Rendez-vous sur le stand des éditions de Denoël à la rencontre d’Ariel Kenig, un jeune auteur de 23 ans qui a déjà publié les très remarqués « Camping Atlantic » (2005, Denoël) et « La pause » (2006, Denoël). Avec « Quitter la France » (paru le 29 mars), il approfondit encore son travail littéraire sur le thème de l’imbrication du social et de l’intime. Dans ses deux premiers ouvrages, il était question de l’ennui des adolescents, des relations fraternelles, de la révolte de la jeunesse, contre le monde du travail (et notamment du travail en usine), contre un certain formatage de l’identité en raison de ses origines, de son lieu de vie, de son héritage familial. A travers cet essai pamphlétaire virulent, il tente d’analyser ce qu’il reste du sentiment d’être français, « sous le forme d’une lettre de rupture amoureuse à notre pays » et signe du même coup ce qu’il qualifie d’un « acte personnel de désobéissance civile ».
Buzz littéraire : Dans le contexte électoral actuel, votre titre intrigue. Traduit-il un engagement politique ?
Ariel Kenig : Non, il n’y a pas de volonté politique dans ce livre. Il est vrai que Quitter la France est sans doute le plus radical, tant sur le fond et la forme, de mes ouvrages. Mais il est aussi le plus ouvert sur la thématique du social et de l’intime. Mais le but de ce livre n’était pas à proprement dit un engagement politique.
B.L : Quel en est le sujet de fond ?
A. K. : Il s’agit de l’attachement. En fait, cet essai est construit d’une façon assez particulière, c’est un texte double. Dans un premier temps, un récit pamphlétaire sur l’attachement à un pays (et c’est là qu’une vague notion politique pourrait entrer en jeu). Et dans un second temps, une auto-fiction traitant de l’attachement à quelqu’un. Au final, les deux sont entremêlés. La partie polémiste évoque des faits simples, et davantage un engagement humain, sentimental que politique. Pour moi le rôle d’un écrivain est de sonder la politique, mais dans un sens social et d’en montrer ce que l’on n’en voit pas de prime à abord, pas habituellement. En cela, ma notion de politique dans mon livre n’est pas à prendre au sens strict du terme. Il n’est pas lié directement à la période électorale.
B.L : Peut-on considérer que « Quitter la France » est le troisième volet d’une trilogie sur le lien société/intimité ?
A. K. : Par la forces des choses, et entre autre, les thèmes communs, oui. Mais lors de l’écriture, et même avant, quand il n’était encore qu’un projet, je n’avais pas prévu d’écrire une trilogie.
B.L : Et les questions bonus… Que pensez-vous de l’exercice du salon du livre ?
A.K. : J’adore ! Rencontrer des gens, des auteurs, pouvoir découvrir des livres… Et ce qui est très bien c’est que les maisons d’éditions proposent énormément de titres. Plus que ce que l’on peut trouver en librairie habituellement. Elles représentent à la vente des éditions quasi introuvables. C’est d’une richesse incroyable.
B.L : Quels sont vos coups de cœur littéraire de l’année ?
A.K. : La disparition de Richard Taylor, d’Arnaud Cathrine. (Verticales) et La fabrication d’un mensonge d’Audrey Diwan (Flammarion)
L’actualité d’Ariel Kenig n’est pas en reste. En 2007, ami, lecture de l’Etranger de Camus au théâtre Mouffetard. En juin, au Ciné 13 Théâtre il monte Pompéi ou le suspens pornographique. A paraître en juillet 2007, « La littérature est un jeu » chez Librio. Et en octobre, son premier livre pour enfants, chez Thierry Magnier, collection photoroman.
Quelques extraits de « Quitter la France » d’Ariel Kenig / Denoël :
« Plus loin n’existe pas. La vie c’est le blockhaus : l’habitation à loyer modéré, le hameau de campagne, le quartier pavillonnaire, le gratte-ciel résidentiel, l’impasse à loft ou l’hôtel particulier. Les types de logis s’affrontent pendant que les petits ego concourent. »
« À qui revient la plus grande valeur démographique, la plus grande souffrance, le plus grand déni ? À qui échoit le plus indécent privilège, le plus vulgaire avantage ? Tous contre tous, nous avons amoindri nos forces, perdu notre lucidité, et cela m’est égal, au fond, de brûler mes liens. » (p. 27-28)
« Les gens ne se regardent pas assez. Ils s’effraient. Ongles rongés, peau trouée, doigts jaunis par le tabac, cheveux gras, il y a matière. Les gens sont trop malheureux. Ils réclament infiniment, sans complexe. Puisque tes normes et tes institutions les détruisent, ils demandent réparation. Ça ne les contentera pas plus, mais « c’est toujours ça de pris ». Ce serait de l’individualisme, du vrai, les demandeurs en tireraient un profit intime et transcendant. Du bonheur brut. Mais puisqu’ils se nient d’avance, les plaignants construisent leur identité dans le sauvetage de leur statut, du symbole qu’ils incarnent. C’est aride. » (p. 42)
« Plutôt que de regrouper tes forces afin de rayonner toujours, de pérenniser ton implantation culturelle dans le monde, crache ton vin d’abord et trouve un endroit où loger tes pauvres. Intrinsèquement, je n’ai pas spécialement honte de ta culture ; seulement de l’effroi quand elle voyage. En employant tes mots à l’autre bout du monde, je tremble de peur. Comment s’exprimer en ta langue officielle sans être suspecté de collaborer à tes actes dédaigneux ? » (p. 61-62) – A lire sur Lignes de fuite
Photos et propos recueillis par Anne-Laure Bovéron
A lire aussi : l’interview croisée d’Ariel Kenig et Max Monnehay dans la rubrique Buzz +
8 Commentaires
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En toute sincérité, je n’ai aucune envie de lire ce livre; mais j’aime bcp Ariel Kenig, parce que c’est quelqu’un de très sensible, et c’est une qualité qui me touche bcp (raté je ne suis pas blonde !).
Sur ces photos ce garçon a des faux airs de Jack, le héros de la série "Lost". Vous trouvez pas ?
Sinon, j’avais bien aimé son "Camping Atlantic".
J’ai lu "Quitter la France" et je suis très déçu. Le projet était ambitieux. Trop peut être. Je trouve que la sauce ne prend pas qu’on reste dans le terne, et on est content de finir ce livre qui n’apporte rien. Un coup d’épée dans l’eau… Dommage car ce livre aurait pu être un bijou !
Léo, je serai curieuse de savoir ce que tu entends par "reste terne" et qu’attendais tu de ce livre pour avoir été si déçu… ?
Pour ma part j’ai déjà exprimé mon opinion par ici
buzz.litteraire.free.fr/d…
sur les liens entre politique et littérature même si l’auteur assure qu’il n’a pas de "volonté politique dans ce livre".
A noter également une initiative dans la même veine par le collectif François Begaudeau, Oliver Rohé et Arno Bertina (dont on reparlera bientôt) : Une année en France entre l’essai, le roman et le pamphlet
Voir cet entretien de Zone littéraire sur la question : http://www.zone-litteraire.com/e...
Tu me devances, Alexandra : les extraits ici présentés sentent trop un peu trop l’ego pour moi (mais c’est une affaire de goût personnel, bien sûr). D’autant que je sors de la lecture de "Une année en France", inclassable mais très belle (et enthousiasmante) surprise, où les auteurs ont su habilement s’effacer derrière leur sujet.
Je serai curieux de lire ce que tu en as pensé!
Je n’ai pas lu pour ma part "Une année en France".
Comme je le disais lier politique et roman ne m’intéressent guère. Je préfère lire un essai politique franc du collier plutôt que cette forme hybride qui ne me tente pas et qui hélas souvent émet des idées un peu simplistes voire raccourcies sur le sujet.
De plus lire partout les positions politiques de F.Bégaudeau devient un peu lassant, mais bon je crois que ça intéresse les gens.
En ce qui concerne l’ouvrage d’A.Kenig, j’ai l’impression que son titre est peut être trompeur pour ceux qui s’attendent à une vraie analyse politique alors qu’il s’agit plus en effet d’exprimer son ressenti sur un mode intimiste face au contexte actuel et d’en faire la métaphore (habile pour certains, maladroite pour d’autres ?) d’une relation amoureuse…
Ce matin. Sur Evene. http://www.evene.fr/livres/actua...
Une interview d’Ariel Kenig où il se livre plus en profondeur.
Et oui, lors de notre rencontre, Ariel Kenig avait bien insisté sur le fait que le titre, et même le livre, n’était pas à proprement parlé politique, ou en tout cas dans le sens où nous l’entendons en ces temps électoraux. Mais comment ne pas penser à un discours de Sarkozy "la France on l’aime ou on la quitte" avec un tel titre… Cela induit en erreur…
D’autre part, dans cette interview, Ariel Kenig emploie un terme qui m’interpelle : "la littérature dépressive" … Une nouvelle catégorie littéraire ? Contemporaine ? Qu’englobe-t-elle ? Quelles en sont les caractéristiques ? N’est-ce pas seulement dans l’air du temps ?! …. A suivre ?!
Concernant Kenig, je ne comprends pas pk il affirme que son bouquin n’a rien de politique, si c’est pour "casser" Sarko en interview après (voir le lien d’Anlor). Ou on assume ou on arrête d’écrire.
A moins que dénier l’aspect politique du livre soit son seul recours pour se défendre d’avoir écrit un livre sans AUCUN intérêt ?