Tout lecteur qui se respecte aura une fois été confronté à cette terrible angoisse (ou honte avec rougissement phosphorescent à l’appui) du « J’ai pas (encore) lu » alors que votre interlocuteur vous demande hyper enthousiaste ou au contraire catastrophé votre avis sur le dernier « livre dont tout le monde parle en ce moment » ou vous livre son analyse hyper pointue sur ce chef d’oeuvre incontournable que vous DEVEZ avoir lu. Un peu d’improvisation (et de broderie) s’impose donc parfois… Le dernier exemple en date serait probablement « Les bienveillantes ». Même ceux qui ne l’ont pas lu en parle très bien : se pâmant ou fustigeant à l’envie (Quoi ? Pourquoi vous me regardez comme ça ?!).
Bref, nouveauté ou classique éternel, vous DEVEZ avoir un avis. Comble des combles, un ouvrage est même sorti sur cet art difficile : « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus » de Pierre Bayard, sorte d’anti-manuel pour ne plus culpabiliser face à ses lacunes littéraires (revers de la médaille : il faudra aussi trouver le temps de le lire celui-là !). L’occasion pour le magazine Télérama d’interroger quelques écrivains sur ces livres qu’ils n’ont pas lus mais sur lesquels ils font très bien illusion (à quelques détails prés)… Comme disait le très lucide Oscar Wilde : « Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. »
Parmi eux, on trouve Stéphane Audeguy (La foire aux vanités), Patrick Grainville (Don Quichotte), Dominique Noguez (Les Essais de Montaigne) et François Bégaudeau (La Divine Comédie). Amusant et honnête. Assumons nos « non-lectures » !
Extrait : François Bégaudeau qui n’a donc pas lu « La Divine Comédie » :
« Je n’ai pas lu La Divine Comédie, et ce pourrait être un gros problème, vu qu’il ne se passe pas un déjeuner, un dîner, un cocktail sans qu’il en soit question. J’en sais cependant assez sur le livre pour faire bonne figure au milieu de ces débats récurrents et acharnés. Je sais par exemple que l’auteur, prénommé Dante, avait lu La Comédie humaine et entendait frapper encore plus fort que Balzac, car l’invention des pâtes al dante (à la Dante) n’avait pas suffi à combler sa vanité. Il s’est donc inspiré de son groupe de pop anglaise préféré, The Divine Comedy, pour titrer ce qui demeure, à ce jour, son grand œuvre. Restait à décider s’il s’agirait de démontrer que la comédie était un genre absolument divin, ou que les dieux étaient de sacrés comiques. Ayant eu vent du fait que certains des habitants de l’Olympe avaient un grand sens de la déconne, Dante opta pour la seconde voie conceptuelle. C’est ainsi qu’à la page 321 de La Divine Comédie, Jupiter demande à Athéna de dire « camion ». Passablement surprise mais pas bégueule, la divine déesse s’exécute, et c’est alors que l’impayable dieu des dieux pince un sein de sa vis-à-vis en criant « pouet ! ». Camion, pouet, c’est divin, c’est comique, c’est dans La Divine Comédie.«
Lire l’article complet sur Telerama.fr :
http://www.telerama.fr/livres/M0701151251291.html
Lire aussi l’humeur : Faut-il devenir boulimique de livres ? ou l’Eloge de la lenteur
13 Commentaires
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Je pense qu’un certain nombre de journalistes va adorer. Ca les confortera dans leur bon droit à l’incompétence qui désormais sera (so chic) inspiré d’Oscar Wilde. Et ça leur rappellera les souvenirs d’hypokhâgne, le meilleur endroit du monde pour apprendre à disserter en trois parties sur les choses qu’on ne connaît pas. Ben ouais, c’est ça la culture… Tout ceci, chère Alexandra, sans aigreur et en connaissance de cause… Bien sûr.
C’est… amusant… Je viens de faire un billet sur cet article… J’ai beaucoup aimé les commentaires de ces quatre non lecteurs-menteurs. Contrairement à Chien blanc, je ne pense pas que les journalistes vont apprécier… Surtout lorsqu’on connaît un peu le milieu, la façon dont ils "lisent" les romans, aidés des petites notes des attachées de presse. Quoique… Ils vont certainement le prendre avec humour… Pour l’instant, je n’ai lu que deux excellentes critiques de cet essai, l’une dans le Télérama et l’autre de Busnier dans L’Express…
Oui et il y a aussi les livres nons lus à 100%. C’est assez frequent de démarrer un bouquin pour s’interrompre au bou
t du I chapitre ou du IIe chapitre pour cause d’incompatibilité irrécupérable..
Je ne l’ai pas lu, cet artcle, mais je le trouve très bien, vraiment.
(Et je prends les paris : hormis quelques journalistes amusés, peu de gens liront le livre de Pierre Bayard. ça ne les empêchera peut-être pas d’en débattre 😉
Pour autant, il faut reconnaître qu’il est fréquent d’avoir des préjugés en littérature et des convictions. Il y a des auteurs que je ne lirai jamais et dont je sais par avance qu’ils sont mauvais et pour lesquels je n’ai aucune chance de me tromper.
A l’inverse, il existe quelques auteurs réputés que je n’ai pas lu et dont malgré tout j’ai une opinion arrêtée.
Le problème de la critique qui ne lit pas les livres qu’elle commente est qu’en agissant ainsi, elle devient un simple relais des attachés de presse, une extension de la publicité. Si je suis devenu incapable de regarder une émission littéraire c’est à cause de ça. Je ne supporte plus d’entendre des éloges permanents qui n’ont pour but que de correspondre à l’air du temps.
Voilà, désolé d’avoir été un peu long.
C’est très intéressant tout cela.
Je suis assez d’accord avec tout en particulier avis de Pistolero mais j’ai aussi quelques réserves alors je développerai cela demain quand j’aurais un peu plus de temps. A suivre !
Cette phrase d’Oscar Wilde c’est de la provoc’ rassurez moi ?
(J’adore le commentaire ci-dessus.)
Bon, eh, il faut un peu redescendre sur terre, les amis. D’abord, il n’y a évidemment pas la moindre honte, dans le monde normal (c’est-à-dire en dehors de St Germain) à dire : "Non, je n’ai pas lu ce livre". Pour 95% des gens (je me mets, avec joie, dedans), ça ne pose aucun problème. Faudrait voir à pas se laisser engloutir par le petit milieu, les filles. (Même si, je sais bien, il y a une certaine dose d’humour et de détachement dans votre remarque – mais enfin, tout de même, ça laisse entrevoir, sous la plaisanterie, une sorte d’angoisse, au fond.) Et puis Bégaudeau, il est intelligent, sympa, mais enfin quand il écrit "Il ne se passe pas un déjeuner, un dîner, un cocktail sans qu’il soit question de la Divine Comédie", on a quand même envie de le secouer un peu, de lui mettre deux petites claques et de lui dire : "Reviens dans le monde, Bégaudeau."
Oh, je faisais ça au lycée! Je ne supportais pas les lecteurs obligées: je lisais les premiers chapitres, ceux du miieu, et ceux de la fin. Après j’écoutais à droite et à gauche. La prof demandait mon avis, j’arrivais à peu près à broder.
Aujourd’hui je regrette (un peu) car j’ai fait sauter plein de classiques et du coup, je dois combler mes lacunes maintenant. Bien fait pour moi… ces histoires de "je n’ai pas lu, mais quel beau livre" m’ont bien eu… 😐
de la provoc’ ?? oh bah non c’est pas le genre d’oscar Wilde pourtant hein…
Eh oui, ça doit être sympa les dîners avec François Bégaudeau : il faut juste réviser avant quoi !
Sinon en ce qui me concerne, comme Pistolero je pense que l’on peut avoir un avis sur un livre qu’on a pas lu. Enfin ça s’appelle plutôt un préjugé qui dans mon cas est à 90% exact. C’est un avis par "ouie-dire" comme le nomme très bien Pierre Assouline
passouline.blog.lemonde.f…
Autre phrase amusante de PPDA citée par Assouline :
Alors qu’on lui demandait s’il avait lu tel roman, il avait répondu :” Oui, mais pas personnellement”.
En lisant les résumés, des extraits et des chroniques sur un livre, un premier avis positif ou négatif se forme dans notre esprit et l’on a envie ou non de lire un livre.
Autre chose, d’un point de vue journalistique, il peut arriver de présenter un livre non lu, mais à titre d’info seulement, pour signaler qu’il est paru et qui semble à première vue et à l’intuition intéressant.
Le lecteur jugera ensuite utile d’examiner ou non de plus près ce livre. Quand plusieurs centaines de livres paraissent il semble difficile en effet pour les journalistes de lire tout ce qui sort.
Je n’ai pas lu les Bienveillantes je vais tenter d’en parler :
Le titre : c’est le nom habituel des bonnes déesses de l’antiquité les Euménides ; mais comme ce livre raconte l’histoire du mal absolu je crois qu’il s’agit plutôt des Erynnies , déesses de la vengeance et que ce titre est ironique.
C’est l’histoire d’un allemand très cultivé intelligent et membre du parti nazi dès les premières heures ; il aide activement au génocide mais sans croire que les juifs sont d’une race inférieure ni qu’ils sont une menace pour le monde. Il ne ressent pas non plus de culpabilité particulière. Le narrateur décrit cette guerre avec un grand luxe de détails et les qualités du roman sont avant tout historiques.
Bof ! je n’ai pas grand-chose à dire. Je ne vais pas briller en société, tant pis !
J’ai bien aimé les précédents livres de Pierre Bayard sur Qui a vraiment tué Roger Acroyd et qui est le véritable meurtrier d’ Hamlet père, pas de grande révélation à mes yeux mais bien documentés . Je ne les ai pas lus mais feuilletés. Je lirai peut-être ce livre-là.
Les écrivains cités dont Bégaudeau s’exercent à parler de livres qu’ils n’ont pas lu, sans feindre de les avoir lus mais en assumant justement leur non lecture. C’est autre chose que faire semblant d’avoir lu un livre ; c’est tout aussi malaisé. Quant à parler des livres qu’on a réellement lus c’est une démarche assez malaisée aussi… rien n’est facile !
Je trouve que Bégaudeau a de l’humour ses pâtes « à la Dante » me font mourir de rire !
De toute façon, il faut arrêter d’être naïf, lorsqu’à la télévision ou dans un journal, quelqu’un présente, 3, 4, 5 livres par semaine, il n’a sûrement pas eu le temps de les lire en entier!
Soit a) il les a lu "en diagonale".
Soit b) quelqu’un d’autre l’a lu à sa place. D’autant plus que s’il parle de 5 livres, cela sous-entend qu’il en a lu plus…
De toute façon, je ne pense pas que ce soit un problème propre à la littérature.
Du côté des journalistes, beaucoup ne font que recopier les dépêches d’AFP et Reuter, voir les articles d’autres journaux.
Du côté des bobos, c’est le problème de ne surtout pas vouloir dire: "Je ne sais pas/je ne connais pas." D’où aussi la multiplication des ouvrages de vulgarisation.
J’ai lu l’article dans Télérama. Et j’avoue que le concept du livre m’a fiat bie rire. Qui n’a jamais été confronté à cette situation ?!! Bien sûr, en tant que journaliste littéraire, cela devient problématique, à moins de pouvoir lire "mais pas personnellement"… Perso, je n’aime pas lire un livre en diagonale, j’ai l’impression de mal faire les choses et de perdre toute crédibilité lorsque j’en parlerais…
En même temps, à un niveau personnel, il faut dire qu’il y a tant de livres et que vouloir rattraper ses oublis, ses livres manqués est parfois illusoires… L a pression médiatique, amicale sont fortes et il faut savoir dire sans trembler " non, je n’ai pas lu ce livre" et écouter les autres en parler sans se mettre sous la table.
Alors ce livre est bienvenu pour apprendre à bonber le torse en déclinant la négative.
En tout cas, cela me fait sourire.