A l’occasion de la Saint Valentin, fête des amoureux, commerciale certes mais à laquelle on aime se prendre au jeu, Buzz… littéraire s’intéresse plus particulièrement au (premier) baiser, version littéraire. Celui sur lequel une existence peut basculer. Un homme, une femme, un premier rendez-vous et l’espoir brûlant de lèvres qui se scellent et se goûtent enfin. Mais avant ce baiser décisif, le prélude délicat et sensuel, hésitant, timide, maladroit ou au contraire fougueux, brutal… Des préliminaires qui s’éternisent parfois avant « d’oser » : Les écrivains « nouvelle génération » et leurs prédecesseurs nous offrent quelques belles scènes « d’avant baiser » et ses conséquences… Lyrique, blasé, émouvant ou poétique. Florilège :
Deux extraits de « Courir à trente ans » par Nicolas Rey :
« Nous montons. Un canapé rapproche nos deux corps. Le gouffre à quelques centimètres. Un gouffre calme, apaisé. Elle boit beaucoup. Je pense à ma femme. C’est une pensée assez lointaine, un rendez-vous chez le dentiste. Si tu embrasses cette fille, tu ne pourras ni mentir ni cloisonner. Si tu approches encore un peu tes lèvres de cette fille, les années qui viennent vont être modifiées. Le goût de ses lèvres. Les vies sont ainsi faites, elles tiennent le coup des décennies entières, puis basculent sur un baiser. Embrasser quelqu’un qu’on aime et qu’on ne connaît pas est une drôle d’idée. En faisant cela, on suppose assez facilement les bonheurs et les emmerdements à venir. Une poignée de seconde en guise de départ inéluctable. Un départ étrange, confortable et doux. Ensuite, des nuits blanches, des ennuis par milliers, des lâchetés à résoudre. Ensuite, mais demain. Cette nuit d’abord, cette nuit, serveur, je voudrais la même chose. »
« Je m’enfonce dans un fauteuil avec en fond sonore la revue de presse de mon fils sur l’actualité du monde. Il se passionne pour l’actualité, les guerres civiles et la sauvegarde de la planète. À ma deuxième tisane de thym, il me reproche mon absence de position sur la MDLB, la Maladie Du Long Baiser, un fléau qui est apparu en janvier 2033 et qui empêche les gens de s’embrasser sur la bouche sous peine de mourir dans les mois qui suivent dans d’atroces souffrances. Cette nouvelle maladie touche essentiellement les jeunes personnes. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe que les adolescents pour s’aimer assez au point de s’embrasser plus d’une minute et trente secondes.Ensuite. Enfin, ensuite, tout le monde sait comment les choses se passent. »
« Que le ciel me tombe sur la bouche…« , Extrait de « Les vies de Luka » d’Arnaud Cathrine :
« Il faut que tu m’embrasse debout, je suis certaine d’admirer ta façon d’être plus grand que moi.
Il faut que le ciel me tombe sur la bouche. Que j’en aie le souffle court. Que je te dise des choses absurdes et précipitées. Que j’aie ton odeur partout sur moi. Que tu m’enlaces par derrière pendant que je suis en train de faire quelque chose de très important comme chercher dans on sac le paquet de cigarettes de mon frère parce que tu veux fumer. Que je te dise cette chose idiote et réelle : « Ca commence aujourd’hui. » C’est émouvant de t’embrasser, tu ne peux pas le savoir mais je te le dis. D’où viens-tu Jude ?
De quelle histoire ? Pas n’importe laquelle pour qu’il y ait ça sur ton visage, ce regard qui veut vivre à toute force parce qu’il vient de loin et regrette ce qu’il a vu là-bas. On va bientôt arriver à Londres, on va s’inventer une vie à deux qui nous enverra si bien en l’air.
Viens, que je te tienne par la taille dans la rue. Là, tout près.
Pourquoi je te regarde comme ça ? Parce que j’ai une foutue envie que tu m’étouffes dans le couloir du train. Et que je n’en réchappe pas.
Extrait de « Et je t’emmène » de Niccolo Ammaniti :
« Max avait du mal à tenter le coup avec les filles. Pour draguer, raconter des blagues, piquer des fous rires, aller au ciné, téléphoner et toutes ces autres conneries, il était super bon, mais dés qu’arrivait le terrible moment de tenter le coup, autrement dit l’épreuve du baiser, il perdait son aplomb, et l’angoisse d’essuyer un refus le bouleversait, le bloquant comme un bleu à ses premières armes. (Au tennis c’était à peu près la même chose. Il renvoyait des coups droits, des revers pendant des heures, mais quand il s’agissait de conclure et de remporter le point, la panique s’emparait de lui et il mettait la balle dans le filet ou dehors…).
Pour Max, tenter le coup c’était comme plonger du haut d’une falaise. On s’approche, on regarde en bas, on recule, on se dit pourquoi je ferais ça, on réessaye, on hésite, on hoche la tête, et quand tout le monde a sauté et en a marre d’attendre, on se signe et on s’élance en hurlant… »
Extrait de « Douze histoires d’amour à faire soi-même » de Lola Gruber :
« Je nous revois bien dans les épais fauteuils de peluche rougeâtre, par cercles s’approchant de la chose, par cercles concentriques, mais on ne la touche que pour s’en éloigner de nouveau. Au détour de la conversation, on en vient presque à parler de la Macérie – effrayés, on passe à la politique. Evidemment de la politique, on dérive sur les relations entre les hommes et les femmes.
Les relations entre hommes et femmes suivies de nouveau par la politique.
Candides mais pas dupes (…) Quand pointe l’aube, on en est toujours à se lancer des perches, qui peu à peu deviennent des poutres, étape qui connaît son point culminant lorsqu’il m’explique que le plaisir féminin est une chose infiniment plus complexe que son homologue le plaisir masculin, et qu’il me semble que cette docte opinion repose sur moins d’expérience que de spéculation. Après qu’il a dit ça, je garde un silence tellement engageant qu’il gigote dans le fauteuil en peluche, rougit, affiche un air un peu hostile avant d’embrayer (…) Au milieu d’une phrase, il s’arrête net, désemparé. Cinq heures du matin, dans ce salon poussiéreux, souvenir phosphorescent, le canapé au poisson clignote pendant qu’il se débat dans la fiscalité.
Dans le meublé macéri, dans ma planque opaque, la chambre est au bout d’un immense couloir, assez grande pour dix fois rebrousser chemin. Au bout du goulot, après la traversée du couloir, quand il est torse nu sur le lit, il devient un homme différent, son baiser a le goût de la peur, il n’est plus couvert de politique, de textile, de doctes opinions. Toutes ces mondanités retombent autour de nous avec les poussières. »
Extrait de « Virgin Suicides » de Jeffrey Eugenides
« Il se sentit attrapé par ses longs revers, tiré en avant et poussé en arrière, tandis qu’une créature pourvue d’une centaine de bouches se mettait à lui sucer la moelle des os. Elle ne dit rien tandis qu’elle s’abattait sur lui comme un animal affamé, et il n’aurait pas su qui c’était s’il n’y avait pas eu le goût de son chewing-gum à la pastèque qu’il se retrouva à mâcher après les premiers baisers torrides. Elle ne portait plus son pantalon mais une chemise de nuit en flanelle. Ses pieds, mouillés par la rosée, sentaient les près. Il glissa la main sur ses jambes froides, ses genoux chauds, ses cuisses duveteuses, puis, avec terreur, il mit un doigt dans la bouche vorace de l’animal qu’elle tenait en laisse sous sa taille. C’était comme il n’avait jamais touché une fille ; il sentit de la fourrure et une substance huileuse qui rappelait l’isolant qui recouvre le pelage des loutres. Deux bêtes vivaient dans la voiture, une au-dessus, soufflant par le nez et le mordant, et l’autre au-dessous, luttant pour sortir de sa cage humide. Avec vaillance, il fit ce qu’il put pour les nourrir, les apaiser mais à mesure que le temps passait il s’en sentait de plus en plus incapable, et après quelques minutes, avec les simples mots : « Faut que j’y retourne avant qu’ils viennent me dire bonne nuit », Lux le quitta plus mort que vif. »
Extrait de « Méfie toi des fruits » d’Anna Rozen :
« Il a pressé sa bouche fermée sur la mienne, un peu longuement peut-être avec des mots enfermés derrière, qui ne sortiraient pas mais battraient de tout leur coeur contre les parois. A peine un baiser. Pas le franc palot que leurs entrevues très sexuelles ne nécessitent pas. De même que les putes n’embrassent pas, les amants vraiment obsédés non plus, semble-t’-il. La longue pelle profonde étant comme la bande annonce d’un acte qui se réalisera plus tard – quand on sera seuls, en gros – elle n’est pas utile si on entre directement dans la chair vive. A moins que le « baiser français » ne soit un privilège du jeune âge.
(…) Tout le désir est dans le baiser, presque aussi fabuleux que le sexe (puisqu’il y a des chances qu’on y ait droit en plus, après)…
Mais entre elle et Tibor, le baiser minuscule est timide, pas nourrissant, plutôt comme un aveu sans voix, peut-être que la bouche pressée, collée, un rien fiévreuse, dit seulement qu’il est heureux de la retrouver. Heureux c’est beaucoup, content suffira. »
Extrait de « Gatsby le magnifique » de F.Scott Fitzgerald
« Une nuit d’automne, cinq ans plus tôt. Ils longeaient une rue, et les feuilles mortes tombaient autour d’eux, et ils sont arrivés à un endroit sans arbres, où le trottoir était blanc sous la lune. Ils se sont arrêtés. Ils se sont tournés l’un vers l’autre C’était une nuit silencieuse, traversée par ce mystérieux battement de fièvre, qui souligne deux fois par an les changements de saison. Les douces lumières des maisons ronronnaient dans l’obscurité, et l’on devinait dans le ciel un tournoiement d’étoiles. A la frange de son regard, Gatsby découvrait l’alignement des trottoirs, qui dessinait comme une échelle, et cette échelle conduisait vers un lieu secret au-dessus des arbres – il pouvait y monter, s’il y montait seul, et l’ayant atteint, boire la vie à sa source même, se gorger du lait transcendant des prodiges.
Le visage clair de Daisy se levait lentement vers lui, et il sentait son cœur battre de plus en plus vite. Il savait qu’au moment où il embrasserait cette jeune fille, au moment où ses rêves sublimes épouseraient ce souffle fragile, son esprit perdrait à jamais l’agilité miraculeuse de l’esprit de Dieu. Il avait alors attendu, écouté encore un moment la vibration du diapason qui venait de heurter une étoile, puis il l’avait embrassé, et à l’instant précis où ses lèvres touchaient les siennes, il avait senti qu’elle s’épanouissait comme une fleur à son contact, et l’incarnation s’était achevée. »
Extrait d' »Ivre du vin perdu » de Gabriel Matzneff :
– « Avec vos yeux magiques, vous voulez m’ensorceler. (…) soupire-t-elle. Ils sont assis sur le banc.
Nil enlace les épaules de l’écolière. Un bateau bourré de touristes passe.
Angiolina cache sa tête dans le cou de Nil. (…) Il tente de l’embrasser.
De ses mains – toutes petites mains d’infante-, elle le repousse, mais presque aussitôt, elle livre la tendre pulpe de ses lèvres aux lèvres de Nil, impétueusement. Dés lors sa bouche accolée à celle de Nil, comme si c’était de cette bouche qu’elle tenait le souffle et la vie, Angiolina se montrait insatiable, et Nil ne s’en lasse pas, lui non plus, de se désaltérer à la fraîcheur gourmande de cette langue balsamique.
Les bras autour du cou de Nil, pareils à une corolle enchantée, les yeux ouverts, Angiolina regarde le ciel. » (lire la suite)
Extrait de « Bleu comme l’enfer » de Philippe Djian :
« Il la prit dans ses bras et l’embrassa comme un con, le grand jeu, il était comme fou, il lui enfonçait sa langue dans la bouche, c’était comme un duel à l’épée, il la tenait de façon théâtrale, légèrement penchée en arrière, il l’écrasait contre lui sans la peloter, les yeux fermés, au bout d’un petit moment il essaya de se concentrer sur le baiser, c’était un drôle de truc, désagréable en lui-même, mais on pouvait s’y faire c’était marrant. »
Deux extraits de « Bonjour tristesse » de Françoise Sagan :
« La seule chose qui me tourmentât en ce moment, c’était son regard et les coups de boutoir dans mon cœur. Il se pencha vers moi. Je revis les derniers jours de cette semaine, ma confiance, ma tranquillité auprès de lui et je regrettai l’approche de cette bouche longue et un peu lourde. « Cyril, dis-je, nous étions si heureux… » Il m’embrassa doucement. Je regardai le ciel ; puis je ne vis plus que des lumières rouges éclatant sous mes paupières serrées. La chaleur, l’étourdissement, le goût des premiers baisers, les soupirs passaient en longues minutes. »
« Je regardais sa bouche, gonflée de sang, si proche… (…) Il avança un peu le visage de sorte que nos lèvres, en venant à se toucher, se reconnurent. Je restai assise, les yeux ouverts, sa bouche immobile contre la mienne, une bouche chaude et dure ; un léger frémissement la parcourait, il s’appuya un peu plus pour l’arr^peter, puis ses lèvres s’écartèrent, son baiser s’ébranla, devint vite impérieux, habile, trop habile… Je comprenais que j’étais plus douée pour embrasser un garçon au soleil que pour faire une licence. »
Extrait de « Women » de Charles Bukowski
« Une nouvelle liaison, c’est excitant, mais c’est aussi un rude boulot. Le premier baiser, la première baise, comportent un élément dramatique. Les gens sont intéressants, quand on les rencontre pour la première fois. Ensuite, lentement mais sûrement, tous leurs défauts et leur folie ressortent. Je leur importe de moins en moins , et ils comptent de moins en moins pour moi. »
Extrait de « La bâtarde » de Violette Leduc (scène de son premier baiser au pensionnat avec sa camarade et premier grand amour Isabelle, la nuit dans le dortoir) :
« (…) elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore; les lèvres entrouvrirent les miennes, mouillèrent mes dents. La langue trop charnue m’effraya : le sexe étrange n’entra pas. J’attendais absente et recueillie. Les lèvres se promenèrent sur mes lèvres. Mon coeur battait trop haut et je voulais retenir ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait 2 notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste. Isabelle continua : nous descendions nœud après nœud dans une nuit au-delà de la nuit du collège, au delà de la nuit de la ville, au delà de la nuit du dépôt des tramways. Elle avait fait son miel sur mes lèvres, les sphinx se rendormaient. »
A découvrir aussi l’anti-manuel de la Saint Valentin : « Comment lui dire adieu » de Cécile Slanka soit 1001 lettres de rupture (90 en réalité !) sous forme de textes incisifs, poétiques, drôles ou cruels. Un exercice de style à la Queneau ou à la Cyrano de Bergerac pour l’art des exergues, pour des variations littéraires sur le thème éternel de l’amour en fuite, pour reprendre l’expression de Nicolas Rey. Extraits : « Ma tendre Judith, tu es une femme merveilleuse, j’ai une famille formidable, deux adorables bambins, un métier passionnant, une jolie maison, plein d’amis à mettre dedans… mais voilà, j’aime Sonia. » ou encore « Sarah, je ne te quitte pas, je sauve ma peau, nuance. » ou encore « Lola, Puisque tu me demandes sans cesse de rompre avec le quotidien… »
A lire aussi :
« Contribution à la théorie du baiser » d’Alexandre Lacroix : « Le baiser est l’alpha et l’oméga de l’expérience amoureuse. »
les « perles de rupture » signées Louise de Vilmorin ou encore Louis Aragon…
4 Commentaires
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Très belle moisson !!!
Effectivement, bien sympa.
Merci mes chères. J’espère que cela aura occasionné quelques frissions saint-valentinesques… 🙂
Je voulais aussi ajouter l’extrait mythique de Belle du seigneur et son rituel très théâtral du baiser mais mon ouvrage s’est mystérieusement volatilisé…
Si vous repassez par là, quel est votre extrait préféré dans cette sélection ?
Merci beaucoup pour ce florilège d’extraits passionnants sur le "baiser" ! Les deux extraits que je préfère sont celui de Fitzgerald et celui de Violette Leduc, pourquoi ? Parce qu’ils décrivent de façon tendre et subtile l’approche vers le "baiser", les méandres y menant, avec beaucoup de sensibilité voire de romantisme, pudeur et sensualité mêlées…!