On pourrait dire qu’avec « Jubilations vers le ciel », paru en 1996 (et vendu depuis à plus de 15 000 exemplaires), Yann Moix, jeune auteur alors âgé de 29 ans fait ses premières gammes tel un cheval fou lancé dans la prairie des lettres et des métaphores grandiloquentes ! Il se prépare pour ce qui sera son grand livre (Anissa Corto, 1997) et qui clôturera sa triologie sur l’amour fou (et impossible) composé en outre de « Les cimetières sont des champs de fleur » (2000). Une trilogie dont la bande son pourrait être « Love me » de Michel Polnareff, un titre qu’il cite de roman en roman d’ailleurs. Bien que le roman ait obtenu le prix Goncourt du premier roman, ce n’est pas le plus réussi même s’il contient déjà en effet les grands thèmes que l’auteur développera et affinera par la suite : la cristallisation amoureuse, les sentiments extrêmes ou encore l’idéalisation de l’enfance. Son style émotif à la sensibilité fiévreuse et précieuse, où l’audace et les références littéraires abondent, attire les connaisseurs et s’impose. Il obtiendra également la bourse Lagardère (Fondation Hachette) qui lui permettra d’écrire son deuxième « Les cimetières sont des champs de fleurs » :
Son héros Nestor n’a que 12 ans lorsqu’il rencontre la femme de sa vie, la « belle Hélène », petite « muse en socquettes blanches », « ligotée au totem de sa beauté encombrante » et déjà il sait qu’il ne pourra jamais oublier « sa petite amoureuse ». « Jubilations vers le ciel » c’est l’histoire de cette passion obsessionnelle qui durera jusqu’à la mort et même par delà. A tous les âges de sa vie, on suit l’évolution des sentiments de ces protagonistes. Le premier poursuivant la seconde sans relâche, ne vivant que dans l’espoir de l’admirer et de la faire sienne. On trouve ici le thème de la filature amoureuse cher à l’auteur. Dans l’enfance, elle prend des visages parfois assez rocambolesques comme les déclarations d’amour dédicacées dans tous les exemplaires du Cid des librairies de leur petite ville alors que l’ouvrage doit être étudié en classe ou encore celles tagguées sur le chemin de l’école… Nestor dangereux chevalier romantique et névropathe, prêt à tout pour conquérir sa « promise ». Il s’imaginera même mariée à elle dans une scène à la fois drôle et émouvante, où les alliances sont dessinées à l’encre de leur pupitre et qui rappelle le mariage fictif d’Anissa Corto sur sa pierre tombale.
Amour rime souvent avec fascination dévorante et unilatérale, espionnage et harcèlement chez Yann Moix. Il relève davantage d’une projection narcissique que d’un échange où l’enjeu est de « posséder » l’Autre jusque dans les moindres recoins de sa conscience, de s’abîmer dans sa contemplation douloureuse jusqu’à son dernier souffle : « Nestor apprend Hélène comme une leçon dont il suscite les paragraphes. Il ânonne cette histoire d’Elle dont il tisse heure par heure la toile des épisodes. Il doit la connaître sous toutes les coutures de sa beauté, toutes les allures, la panoplie des réactions, la collection des émotions. Archives. Hélène, œuvres complètes. »
Il finira par la séduire à l’âge adulte alors qu’il sera « masqué », déguisé en un Casimir imposteur. On retrouve encore ici un clin d’œil à son futur « Anissa Corto » où le héros gagne sa vie déguisé en « Donald ». Une des scènes (cruelles) du livre se rapprochera d’ailleurs de cette situation (toucher enfin l’être aimée à visage masqué) même si le dénouement ne sera pas le même.
Dans ce roman on note aussi la présence de nombreuses scènes charnelles, des jubilations vers le 7e ciel, des « pirouettes cosmiques » pendant tout un chapitre intitulé « Kama Sutra ». Ce qui ne sera pas le cas des deux romans suivants où les amours restent la plupart du temps platoniques et uniquement fantasmés : les héros sont d’ailleurs assez souvent des loosers sexuels. Nestor s’avère au contraire ici un amant comblé (du moins temporairement) et très entreprenant. Ces passages qui occupent peut-être une longueur excessive inventent une langue poético- pornographique assez exceptionnelle qui partage le lecteur entre un sentiment d’admiration et d’incrédulité (lyrisme exagéré) : Hélène extirpant « le cône lumineux de la moite chaleur du slip et résiste rarement à la tentation d’en éplucher la corolle d’ivoire… Ma liane offre des rameaux rougeâtres, aux folioles vernissées… Soupirs, brûlante sous le sépale écarlate, uen sève floribonde, d’un miel cuivré clair, avivé par un écrin argenté de salive, se jette en cascade dans l’estuaire buccal… »
« Que la fiction est étrange. Elle n’existe jamais. C’est un peu de mémoire, rien d’autre, des souvenirs abîmés, des trous qu’on répare. Du mastic fanfaron. »
La vraisemblance ne devait pas être la préoccupation première de l’auteur qui s’est plutôt sans doute laissé porter par son imaginaire sensuel et prolixe. En effet la brûlante passion qui naît entre Nestor et Hélène arrive assez brusquement alors que la belle semblait jusqu’alors terrorisée par son prétendant qui la pourchassait sans relâche depuis sa jeunesse. Ce bonheur sera hélas éphémère et laissera place à la souffrance de la perte et l’impossibilité d’oublier celle qui l’a envoûté depuis l’enfance…
Il démontre dans ce roman sa maîtrise virtuose et inventive du verbe, entre Proust, Gide et Ronsard (ses maîtres littéraires), et des variations d’une grande richesse sur un même thème (en l’occurence la passion amoureuse). A la façon d’un peintre pointilleux, il livre un portrait féminin, celui d’Hélène, d’une grande précision, s’attardant sur de nombreuses pages à décrire la perfection de son corps et de son visage aux milles détails : « Je l’embrasse. Mon âme se délivre avec la cruauté d’un appétit de la fermeté minérale de cette bouche de femme, harmonie des mollesses et de clapotis, mûre, intacte, sonore. Poulpeuse plus que pulpeuse avec ses anémones qui frôlent, ses branchies qui palpitent, ses fruits qui respirent, les nuances humides de l’épiderme en lueurs roses et les tréfonds flous des larmes fouettées par les spasmes. Bouche de femme. Orifice moite et de miracles, l’eau des battements sourds, le vagin du visage. Bouche de femme. Le sang et le lait. Les flux qui colorent les joues, la honte et l’embarras, empruntant au sommeil un peu d’éternité : le baiser. L’échange continu, vivant, organique, la fleur simple du corps-à-corps. »
Une célébration où domine l’exaltation (voire extase) lyrique qui atteint parfois des cimes mystiques (« En Prométhée bien déchaînée, elle capture à pleines mains toutes les foudres du septième ciel. »), portée à son firmament, céleste pour reprendre son titre. Mais la femme est aimée exclusivement pour sa plastique (jeune et gracieuse) chez Yann Moix. C’est l’émoi physique qui prime. Un amour quasiment « moléculaire » de sa chair parfaite : « ses belles cuisses pleines de songes qui dessinaient des cordillères blanches sur la soie parfumée du lit… », « J’admire Hélène dans son sommeil. Son corps repose sur le lit comme une mélodie silencieuse : seins de sable nu, peau bleue où ricoche la lumière de la lune, cuisses étirées en asymptotes, odeurs de pin. » ou encore « Ondulés en volutes célestes, entre clair et obscure, les cheveux d’Hélène font sourire jusqu’à ses épaules qu’elle porte fines et fragiles. Des mèches ricochent en écume sur les vagues à l’âme que dessine son grand front blanc. Ses sourcils sont d’une symétrie de miroir. Sous eux palpitent deux diamants d’un bleu menthe à la moire mouchetée d’étincelles silencieuses. Chez les autres, on appelle ça des yeux. ». Une plastique dont il refuse la décrépitude : « La vérité n’a pas d’âge, seules les femmes en ont un.«
De roman en roman, on ne sait d’ailleurs souvent rien du caractère des femmes qu’il vénère même si parfois on retrouve des extraits de leur journal intime comme c’est le cas dans ce roman (et dans le suivant également). Ce n’est en aucun cas leur personnalité qui suscite l’amour fou que leur voue le narrateur. Comme s’il en était conscient, l’auteur fait d’ailleurs écrire à Hélène dans son journal intime : « Le scénario classique de la fille très belle qui cherche l’amour fou et qui ne récolte que des hommes qui l’aiment pour son corps. » La femme reste une nature morte. « Le visage de la femme est une figure« , écrit-il.
Un roman en forme de terrible déclaration d’amour, intense et incandescente, mais qui se laisse peut-être cannibaliser par son sujet d’adoration. Une critique que le romancier semble anticiper en écrivant d’ailleurs : « Sans doute on pensera bêtement qu’ici la plume du romancier et celle du paon ne font qu’une : brillante et gonflée, irisée de reflets menteurs. (…) On ne s’enfuit pas comme ça dans les romans, on prémédite, on gère, on sait pourquoi. »
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1 Commentaire
Oui donc jubilation vers le ciel a reçu un prix Goncourt, j’ ai donc voulu le lire, mais j’ ai été extrémement déçue du style, bâclé, il traine en longueur, cest monotone, c’ est vulgaire, c’ est du mauvais genre, c’ est du Moix.
il écrit pour combler des pages, et à la fin nous trouvons un style typiquement banal,l’ histoire laisse à désirer. Pour lui l’ Amour se résume à des scènes sexuelles, c’ est limite un roman pronographique et c’ est probablement comme cela qu’ il a réussit à avoir un prix.
Décevant, lamentable.