chronique adressée par Bruno Durand, 28 ans : Je vous envoie ci-après mon impression sur le livre de Mabrouck Rachedi, « Le poids d’une âme », publié aux éditions Jean-Claude Lattès lors de la rentrée 2006. Comme vous pourrez le constater, je suis très enthousiaste ! Vous devriez découvrir et faire découvrir ce jeune auteur !
Une journée ordinaire d’un adolescent de banlieue bascule quand un chauffeur dépité démarre deux minutes avant l’heure prévue et une professeur de français cocufiée le renvoie de cours. Livré à lui-même dans les rues d’Evry, le jeune Lounès se retrouvera quelques heures plus tard en prison, ennemi oubli numéro un, accusé de terrorisme.
Comment cela a-t-il été possible ? Des faits banals, qui les uns indépendamment des autres n’auraient eu aucune incidence, mais qui les uns se succédant aux autres sont d’une redoutable nuisance. Quand les machines policière, judiciaires et médiatiques s’emballent de concert, un innocent deviendra le coupable idéal.
Ecrit avant les émeutes de fin 2005, Le Poids d’une âme n’est pas un de ses romans opportunistes qui ont fleuri depuis lors. La mécanique d’une émeute, criante de vérité, est décortiquée avec une précision chirurgicale.
Les médias (« Prenez un fait, filmez-le, il devient divers »), la police (« selon que vous soyez coupables ou innocents, les interrogatoires de police vous rendront toujours noir à Evry »), les émeutiers (« Pris dans son rôle, Mahmadou a pulvérisé sa vieille 205 ! Sauvage plein de hargne sur TF1, le géant, prostré après avoir réalisé sa méprise, est devenu une victime de la barbarie sur France 2 »), la prison (« ici, c’est la routine à la puissance 10 »), chacun est renvoyé à sa responsabilité dans ce théâtre de l’absurde.
Là où Rachedi se distingue, c’est par son style, d’une précision millimétrée, son humour fin (« Libération s’est offert un joli jeu de mots, ces cités aveugles ») et sa capacité à faire bondir et rebondir le récit, qui se lit sur le rythme effréné d’un excellent roman policier. Chaque fin de chapitre est une ouverture sur le suivant, prélude à un autre encore plus palipitant. La sève du suspens monte de chapitre en chapitre dans cet opéra à trois temps (les trois parties du livre), le tout se lit d’une traite, goulûment.
Aventures, bouleversements, renversements de situation, le rythme du récit est haletant. La vérité du livre – et de son titre – se révèlent à la toute dernière ligne, un peu comme dans Sixième sens de Night Shyamalan. Bien sûr, il y a un point de vue sur la banlieue, mais celui-ci n’est pas rébarbatif. Rachedi suggère là où d’autres montrent, démontrent, exposent, surexposent jusqu’à l’écoeurement. Aucune leçon n’est assénée, l’auteur propose un témoignage sans trop en faire. A la lecture du roman, on comprend mieux les tensions entre banlieusards et policiers, les problèmes d’une Justice privée de moyens, la détresse d’une jeunesse qui galère.
Mais il y a aussi l’espoir, celle d’une banlieue où tous se mobilisent pour un des leurs, et se révèlent aux autres et à eux-mêmes pour déplacer des montagnes. On y rencontre des talents gâchés d’êtres désabusés, qui, « à l’épreuve », se révèlent touchants et volontaires. Du frère érémiste Tarik, au chauffeur de bus Jean-Marc, en passant par la professeur de français Catherine, le journaliste, le juge, l’infirmière, tous vont dépasser leur cas personnel pour le bien commun – et finalement pour leur bien à eux. De la passion, l’enthousiasme, la volonté, l’unité qui créent un élan de solidarité, voilà l’un des messages du livre. Voilà aussi peut-être ce qui manque à nos banlieues. Si Le poids d’une âme est avant tout un roman, il a un côté fable qui fait qu’il dépasse son sujet. Reprenant en exergue un récit de Lao Tseu, où un paysan commence par perdre un cheval ce qui, à la suite de péripéties diverses, va finir par sauver son fils, Rachedi illustre à merveille les caprices du destin. Comme Woody Allen dans Match point où le dénouement se joue à un lancer de bague, l’auteur souligne combien, entre bonheur et malheur, chance et malchance, tout ne tient qu’à un fil – où plutôt à une corde (je renvoie à l’épisode très original et très réussi sur la corde de Maurice Herzog, mais chut, je n’en écris pas plus). Le style est d’une précision diabolique, fait de phrases et de chapitres courts. La plume et légère et souvent pleine d’humour. La construction est machiavélique, une mécanique de précision à l’image d’After hours de Scorsese. Par tous ces aspects, Le poids d’une âme est une réussite. Mabrouck Rachedi est un auteur à suivre.
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