A l’occasion d’un portrait réalisé pour le magazine Atmosphères auquel je collabore et qui paraîtra en février 2007, j’ai rencontré et interviewé Emmanuelle Laborit. Même si cette personnalité est un peu éloignée de l’univers du Buzz littéraire, son entretien pourra tout de même vous intéresser. Cette jeune femme passionnante à l’énergie communicative, sourde et muette de naissance, auteur du fameux Cri de la mouette paru en 1994, milite pour la reconnaissance de la langue des signes, une langue fascinante et magnifique qui pourtant était encore jusqu’à l’année dernière tenue dans l’ombre, jugée -à tort- inesthétique et « inférieure ». A la direction d’un nouveau théâtre visuel en plein coeur de Paris (voir article du Monde), elle compte bien faire découvrir à tous la richesse et la beauté de ce moyen de communication privilégié pour les sourds. Portrait et explications en vidéo d’une comédienne qui n’a pas les mains dans sa poche !
1993, son nom est sur toutes les lèvres et son visage à l’expressivité sans égale reste gravé dans nos mémoires : Emmanuelle Laborit, 21 ans, comédienne sourde et muette, reçoit un Molière pour son interprétation dans Les enfants du silence, une pièce relatant l’histoire d’amour entre un jeune professeur et son élève née sourde Sarah, au tempérament de feu…
L’année suivante, elle publie Le cri de la mouette (titre évoquant les cris qu’elle poussait enfant pour s’entendre tandis que les sons ne lui revenaient pas et qui ressemblaient pour ses parents aux cris d’oiseaux de mer d’où son surnom), où elle raconte son parcours de combattante pour ne pas être exclue et communiquer avec la langue qui lui est naturelle : celle des signes. Un langage dont la reconnaissance officielle est toute récente (loi de 2005) et encore tenue dans l’ombre au profit des méthodes orales (appareillage, lecture sur les lèvres). Le préjugé –tenace- qui la révolte ? La langue des signes, ce n’est pas beau. C’est une langue inférieure… « Au contraire, c’est la plus adaptée aux sourds pour favoriser leur développement intellectuel, prône la jeune femme. Et qui peut être partagée par tous ».
13 ans plus tard, toujours aussi lumineuse, elle conserve derrière sa silhouette d’héroïne romantique la même combativité et le même désir de reconnaissance de « la culture sourde », selon son expression. Son nouveau théâtre visuel (l’International Visual Theater, IVT), qui lèvera le rideau en janvier 2007, le démontrera en jouant des pièces et spectacles (de Shakespeare à Beckett en passant par les fables de la Fontaine…) mixant langue des signes et langue française avec des comédiens sourds et entendants.
La mise en scène permettra à chacun de comprendre sans le recours à des sous titrages systématiques ou des interprètes : place à la créativité et surprises garanties ! Au cœur du quartier artistique près de Pigalle (au 7, Cité Chaptal dans le 9e à Paris) et non plus en marge à Vincennes (ancienne adresse de l’IVT), elle espère bien toucher un public le plus large possible. Et que cette visibilité encouragera les initiatives pour une meilleure intégration sociale des sourds comme c’est le cas par exemple en Angleterre ou 50% des programmes TV sont sous-titrés contre 10% en France. Des petits aménagements pour faciliter la vie quotidienne tout simplement…
Rens : 01 53 16 18 10, 7 cité Chaptal – 75009 Paris, www.ivt.fr
Voici une vidéo d’Emmanuelle Laborit en langue des signes traduite par l’interprète de l’IVT. En langue des signes, les expressions du visage forment la grammaire (ce sont les formes interrogatives, négatives…), les mains décrivent le vocabulaire tandis que les postures du corps (plus ou moins de biais) indiquent la conjugaison (présent, passé, futur). Laissez-vous entraîner dans ce ballet de mains et d’expressions fascinant…
ATTENDRE ENVIRON 2 MINUTES (AVANCEZ LE CURSEUR) AVANT LE DEBUT DE CHAQUE VIDEO
« Ce qui est important c’est l’émotion, si l’on est touché ou pas. C’est cela qui fait que l’on comprend ou pas un spectacle.«
Extraits de : « Le cri de La mouette » par Emmanuelle Laborit :
« J’ai décidé de ne plus rien faire en classe. J’en ai marre de leurs cours, marre de lire sur des lèvres, marre de m’escrimer à faire sortir des grincements de ma voix, marre de l’histoire, de la géo, même du français, marre des professeurs découragés qui n’en finissent pas de m’engueuler, marre de moi au milieu des autres. La réalité me dégoûte un peu. Alors je décide de ne plus la regarder en face. Je fais ma révolution.
Passer ma vie à l’école, c’est ridicule. Les heures les plus importantes de ma vie se perdent en prison. J’ai l’impression qu’on ne m’aime pas, que je n’arrive pas à suivre. Et que tout ça ne sert à rien.
L’avenir est quelque chose de mystérieux. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne veux pas savoir. Je e dis : « On va mettre ça de côté, en attendant. »
Et en attendant, je rêve de voyages, de randonnées illimitées, de voir du pays, d’autres cultures, d’autres gens. Je rêve de vie. Je n’écoute pas. Même les erreurs, j’ai envie de les connaître. On a beau me dire : « Attention à ci, attention à ça… tu vas faire des erreurs. »
A treize ans, je suis contre le système, contre la manière dont les entendants gèrent notre société de sourds. J’ai le sentiment d’être manipulée, on veut effacer mon identité de sourde. Au lycée, c’est comme si on me disait :
« Il faut que ta surdité ne se voie pas, il faut que tu entendes avec ton appareil, que tu parles comme une entendante. La langue des signes, ce n’est pas beau. C’est une langue inférieure… »
C’est essentiellement contre cette stupidité que ma révolte gronde. Je l’ai entendue toute mon enfance ; je me suis tue, jusqu’au moment où cette sorte de colère a éclaté.
A treize ans, j’explose. Je suis contre tout. Je veux mon monde à moi, ma langue à moi, et que personne ne s’en mêle.
La surdité est le seul « handicap » qui ne se voit pas. On voit les gens en fauteuil roulant, on voit que quelqu’un est aveugle, ou mutilé, mais on ne voit pas la surdité, alors les autres rêvent de l’effacer, puisqu’elle n’est pas visible. Ils ne comprennent pas que les sourds n’aient pas envie d’entendre. Ils nous veulent semblables à eux, avec les mêmes désirs, donc les mêmes frustrations. Ils veulent combler un manque que nous n’avons pas. Entendre, je m’en fous ! Je n’en ai pas envie, ça ne me manque pas, je ne sais même pas ce que c’est. On ne peut pas avoir envie de quelque chose qu’on ignore. »(Pages 95-96)
6 Commentaires
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bonjour
J’ai lu le cri de la mouette.
J’ai trouvé se roman vraiment trés touchant, je n’avais jamais vraiment pensé a se que pouvait être un monde sourd.
Et j’ai trouver votre histoire trés touchante.
en lisant votre le livre j’ai trouve dommage que le ses deux monde soit encore trop séparé.
Ce livre ma permis de découvrir une vie trés interesante, et une personne forte.
Je trouve cela trés fort de votre part d’être arrivé ici aujourd’hui.
Et face a se roman le entendant ne peuvent rester sourd a ce monde trop oublié.Je vous remercie d’avoir écrit votre autobiographie,je n’aurais jamais pu voir les chose comme elle était vraiment, se livre permet de mieux comprenedre les sourd, des personnes normal, doué comme tout le monde d’un language, malgrés tout cela cette communauté est mis à l’écart, il n’ont pas le droit a a une reconaissance compléte.
votre roman a changer ma vision des choses.
je vous souhaite une bonne continuation. bravo
Louise Perron 16 ans
Bonjour,
Cela faisait longtemps que je connaissais votre livre lorsque j’ai rencontré une petite fille sourde. Elle s’appelle Camille et est âgée de 9 ans aujourd’hui. Comme vous, elle connaît la condition de sourde. Mais la différence s’arrête là. Contrairement à vous, elle n’a connu ni l’exclusion, ni la sensation d’être considérée comme "une erreur". Je pense que votre livre a fait bouger les choses. La communauté sourde est encore peu connue en France mais l’exclusion n’est plus de mise. Elle porte un appareil auditif qui, aujourd’hui, fait des merveilles mais connaît un dérivé du langage des signes. Bien que vous soyez parvenue à un tel degré de réussite sans appareil auditif (ce qui est admirable), il y a de plus en plus de sourds qui, aujourd’hui, réussissent à cntinuer les études grace à cet appareil. Dans votre livre, vous avez critiqué les médecins qui voulaient implanter un mécanisme dans l’oreille interne des sourds pour les rendre "moins" sourds, car, selon vous, cela changerait ce qu’ils sont réellement et priverait le monde ce qui le rend parfait : la diversité. Mais je pense qu’aujourd’hui existe une technologie qui permet aux sourds de faire le métier qu’ils veulent et j’admire la médecine pour ses progrès.
Encore bravo pour votre livre qui m’a tant touché.
Alexandra, 17 ans.
je suis actuelement en formation d’aide médico psychologique. J’ai lu ce livre et je l’ai trouvé fantastique, j’ai pu découvrir cette population. Elle m’a aidé à comprendre ces personnes en souffrances. Je souhaite un jour pouvoir accompagner ces personnes et ainsi apprendre le langage des signes . Merci pour ton livre qui m’a donné la chair de poule et m’a aidé à me remettre en question.
Bonjour,
J’ai lu Le cri de la mouette. Ce livre m’a beaucoup touchée, et même si je ne connais pas de sourd, ma vision sur eux ne sera plus jamais la même. J’ai été choquée d’apprendre que la langue des signes était interdite jusqu’en 1991 et puis aussi tous les moyens d’information (ex : le sida) qui n’étaient pas transmis aux sourds ! J’espère que grâce à votre livre, beaucoup de choses vont changées (même si il y eu déjà quelques progrès) ! Comprendre ce monde est très difficile (cela dépend pour qui bien sur) mais pas impossible, je regrette pour toutes les personnes qui refusent ce "mélange des deux mondes" car soi-disant, seraient trop différents. Ça m’impressionne que vous ayez réussi mais j’en suis très heureuse !!! vous êtes déterminée, prête à tout et j’admire ce caractère.
Bonne continuation, ne baissez jamais les bras,
Amélie, 14 ans.
bonjour, j’ai découvert ce livre lorsque j’étais au collège et je me suis reconnue dans pas mal de passages. en effet, je suis moi même sourde, mais lorsque j’ai été appareillée j’ai perdu la notion de silence et me suis retrouvée dans un monde bruyant et ainsi j’ai suivi un cursus scolaire plutôt ordinaire. j’ai découvert récemment ce qu’était la langue des signes et j’ai tout de suite été séduite par cette langue. il m’arrive parfois de me demander quelle aurait été ma vie si je n’entendais pas avec l’aide de mon appareillage. en tout cas une chose est sure c’est que j’aurai apprécié la pluie… je suis très reconnaissante de ce travail sur ton histoire… et le rêve le plus fou que je puisse faire c’est un jour vous rencontrer dans votre théâtre. amicalement. ELINA, 23ans.
Bonjour, je suis contente que tu fais le théâtre pour les sourds ! En fait, je voulais faire un petit théâtre de langue de signes pour les humours ou autres…
Comme ça je suis fière d’être sourde.
Au revoir.