Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald est une souce d’inspiration de la nouvelle génération d’écrivain et on ne compte plus les romans dits « Fitzgeraldiens » (à tort ou à raison !). Nicolas Rey et Frédéric Beigbeder (qui a d’ailleurs donné le même titre à son septième roman que celui d’un roman de jeunesse jamais paru du mythique auteur américain : « L’égoïste romantique« ) héritent souvent du qualificatif, ce qui ne manquera pas d’hérisser les puristes. A quoi tiennent l’univers et le style du célèbre auteur de « Gatsby le magnifique » et de « Tendre est la nuit » : une certaine élégance, nonchalance, un alcoolisme mondain, un épicurisme, le goût du luxe et des excès ou encore l’illusion des apparences et de la fête permanente sur un air de jazz… Un certain snobisme qui n’est qu’un échappatoire au désenchantement.
Une prose légère et brillante comme le champagne, au parfum suave d’une « génération perdue » fascinée par l’acte gratuit, le panache, l’extravagance, la désinvolture enfin retrouvée après la guerre. « Je suis le produit d’un esprit qui ne sait pas ce qu’il veut dans une génération inquiète. », dira d’ailleurs Fitzgerald à son propos.
« Il a dû sentir qu’il venait de perdre à jamais son monde de lumière, que c’était le prix à payer pour avoir trop longtemps vécu prisonnier d’un seul rêve.«
Ecrit en 1924 alors qu’il séjourne à Paris avec son épouse fantasque et inconstante Zelda qui lui sera infidèle, il dit de son chef d’oeuvre « Gatsby le magnifique » qui l’a « arraché de ses entrailles dans un moment de détresse ». Hélas l’ouvrage ne connaîtra qu’un succès d’estime que l’auteur explique par le fait qu’il s’agit « d’un roman d’hommes » sans héroïne d’envergure alors que le lectorat est essentiellement féminin. Pendant la Grande dépression et la Seconde Guerre mondiale il tombe même dans l’oubli. Il faudra attente les années 1950 pour le voir rééditer et connaître enfin le succès mérité. Plusieurs fois adapté au cinéma, c’est la version de Jack Clayton (avec Francis Ford Coppola au scénario) qui aura su le mieux restituer l’esprit de ce roman des années folles avec un magistral Robert Redford (Gatsby) à la fois désespéré et prêt à tout pour reconquérir sa Daisy, femme-enfant gâtée (Mia Farrow, en photo ci-dessus) toute en légèreté et insouciance.
Qui est donc le mystérieux Gatsby alias Jay Gatz ? Un ancien espion pendant la guerre, un nouveau riche à la fortune douteuse, un bootlegger, un imposteur au glorieux passé inventé pour séduire les élites, un homme « bizarre » qui a quelque chose à faire oublier voire même un meurtrier ou un briseur de ménage? Ainsi bruissent les rumeurs autour de l’éclatant jeune homme, grand chef d’orchestre de fêtes sublimes dans sa somptueuse demeure de West Egg à Long-Island, dans l’entre deux guerre.
Son jeune voisin Nick Carraway, trentenaire (voir le bel extrait qui décrit ses 30 ans) fraîchement diplômé aux revenus modestes, qui vient d’emménager, nous raconte en témoin privilégié, les moeurs de cette caste « high society » et son étrange amitié faite d’admiration, de fascination, de compassion et de répulsion pour celui qui attise toutes les médisances et les coivoitises.
Originalité qui donne une force supplémentaire au récit : c’est toujours de son point de vue d’observateur lucide que les évènements sont relatés. « Vous avez choisi exactement la seule manière de le raconter, à savoir l’emploi d’un narrateur qui est davantage un spectateur qu’un acteur : ceci place le lecteur sur un poste d’observation d’un niveau plus élevé que celui où se trouvent les personnages et à une distance qui donne de la perspective. Rien d’autre n’aurait pu rendre voçtre ironie aussi terriblement efficace, ou permettre au lecteur d’éprouver fugacement l’étrangeté de la condition humaine dans un univers aussi vaste qu’insouciant.« , le félicitait son conseiller littéraire de l’époque, Maxwell Perkins (chez l’éditeur Scribner), conquis par le roman. Le romancier inaugure ici une technique narrative originale à la fois scénique et symbolique.
Nous pénétrons donc avec lui, dans le rôle de l’invité candide, les arcanes de ce microcosme aristocratique et cruel où régnent insouciance, débauche de luxe, illusion, éphèmère, opulence, superficialité, spectacle des apparences.
Et où les réputations se font et se défont au cours des conversations mondaines (rendues par un art du dialogue qui fait mouche !) dans les salons, les cours de golf ou le temps d’un fox-trot…
Il nous livre aussi un portrait vivant et incisif de cette faune de cocktails composée de femmes « paresseuses, indolentes et délicates » et d’hommes tout en flegme et orgueil mêlés : « A mesure que la Terre se détache à regret du soleil, l’éclat des lumières s’amplifie. L’orchestre joue des arrangements de musique brillante et légère et le concert des voix monte vers l’aigu. Les rires se font plus francs de minute en minute et jaillissent au moindre jeu de mot avec plus d’abandon. Les groupes changent plus vite, se gonflent au passage de nouveaux arrivants, se désagrègent et se reforment, en une même respiration – et déjà se détachent les téméraires, les femmes sûres d’elles-mêmes, qui louvoient çà et là, entre les ilôts les plus stables et les mieux ancrés, y deviennent pour un temps très bref le centre d’une excitation joyeuse, puis, fières de leur triomphe, reprennent leur navigation, portées par le courant des voix, des couleurs, des visages, dans une lumière qui change sans cesse. »
On fait ainsi la connaissance des riches héritiers : Daisy, femme-enfant insouciante et capricieuse et de son époux, le millionnaire Tom Buchanan, homme arrogant, à la fois paternaliste et condescendant.
Mais c’est surtout la figure de Gatsby qui éblouit et effraie : ce personnage absolu, roi soleil au passé trouble, acteur et créateur de sa propre image on ne peut plus romanesque, qui cultive les petites expressions au chic désinvolte comme son « Cher vieux » (« Old sport ») qui ponctue tous ses propos. « Si la personnalité se traduit par une suite ininterrompue d’actions d’éclat, il devait y avoir en lui quelque chose de magique, une prescience suraïgue des promesses de l’existence, comme s’il était relié à l’une de ces machines ultra-sensibles qui détectent la moindre secousse sismique à dix mille miles de distance.« , dit de lui Nick Carraway.
C’est le mystère inquiétant qui l’entoure jusqu’à sa révélation qui constitue le drame latent de tout ce roman auquel s’ajoutera la vengeance de son rival.
Pour rester fidèle aux désirs de Fitzgerald qui avait supplié son éditeur de ne pas révéler un seul indice du secret de Gatsby (Je vous en supplie (…) ne révélez pas trop l’intrigue, en particulier les liens entre … et … : je tiens à l’effet de surprise, écrivait-il dans sa correspondance avec Maxwell Perkins.), on ne déflorera pas trop le nœud de cette histoire.
« Elle poursuivit sur un ton pénétré
– De toute façon, je pense que tout est horrible.
Tout le monde le pense – les gens les plus évolués. Et je sais. J’ai été partout, j’ai tout fait, j’ai tout vu.
Elle regarda autour d’elle avec une insolence hautaine, assez voisine de Tom, et se mit à rire.
– Un rire de mépris inquiétant.
– Snob !… Dieu que je suis snob !«
Avec une remarquable analyse psychologique de cette société factice et l’art de faire monter la tension dramatique, Fitzgerald dévoile peu à peu le jeu de ses personnages comme on avance ses pièces sur l’échiquier jusqu’à la confrontation fatidique du triangulaire constitué de Gatsby, Daisy et Tom Buchanan pour prendre « la reine ». Il exprime avec subtilité la confusion et la violence de leurs sentiments, tout en jouant habilement des personnages secondaires tels que Nick Carraway et Jordan Baker (une autre belle figure féminine sportive et volontaire, cousine de Daisy), leurs proches, spectateurs impliqués malgré eux dans la tragédie qui gronde…
Et parvient à donner une puissante dimension symbolique à Gatsby, à la fois pur et obscur, qui incarne un certain panache, une grâce presque infantile dans sa quête idéalisée et sa foi dans les promesses du passé… Jusqu’à la folie qui précipitera sa fin tragique. Il y a aussi une sorte de fastueuse vulgarité dans le personnage de Gatsby. Une attitude excessive dans tout ce qu’il possède ce que Daisy analyse comme une ridicule tentative imitation des riches.
Jay Gatsby confond les valeurs de l’amour et le pouvoir de l’argent. Il est convaincu qu’avec de l’argent il peut tout faire, même reproduire le passé. Malgré sa prodigieuse confiance en l’argent, Gatsby ignore comment il fonctionne dans la société, et ne comprend pas l’arrogance des riches qui connaissent la fortune depuis des générations.
« J’eus le sentiment qu’il était en quête de quelque chose, une idée de lui-même peut-être, qui s’était égarée lorsqu’il avait aimé Daisy. Du jour où il l’avait aimée sa vie n’avait plus été que désordre et confusion. Mais s’il pouvait refaire le chemin pas à pas, revenir à l’endroit précis où tout s’était joué, il finirait par découvrir l’objet de sa quête.«
Fitzgerald pare de couleurs vieil or et cuivre et d’une lumière irisée crépusculaire, ce roman très visuel baignée par l’atmosphère jazzy des années 20 et des fêtes tout en magnificience. On est ébloui par leur faste étincelant où les buffets, les robes de mousseline et les costumes de flanelle blancs chatoient sous les lampions multicolores…
C’est aussi une belle évasion dans cette île de la cote Est, au nord de New-York faite « d’immenses pelouses et de parc ombragés ».
Un univers presque chevalresque, servi par des phrases ciselées, toutes en retenue, qui reflètent à merveille la pudeur de l’époque (Fitzgerald craint même à un moment la censure pour une des scènes pourtant fort chastes du roman). En conclusion, citons les préfaces de Jean-François Revel : « Gatsby est un roman d’amour où l’on ne sent jamais l’amour mais seulement l’argent qui le permet ou qui l’empêche. » et d’Antoine Blondin qui ajoutait : ‘Fitzgerald excelle à définir les atmosphères, à cueillir les charmes éphémères, à capturer l’instant au lasso.« [Alexandra Galakof]
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A lire aussi : la chronique de « Tendre est la nuit« , autre chef d’oeuvre de Francis Scott Fitzgerald
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Dans la revue littéraire "Europe", Claire Dixsaut livrait une analyse intéressante sur "Gatsby le magnifique", intitulé "La galaxie Gatsby".
Elle établit notamment un rapprochement entre les astres et les personnages du roman qui gravitent autour de Gatsby, figure solaire par excellence.
Extrait : Fitzgerald travaille beaucoup sur les cieux et les mythes. Dans Gastby, c’est l’occasion d’un travail de fond sur els personnages – leurs pouvoirs, leurs émotions – et leur rapport aux dieux – donc à l’espace.
Les notations de lumière, de rayons solaires, accompagnent les personnages, principalement Gatsby et Daisy. Les jeux de lumière très précis nous indiquent les rapports entre les personnages.. Gatsby est le personnage le plus lumineux du roman – un soleil à part entière. Il rayonne, dispense la lumière des étoiles, sort "mesurer sa part de nos cieux indigènes" ; Nick est obsédé par la luminosité de son costume rose.
Gatsby "rayonne" même sa voiture est éclatante : "un labyrinthe de rétroviseurs qui réfléchissait une douzaine de soleils".
Daisy n’émet pas de lumière; en revanche elle réagit à la lumière du soleil :
Les derniers rayons du soleil illuminent son visage avec une "affection romantique"…
Ainsi, les métaphores solaires gouvernent les rapports de force entre les personnages.
Quand Gatsby embrasse Daisy pour la première fois elle "éclot".
Une analyse analogue peut être portée sur le personnage de Myrtle qui est l’astre personnel de George.
Les neuf chapitres de Gatsby serait selon elle une référence aux 9 planètes composant notre système solaire.
Et d’en conclure : "On peut voir dans Gatsby une cosmogonie, une galaxie où les personnages développent des rapports de force physiques, au sens scientifique du mot, en même temps que mythologique. »
Bon commentaire, que je n’aurais pas lu si mes élèves n’avaient la mauvaise habitude de lire internet au lieu du roman… ils plagient vos articles et me donnent du boulot pour rechercher où ils ont pompé leurs analyses subtiles!!!
J’ai découvert Gatsby et Fitzgerald grâce à Azar Nafisi et son roman (essai) Lire Lolita à Téhéran. Gatsby est un roman vraiment universel et libéral.
Voilà un commentaire bien consternant qui ignore ou fait de great contresens sur les problématiques posées par Fitzgerald et sa modernité littéraire ( par ailleurs, il n’a pas "inauguré" cette technique narrative dont vous parlez. L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel (XVII è siècle) vous en montre déjà les ressorts )
Enfin, le mot "Beigbeder" n’a rien à faire dans un texte qui bavarde sur de la LITTERATURE américaine.
Calamity Jah ,et ses »problèmatiques …etc …quel charabia consternant et épouvantablement snob!! Aller chercher un vague écrivain (dont pratiquement personne n’a entendu parler!) pour faire » chic et intello »!au XV è siècle c’est désespérant, je conseillerais à calamité (pourquoi en anglais?)de reprendre quelques cours de littérature niveau 3ème’ littéraire!!!
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