Rentrée poético-folk avec Carla Bruni (No promises)… Quand la guitare de Carla rencontre les vers romantiques du XIXe siècle


Dear Carla,
Je viens de recevoir votre album… et je suis très ennuyée. A cause de vous, je vais devoir tout changer. Oui Carla, à la vue de votre sublime pochette de CD, j’ai compris que c’était là que je voulais habiter. Dans cette chambre hors du temps, ce petit boudoir anglais feutré avec le même coussin en velours vieil or pour lire, posé comme un nuage sur un authentique parquet blond qu’on imagine craquant sous les pieds, les mêmes roses un peu fânées et nappes chamarrées, le transistor sixties, les paniers en osier, la méridienne vintage, la même lumière couleur thé et… et surtout la même chemise de nuit brodée d’héroïne victorienne (avec votre silhouette à la David Hamilton tant qu’à faire !).
Je veux absolument tout ce savant désordre bohême-artistico-chic, ce romantisme surrané du XIXe anglais peuplé de petits trésors kitsh qui invitent aux rêveries, aux veillées douces où l’on se gorge de mandarines et de chocolats sous les patchworks et les plaids irlandais… Un décor, une atmosphère enchantés, parfaits pour écouter votre nouvel album ciselé où vous susurrez les poèmes des plus grands de l’Angleterre et de l’Amérique d’hier, comme autant de secrets précieux et duveteux…

Si les défenseurs du français pourraient regretter que vous n’ayez pas eu envie, à l’instar de Charlotte Gainsbourg récemment ou de Marie Modiano l’an passé également chez Naïve, de chanter dans la langue d’Appolinaire ou de Baudelaire (même si vous confiez être une fervente lectrice de René Char, d’Aragon en passant par Eluard ou Rimbaud…), il est impossible de résister très longtemps au charme de vos mélodies délicieusement pop-folk-blues et de votre voix inimitable au timbre légèrement voilé. « Peut-être les gens vont-ils considérer ça comme une parenthèse parce qu’ils pensaient que j’étais française et que je n’écrivais que des chansons en français. Mais je suis italienne et j’écris des chansons dans toutes les langues depuis que je compose.« , expliquez-vous.

Vous rappelez aussi que vous avez déjà mis en musique « Allégeance » de René Char. « Dans les rues de la ville, il y a mon amour / Peu importe où il va dans le temps divisé / Il n’est plus mon amour : chacun peut lui parler / Il ne se souvient plus qui au juste, l’aima. » qui figurera peut-être sur l’un de vos prochains albums… Vous avez aussi rencontré des poètes vivants comme Zoé Valdès à qui vous avez demandé de répéter un vers de l’un de ses poèmes, ce qu’elle a accepté à condition de ne pas le couper.
La même précaution a été demandée par… Michel Houellebecq dont vous avez adapté le poème « La possibilité d’une île », un chef d’oeuvre figurant dans son recueil « Rester vivant » : « Je sais le tremblement de l’être/L’hésitation à disparaître,/Le soleil qui frappe en lisière/Et l’amour, où tout est facile,/Où tout est donné dans l’instant ;/Il existe au milieu du temps/La possibilité d’une île. » Des projets non encore enregistrés.

Votre voix et vos compositions redonnent une nouvelle modernité aux vénérables dames des lettres anglaises du XIXe siècle : Emily Dickinson, Christina Rossetti, Dorothy Parker et à leurs confrères non moins prestigieux : William Butler Yeats (auteur du premier single « Those Dancing days are gone »), Wystan Hugh Auden ou encore Walter de la Mare, choisis attentivement et travaillés avec votre amie Marianne Faithfull (pour la diction et le découpage des vers qui peuvent faire toute la différence voire même changer le sens du poème) après avoir religieusement lu des anthologies de poésie, Les « songs of the innocence » de William Blake ou encore des recueils de P.B Shelley…

Vous ne souhaitiez au départ que vous en nourrir mais finalement ces textes vous ont envahi au point de vouloir les reprendre fidèlement. Vous dites qu' »il y a une fulgurance dans la chanson, une simplicité, que le poème n’atteindra jamais, et dans la poésie une densité et une profondeur dont la chanson est pratiquement incapable. »

Qui aurait soupçonné que ces ouvrages aux pages jaunies recelaient de textes qui n’auraient pu être plus actuels pour nous parler de la fragilité de l’engagement amoureux quand la liberté disparaît (Promise me no promises de Christina Rossetti), de l’amour absolu et le don de soi à l’être aimé (Emily Dickinson), le temps cruel qui endommage les corps (Dorothy Parker), la fuite de la jeunesse, la nostalgie, l’importance de « prendre l’amour comme il vient » (William Butler Yeats) même si ce n’est pas pour l’éternité, les regrets amoureux ou encore le désir de séduire…

« Un mot peut vous inonder quand il vient de la mer. » Emilie Dickinson

De l’univers presque fantastique de Walter de la mare venu des grands parcs mouillés et des maisons ombreuses à celui plus onirique mais néanmoins enflammé et tumultueux d’Emily Dickinson la passionnée à l’écriture « explosive et spasmodique » comme elle la décrira elle-même à l’humour rose et noir d’une Dorothy Parker en passant par les sonnets presque mystiques de Christina Rossetti à la poésie symbolique de Yeats (prix nobel de littérature en 1923) inspirée des mythes et du folklore irlandais dans le Londres décadent.

Certes, tous ces vers et leur subtilité ne seront compréhensibles que par les anglophiles aguerris, mais la musicalité de ces ballades et de ces sonnets, accessible à tous, ne pourra qu’émerveiller avant d’en saisir plus tard le sens plus profond.
On les croirait écrits pour s’harmoniser avec les accord imaginés par vous, l’ancienne top-modèle, parolière pour Julien Clerc (album « Si j’étais elle ») révélée par votre premier album (qui avait déjà des accents ronsardiens) « Quelqu’un m’a dit » en 2002 (deux millions d’albums vendus dans le monde) et arrangé par votre complice Louis Bertignac (ex guitariste de Jacques Higelin et du groupe Téléphone s’il est encore besoin de le présenter), présent aussi sur votre nouvel opus. « Mes chansons sont des jeunes filles toutes nues et c’est Bertignac qui les habille comme j’aime avec un jean et un tee-shirt, selon leur morphologie ronde ou longue, en suivant leurs courbes. Je n’ai pas envie qu’elles se retrouvent en fourreau fuschia, en cape jaune ou en fourrure. » Un compagnon musical qui, comme vous, a autant écouté Dylan que Brassens, Ornella anoni ou Gainsbourg, sans avoir jamais voulu choisir.

Il y a enfin ce parfum authentique presque fait maison qui baigne tout votre album aux arrangement sobres et qui va bien avec votre philosophie que vous résumez joliment : « Ce que j’aime c’est faire des petites chansons comme on faisait des petits cendriers quand on était enfant. » Leur son, lui, s’envole en belles volutes dans lesquelles on aime se laisser bercer…

Pour un avant-goût, découvrez les paroles du premier single particulièrement émouvant :
Those dancing days are gone, un des deux poèmes de Yeats choisis par Carla Bruni qui lui évoque la perte irrémédiable de la jeunesse (son frère et son père sont morts emportant avec eux sa jeunesse sous terre rappelle-t’-elle à ce sujet).

Photos : Sikka Bharat

Carla Bruni se laisse aussi tenter par le désormais incontournable Myspace (quelques vidéos et extraits musicaux)
et s’écoute aussi sur son site officiel

13 Commentaires

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    • Pistolero sur 16 janvier 2007 à 13 h 03 min
    • Répondre

    Le Monde qui n’est pourtant pas un journal très méchant dans ses critiques a publié un article très mordant et plutôt moqueur sur ce disque. Lisez-le, même si l’opinion qu’il défend est à l’inverse de la votre.

    http://www.lemonde.fr/web/articl...

  1. lol ah oui effectivement excellent ça ! merci du lien Pistolero.
    Tout ce qui m’a charmée, ils ont détesté. Enfin j’ai l’habitude, j’ai souvent des goûts à l’opposé de l’opinion générale… 🙂

    • Rosae sur 16 janvier 2007 à 17 h 53 min
    • Répondre

    Les inrocks ont bien aimé, t’es pas toute seule alors !

    • übertextuel sur 17 janvier 2007 à 11 h 24 min
    • Répondre

    à l’opposé de l’opinion générale faut peut-être pas exagérer c’est quand même la filière du bon goût inrocks-france inter-telerama

  2. Merci de ce lien.
    Sinon je ne sais pas ce que c’est "le bon goût" ??
    Pour moi cet album est l’album idéal au cœur de l’hiver. Il vous enveloppe de douceur et d’une certaine féérie.
    C’est parfait pour débuter 2007 sous le signe du romanesque !
    Il fallait aussi beaucoup d’audace pour oser adapter ces textes.
    Elle le fait avec beaucoup de fraîcheur et de spontanéité : l’alchimie opère.
    Je vais même finir par connaître un poème de Yeats par cœur dis donc !

    PS : je précise qu’un livre sortira également en mars 2006.
    PS 2 : avis sur ce CD et sur l’adaptation poèmes/chansons bienvenus ! Suis-je la seule à avoir adoré ??

    • Formose sur 22 janvier 2007 à 18 h 03 min
    • Répondre

    Le marché américain, voilà la seule motivation de l’abandon de la langue française pour chanter. Ce qui est amusant, c’est d’habiller la cupidité la plus vaniteuse sous les dehors de la poésie ! Pauvre Carla ! Elle va se gauffrer, c’est la consolation de ceux qui reste fidèles à la langue de Barbara… ! 🙂 C’est tout de même pathétique.

  3. ( bis )

    Bonjour,

    Je viens de découvrir ce site – j’aime beaucoup la bannière – et sur quoi je tombe: le nouveau single de Carla Bruni…on ne peut pas le rater, c’est un fait.

    C’est assez drôle cette coïncidence parce qu’il y a quelques années j’ai enregistré ce même texte ( que vous pouvez télécharger librement ici –> barbershop-concret-projec… )et j’avoue que ça m’a fait un choc d’entendre la version de mlle Carla.

    Du coup je remet tout en question depuis quelques semaines: aurais-je loupé quelque chose, pourquoi je ne fais rien de ma " musique " ( les guillemets, signe de confiance totale… ).

    Je ne sais plus ce que je voulais dire en fait au départ, diantre. Ah si: il est très bien ce site et merci pour ce petit article.

    Dominique

    ps: n’hésitez pas à donner votre avis pour ce qui est de mon humble version, vieille de 6 ans ( j’étais jeune tout ça ).

  4. eratum:

    barbershop-concret-projec… ( le lien de téléchargement n’est pas passé )

    ps: assez d’accord avec Formose…

  5. Je suis aussi sensible aux textes en français pour la simple et bonne raison que je les comprends mieux (pas du tout pour des raisons patriotiques) toutefois ce qui prime avant tout, il me semble, c’est la qualité artistique. J’avais d’ailleurs été très étonnée de la levée de boucliers sur l’album de Marie Modiano.

    Dominique, c’est très amusant et surprenant cette coincidence !
    J’aimerais bp entendre ta version de those dancing days are gone, mais je ne peux pas télécharger ton morceau. N’est il pas possible de l’écouter en streaming ?
    Et sinon que penses tu de la version de Carla ?

  6. Bonjour Alexandra,

    Comment ça tu ne peux pas télécharger le morceau ? Le lien marche pourtant. As-tu lu les quelques lignes qui expliquent coment procéder ?
    Au "pire" envoie moi ton adresse mail ici –> dominique-maigne@hotmail.fr

    Je t’enverrai le titre.
    Essaie tout de même via mon site: en cliquant sur le titre tu vas débarquer sur une nouvelle page. Là tu vas avoir en haut à droite ( environ ) une case dans laquelle tu vas devoir, parfois à deux reprises, entrer les chiffres et les lettres juste à côté.

    Voilà voilà, à bientôt,

    Dominique

  7. Je m’excuse pour le petit retard de réponse. En effet le lien fonctionne mais je ne peux pas le télécharger sur mon PC (saturation du disque dur… en cours de transfert…).
    Sinon tu n’as pas répondu à ma question. Je serai très curieuse d’avoir ton avis sur l’interprétation de Carla Bruni sur ce poème de Yeats ??

  8. Ah ui pardon, mon avis sur sa version…pas évident, j’aurais tendance à vite tomber dans une critique facile. Pour être honnête j’avoue que ce texte n’est que " dit ". C’est tout de même Yeats…et en faire ça.

    Je ne prétend pas avoir fait mieux il y a 6 ans mais j’ai lu, j’ai essayé de comprendre, je me suis laissé porter. Ce texte est déjà une chanson à lui tout seul ( que de clichés ). En fait cette version me fait penser à Nina Simone qui chantait " ne me quitte pas ": on entend avec clareté qu’elle ne pige rien au texte et joue sur le simple fait qu’elle a une voix, elle ne s’investit pas.

    Voilà, pour résumer, la version de Carla Bruni me déplaît pour cela: elle ne s’est pas investit, elle a joué sur sa douce et jolie voix…point. C’est triste.

    à bientôt,

    Dominique

    ps: je t’ai ajouté dans mes liens

  9. oui *

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