Anna Rozen, auteur notamment de Plaisir d’offrir, joie de recevoir, quadra épicurienne (génération 60’s) possède un charme et une fraîcheur dont on ne se lasse pas de roman en roman et sur ses quelques échappées tels « Le petit garçon qui n’existait pas », un livre illustré avec Dupuy et Berbérian (également auteurs de la couverture de son dernier opus « Vieilles peaux ») ou encore une ode à Stevie Wonder (« Encore » chez Naïve éditions). Anna Rozen c’est un spleen acidulé, une loseuse joyeuse, une sensibilité malicieuse d’écorchée. Elle aime la chair, les hommes, les plaisirs, bref la vie la vie même si celle-ci le lui rend rarement. Ces histoires gardent souvent un goût amer où le bonheur se fait discret (ou artificiel comme dans son Bonheur 230)… Une écriture gourmande, provocatrice, tout en rondeur même pour nous raconter le plus acide ou le plus cru.
Une plume nue, vraie et pourtant pudique, jamais obscène même si elle est explicite. C’est une grande soeur pétillante et fantasque dont on se sent immédiatement complice et proche. Des romans courts, vifs et denses, sans complexe, dont on se délecte et qui font réfléchir. On ne peut s’empêcher de penser à Bridget Jones quand on lit Anna Rozen, ce qui ne lui ferait sans doute pas plaisir. Mais une Bridget libre, toute en nuance et en subtilité, qui serait filmée par un Claude Sautet ou un Patrice Chéreau (celui d' »Intimité » notamment). Un univers très féminin et sensuel sans aucune mièvrerie ou stéréotypes, bien au contraire. Une certaine violence et lucidité habitent ces écrits avec toujours cet humour si particulier, sa petite musique, en arrière plan. Florilège :
Analyse critique de MEFIE TOI DES FRUITS d’Anna Rozen, 2002, Le Dilettante
« J’ai une théorie fondée sur ma propre pratique : il y a des individus qui sont faits pour « ça », rencontrer l’unique, vivre à deux, contribuer au renouvellement de l’espèce, et d’autres, qui trop égoistes ou pas formatés, sont destinés à ne se mélanger que provisoirement et de manière aussi brouillonne que gratuite.«
Dans « Méfie toi des fruits« , son deuxième roman Anna Rozen abandonne la nouvelle pour se lancer dans le grand bain, celui d’un roman, un vrai. Enfin presque. Car Anna cultive l’anticonformisme et l’art de la digression. C’est ainsi qu’elle choisit de nous raconter l’histoire éternelle d’un couple… qui n’en est pas un tout à fait. Elle l’aime, lui aime surtout son corps, la nuit. La jouissance est ce qui les lie quitte à ce qu’elle lui soit soumise pour garder son désir. Alors elle l’attend dans une chambre d’hôtel ou près de son téléphone, pour reconstituer sa réserve de précieuses sensations et « s’endormir d’une traite sur le dos de rêves solides et joufflus ». « Lui ne se rend pas compte, son temps n’est pas le même, pas tendu comme un fil de téléphérique entre deux collisions sexuelles.«
Et puis d’ailleurs elle n’est pas libre non plus, elle serait même l’épouse d’un mari qui « n’a pas besoin d’être dit puisqu’il est comme l’eau ou l’air, une évidence… » C’est même un avantage pour son amant : « son attachement à un autre la rend plus légère. » Sans « le risque d’infecter ses amours en y apportant ses propres questions d’avenir ». Pourtant elle aimerait un enfant de lui (ce fameux « fruit » de l’amour dont il faut se méfier parce qu’on ne leur demande pas leur avis et dont l’explication, l’excuse des parents est toujours inacceptable), l’amant qui ne l’aime pas vraiment si vous suivez. C’est Elle qui raconte, du moins c’est ce que l’on croit. la troisième personne cède parfois la place au « je » et puis il y a aussi une autre voix, celle de l’auteur a priori, à moins que ce ne soit l’inverse. Bref Anna aime brouiller les pistes en mêlant ses propres réflexions en filigrane aux démêlés amoureux de son héroïne. Et nous entraîne parfois dans les coulisses de l’écrivain comme ses premières pages, insolites et drôles, entièrement dédiées au choix du prenom de ses personnages. Un acte fort de conséquences ! « Sincèrement je trouve effarante la charge de sens que donne tout de suite un prénom : un bouquin qui commence par « Bernard était mal en point. » est forcément très différent de celui qui démarre sur « Pour Elijah, ça n’allait pas.« , commente-t’-elle. « Voilà pourquoi les noms sont difficiles à manipuler, ils recèlent de matières explosives, des angles contodants. En fait ils ne demandent qu’à vous péter à la gueule« . Dans sa langue charnelle, électrique et émouvante, Anna Rozen revisite ici, avec originalité la théorie du prince charmant et cerne d’encore plus près la complexité de nos désirs, la difficile cohabitation des sentiments avec le sexe et du bonheur amoureux qui reste pour elle un mythe inacessible…
Analyse critique de PLAISIR D’OFFRIR, JOIE DE RECEVOIR d’Anna Rozen, 1999, Le Dilettante
Version masculine du « Women » de Bukowsky
« Ce que j’aime, dans le sexe, c’est d’y mettre les doigts. Etre là où l’action se passe, toute moi, être le sujet, le lieu et le spectateur. Eprouver de partout à la fois, ce miracle jamais compris de l’autre qui entre où, sans lui, je n’ose pas aller.«
Premier recueil de l’impertinente Anna Rozen, « Plaisir d’offrir, joie de recevoir« , à la sublime couverture de poupée kitsh, est un condensé de la vie charnelle de l’auteur ou du moins de sa narratrice qui dit « je ». Une joyeuse promenade dans ses souvenirs amoureux et surtout sexuels (de sa première fois à sa dernière anticipée) où la Belle goulue (qui dit rechercher « la satiété »), nous conte dans le détail ses sensations avec une fraîcheur et une spontanéité presque candide.
Elle aime se faire du bien et en donner : voilà c’est aussi simple que ça. Elle nous livre sous forme de confessions piquantes et sexy ses amants d’un jour dans une chambre de bonne (pour une « collusion mansardée »), à la plage, au cours d’un bal masqué, à l’hôtel… Elle les attrape dans ses « réserves de garçons » c’est à dire les boîtes où elle « dansouille » pour les cueillir, sur une terrase en bord de mer, dans le métro où elle fantasme sur les hommes qu’elle croise ou bien au téléphone suite à un faux numéro ! Des inconnus qu’elle suit ou qui la suivent ou des amis d’amis… Souvent actrice parfois spectatrice.
Elle nous décrit son appétit des hommes qui sentent « l’herbe et le feu, l’alcool, la fête désordonnée », et son ressenti quand les corps fusionnent à deux et parfois à trois, quand elle se coule avec volupté dans les angles de ces peaux « glabre » ou « cuite », dans les « rumeurs roboratives » jusqu’à devenir « une fastueuse épave »…
La chimie des corps, leur attraction et leur union parfois grandiose, parfois minable. Un monde fait de sensations et de perceptions où l’on se baigne avec plaisir. « Il y a chez moi un mélange d’avidité débridée et de pudeur sauvage que je ne comprends pas« , constate avec étonnement celle que l’on a surnommé « la salope magnifique ».
Sans oublier d’être drôle comme lorsqu’elle raconte son aventure avec un fétichiste du téton qu’il faut lui « titiller sans relâche » tout au long du rapport : « Rapidement j’ai eu la sensation de travailler sur une machine poilue pas très perfectionnée.« , et autres petites humiliations qu’elle raconte avec le sens de l’autodérision.
Scandaleuse Anna ? Certains ont qualifié ce recueil de voyeuriste. Mais c’est tout le contraire. Ce recueil est avant tout réjouissant, émoustillant et généreux un peu comme le roman graphique « Fraise et chocolat » de la jeune Aurélia Aurita publié récemment (même si l’auteur ne se sent pas vraiment d’affinités avec ce dernier…). C’est une ode joyeuse aux plaisirs de la chair et d’une féminité décomplexée qui chante sur tous les tons « la mélodie du désir ».
ENCORE, 2005, Naïve éditions
« J’avais prévu de ne plus parler de cette boîte, je croyais en avoir fini avec cette époque, et puis j’entends Joy inside my tears et tout revient. » « Encore » nous parle du pouvoir d’évocation sur-puissant des chansons. On a tous une bande originale de notre vie. Un titre, un artiste qui a accompagné les moments forts de notre existence et nous y replonge irrémédiablement dés que l’on entend ses premières notes. Pour Anna Rozen, c’est Stevie Wonder qui détient la clé de ses émotions passées et souvenirs d’une jeunesse exaltée : premières virées nocturnes, premières soifs de l’Autre et émois charnels à travers les joies primitives de la danse sur la soul music sensuelle et langoureuse, les jeux de séduction mais aussi les chagrins et la solitude, rythmés par le double album soleil, orange « Songs in the Key of Life » dont le titre lui faisait « l’effet d’un testament ». Elle tisse un subtil parallèle entre la structure musciale de sa chanson fétiche d’adolescente, « Joy Inside my Tears », et les aléas de la vie où l’on attend toujours quelqu’un ou une surprise. Elle évoque par exemple la « fausse fin » du morceau au bout des 3 premières minutes avant de poursuivre avec « 3 bonnes minutes dodues » : « Ca n’est plus du rab, c’est carrément une énorme prime, un bis, de la gourmandise. Stevie Wonder s’étire, et moi avec. Il ne veut pas que ça s’arrête, moi non plus. » accentuant l’effet d’ivresse ressenti et symbolisant pour la narratrice la renaissance du désir comme autant de décharges électrisantes. Une ode à la vie et aux plaisirs parue dans l’originale collection Naïve Sessions qui propose à un écrivain de choisir une chanson pour écrire une fiction.
Voir aussi les chroniques de : Bonheur 230 et de Vieilles peaux d’Anna Rozen.
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