Monsieur Jean tome 1 « L’amour, la concierge » et tome 2 « Les nuits les plus blanches » de Dupuy-Berbérian

Premier album mythique, ce tome 1 des aventures urbaines de Monsieur Jean, signées Dupuy-Berbérian, consacre la naissance du personnage alors jeune pré-trentenaire (âgé de 28 ans), insouciant et hédoniste à souhait et se laissant porter par son quotidien tranquille émaillé d’anecdotes truculentes. Dans le deuxième tome, Monsieur Jean fête ses 30 ans et nous fait partager quelques dignes variations sur le thème du trentenaire célibataire qui a bien du mal à rompre avec son adolescence et à assumer ses responsabilités… en attendant de rencontrer l’amour.

Monsieur Jean tome 1 « L’amour, la concierge »
On fait ici connaissance avec l’univers de ce jeune homme parisien dit bobo, auteur d’un premier roman (La table d’ébène) et de sa vie de grand adolescent qui n’est pas obligé d’aller au bureau tous les jours, se ballade allègrement dans les rues de Paris, visite des expos, rencontre une ex, gamberge, part en voyage et goûte aux plaisirs de la vie sans autre souci que ce soit si ce n’est sa vie amoureuse ou savoir avec quels amis il pourra sortir le soir ou se réfugier chez « papa-maman » quand tout le monde se défile…

Une vie de « patachon » en somme pourrait dire les mauvaises langues. Et sa charmante concierge « bien aimée », ventrue et moustachue ne s’en prive pas d’ailleurs ! Particulièrement cocasses et ne manquant pas de nous rappeler les petits ragots de couloir, les commères, propres aux vieux immeubles des grandes villes, entrecoupent régulièrement les mésaventures de notre héros de leurs réflexions acides ou hypocrites. Hilarant et tellement vrai…!

Quelques scènes d’anthologie resteront en mémoire comme celle du supermarché où Mr Jean a le coup de foudre pour une jeune enquêtrice et se retrouve à échanger ses surgelés contre des légumes frais pour lui plaire avant d’enrager quand il découvre que… (ne dévoilons pas toute l’histoire !). Il y a aussi un gardiennage de chat qui finit en garde à vue ou un séjour chez un richissime producteur de la Riviera qui s’avère à haut risque… On fait également connaissance de l’entourage haut en couleur du jeune homme : Félix, gaffeur patenté et expert en plans foireux (la relation qu’il entretient avec Jean depuis leur adolescence est d’ailleurs assez émouvante), Clément l’ami sympa, toujours là quand il faut ou Armand le photographe… Un petit microcosme qui se croise au gré des soirées, des coups de foudre ou des coups de main à se rendre…

Les diverses petites tranches de vie (une dizaine) de cet album laissent déjà apparaître la tendance à la rêverie et à la nostalgie de Monsieur Jean qui quitte parfois la réalité pour replonger dans des souvenirs ou dans des situations fantasmées, fruit de son imagination. Des échappatoires que les auteurs affectionnent et qui seront encore plus développés dans le tome suivant (Les nuits les plus blanches). Avec un sens du comique pas si éloigné d’un Woody Allen ou d’un Klapish, Dupuy-Berbérian invente ici la comédie de mœurs appliquée au monde de la BD.

On se sent immédiatement bien dans l’univers de Monsieur Jean, ce héros qui se laisse flotter et vit au jour le jour en toute décontraction et dont on devient rapidement complice. Particulièrement attachant par ses petits défauts (crise de jalousie, égoïsme ou petite lâcheté ordinaire…) ou ses petites contrariétés, on s’identifie facilement à lui ou l’on reconnaît un proche à travers lui ou l’un de ses amis.

Le dessin du duo Dupuy Berbérian, inspiré de la ligne claire moderne, est ici plus net et académique que dans les albums suivants où ils évolueront vers plus de lyrisme et de « rondeur » dans leur trait. Les couleurs sont aussi plus vives voire clinquantes, traduisant aussi la jeunesse du personnage encore dans sa vingtaine et dans une certaine fougue, avant l’arrivée très prochaine des premières responsabilités.
L’élégance des silhouettes épurées ou des décors parisiens très stylisés (de l’appartement design et branché aux rues, salles d’expo,…) affirme déjà leur touche très personnelle. Incontestablement l’un des albums les plus réussis et les plus drôles de la série qui contient toute l’essence du personnage si représentatif d’une certaine génération et de son époque.

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Monsieur Jean tome 2 « Les nuits les plus blanches » de Dupuy-Berbérian
Dans ce deuxième tome, Monsieur Jean fête ses 30 ans et nous fait partager quelques dignes variations sur le thème du trentenaire célibataire qui a bien du mal à rompre avec son adolescence et à assumer ses responsabilités… en attendant de rencontrer l’amour.

L’angoisse du trentenaire tout frais commence par une pizza d’anniversaire qui a bien du mal à passer et lui donne des cauchemars hilarants (l’attaque des pizzas) quand ce ne sont pas des insomnies… Mais comme le dit son fidèle ami Clément ,le dandy à l’humour sarcastique qui va lui livrer ses conseils pour lutter contre les nuits blanches et « dormir comme un hippopotame » (ce qui ne manquera pas de susciter quelques associations d’idées cocasses chez le mauvais dormeur !) : C’est bien connu : « Le sommeil c’est comme l’amour, plus on le cherche moins on le trouve ! »

Un tome assez onirique finalement où les rêves alternent régulièrement à la réalité souvent dans des perspectives comiques mais qui révèlent habilement l’état d’incertitude et d’attente dans lequel se trouve notre héros à l’aube d’une nouvelle ère…

Difficile de se lancer dans l’inconnu et de devenir celui que l’on avait rêvé enfant, de rester fidèle à ses idéaux. Le passé reviendra le visiter à plusieurs reprises tout d’abord à travers la recherche d’une lettre écrite à 15 ans à l’homme qu’il serait à 30 ans, l’attachement à ses vinyles d’autrefois (mention à cette superbe scène avec Billie Hollyday en guest des rêveries de Monsieur Jean), puis dans les retrouvailles (manquées) avec une ex petite amie de sa jeunesse… Une douce nostalgie flotte sur cet album.

Difficile aussi d’assumer ses responsabilités professionnelles qu’il s’agisse de rendre dans les délais une traduction à son éditeur ou d’assumer un voyage de promo à Lisbonne pour son fameux roman « La table d’ébène » (dont on ne sait toujours pas plus !). Ce dernier est développé sous une forme plus longue et est l’occasion d’une plongée sympathique dans les petites rues ocres et escarpées de la capitale portugaise aux balcons en fer forgé, sur un air de Pessoa. En dépit de ses déboires, ce séjour permettra à notre héros de comprendre que s’accrocher à son passé, d’une façon presque fétichiste ne l’aidera pas à écrire les nouvelles pages de son avenir. Son guide lui récite notamment cette très belle phrase du poète : « Me voici aujourd’hui nostalgie impériale, celui que je fus au lointain de moi-même. Je suis mon propre trésor perdu. »

On retrouve également son entourage haut en couleur. A commencer par Félix, fidèle à lui-même, le sans gêne au grand cœur, gamin et facétieux auquel Monsieur Jean ne peut rien résister…et finit par toujours pardonner. La tyrannique concierge de son immeule, star du précédent opus, en revanche ne fait qu’une modeste apparition. Quelques jeunes femmes croiseront aussi la route de Monsieur Jean, dans une queue au cinéma, dans un bar sans réellement s’attarder…

Dupuy et Berbérian renouvellent ici avec talent la petite musique intimiste et quotidienne de leur trentenaire emblématique, tout en approfondissant sa personnalité. En s’attachant aux petits riens, à ces états d’âmes que nous avons tous connu des journées « sans » passées à broyer du noir aux bonnes surprises inopinées, ils atteignent une rare justesse dans l’expression des sentiments et en particulier des doutes. … Et ce faisant, livrent une géographique urbaine et amoureuse incroyablement vivante et nuancée : décors de la rue, réverbères, quartiers typiques, petits bistrot parisiens et leurs terrasses où l’on regarde s’éloigner les jolies filles, librairies, kiosques à journaux, le disquaire chez qui on débat interminablement sur les vertus de l’un ou l’autre arrangement…, bateaux mouche, embouteillages, jusqu’aux intérieurs bobo d’appartement, boîtes de conserve qu’on fait brûler, maison familiale, déménagement,ou chambre d’ado, qui nous sont familiers.

Le héros glandeur insouciant incorrigible, tout en nonchalance et drôlerie tendre, cultive avec toujours autant d’élégance et d’humour son immaturité pour notre plus grand plaisir !

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