Il est désormais très « tendance » pour les écrivains de partager leur plume avec celle d’un dessinateur. Des collaborations qui donnent naissance à des œuvres graphico-littéraires combinant la narration texte de type romanesque et la narration graphique (dessin, photographie, collage, gravure…), les rendant solidaires, l’un de l’autre. Après Philippe Jaenada avec le duo Dupuy-Berbérian (Les brutes), bientôt Virginie Despentes avec Dame Darcy ou encore les duos sur des BD plus classiques de Frédéric Beigbeder à David Foenkinos, Tonino Benacquista, l’auteur de Les morsures de l’aube ou de l’excellent Saga…, se lance lui aussi dans l’aventure avec le dessinateur et scénariste Jacques Tardi (Rumeurs sur le Rouergue, la série « Adèle Blanc-Sec » et auteur de nombreuses adaptations…). L’une de ses nouvelles « La boîte noire » avait déjà été transposée en BD mais sans son concours. Il signe ici une histoire inédite et originale, fidèle à son univers à la fois noir, humoristique et émouvant, où les mystères (et les conflits) de la psychée et le poids du passé affleurent à la première occasion…
« Je suis enfermée dehors ». Après trois ans de métier, Marc ne relevait plus les phrases toutes faites, et celle-là était la plus courante. Il se contentait de saisir son matériel et d’enfourcher son scooter pour voler au secours du client… »
Paru aux éditions de l’Estuaire (Belgique), dans la collection «Carnets littéraires» (dont le principe est d’associer un écrivain à un illustrateur ou un photographe pour créer un récit), ce roman graphique est parti d’une idée de Tonino Benacquista initialement envisagée avec Jacques Audiard (avec qui il a co-signé le scénario de De battre mon coeur s’est arrêté ). Le rythme de ce carnet est d’ailleurs très cinématographique où les chapitres s’enchaînent comme des scènes urbaines, filmées caméra au poing, qu’il s’agisse de la mise en scène d’un braquage ou de l’entrée par effraction dans la Bibliothèque nationale…
Le pitch ? Sur fond de banlieue parisienne (Vitry-sur-Seine, où Benacquista a grandi) puis de la capitale intra-muros, il nous raconte la vie tranquille, un brin pépère de Marc, trentenaire solitaire et misanthrope. « Marc s’était toujours contenté de ce qu’il avait et n’aspirait à rien de mieux que ce qu’il était déjà : un homme ordinaire. » Exerçant la profession de serrurier 24h sur 24 « volant » au secours des malheureux ou malheureuse qui se retrouvent « enfermé dehors ». Un métier dont la symbolique ne tarde pas à apparaître lorsqu’on apprend que le héros est un ancien convoyeur de fonds traumatisé par une attaque de fourgon, dont il sera l’unique rescapé et donc il ressortira victime de coma, rééducation et dépression… Comme le résume Benacquista : « Cet homme ferme la porte au monde mais ouvre les portes des autres ». Et accède par ce biais à l’intimité et autres petites misères de ses semblables.
Sa devise : qu’on lui fiche la paix ! « Tu oublies que dans toute équation il y a un élément fondamental, c’est l’inconnue », le prévient son pote Titus. Pour Marc, l’inconnue prendra le visage d’une belle bourgeoise aussi hautaine que glaciale, qu’il viendra dépanner, une nuit, sur son palier. Cette rencontre avec cette brune fatale va -une nouvelle fois- bouleverser sa vie et le replonger dans son passé qu’il tente de refouler sans succès…
Sur un texte au style franc et drôle teinté d’un tendre cynisme signé Benacquista, Tardi, particulièrement habile pour traduire l’atmosphères des faubourgs de Paris ou la misère humaine, a composé un carnet fait d’esquisses couleur sépia au parfum nostalgique qui baigne d’étrangeté et de mélancolie cette histoire très moderne aux accents de polar. En filigrane, c’est l’intimité violée et le voyeurisme de notre époque que l’auteur de Malavita explore ici, subtilement.
Lire un extrait du Serrurier volant sur les site de l’Estuaire
4 Commentaires
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La BD n’est pas vraiment une nouveauté pour M. Benacquista qui avait déjà scénarisé pour M. Ferrandez l’Outremangeur paru en 1998 chez Casterman.
Merci beaucoup Lobo de cette précision. Le scénario de cette BD était-il réussi ?
Sinon l’exercice est ici différent d’une BD traditionnelle (avec des cases et des bulles pour schématiser) puisqu’il s’agit davantage d’un "texte illustré" en quelque sorte.
Oui, c’était plutôt pas mal. Disons que parmi les écrivains français qui ont franchi le pas, c’est sans doute Benacquista qui s’en tire le mieux.
merci de ton avis !