La trentaine marque certainement un cap, la fin d’une ère, l’adieu à sa jeunesse et une certaine angoisse pour les plus nostalgiques qui refusent de grandir : les fameux « adulescents ». La littérature dite « trentenaire » incarne ces paradoxes d’une génération plus « flottante » et indécise que jamais. Dans son troisième sublime roman, Anissa Corto, le portrait terrifiant et fascinant d’un trentenaire prisonnier de son enfance et de ses obsessions d’amour idéal, Yann Moix écrit de très belles lignes sur ce passage à la trentaine qui incarne une nouvelle vision de la vie, du présent, de l’avenir et surtout du passé. Un âge de prise de conscience où les priorités peuvent aussi changer à l’aune d’une jeune expérience et des premières désillusions déjà déterminantes…
« C’est à trente ans que nous comprenons que, pour la première fois de notre vie, l’espoir n’est plus exclusivement situé dans l’avenir mais aussi dans le passé. C’est à trente ans que nous apprenons à espérer à l’envers, à attendre autant d’hier que de demain, aussi heureux d’avoir encore à vivre longtemps que d’avoir un peu vécu déjà. Il existe, à cet âge, une sorte de futur à rebours qui, loin de se confondre avec le chagrin, contient non seulement ce que nous sommes, mais ce que nous n’avons pas achevé d’être.
Il est trop tard pour le rêve, mais trop tôt pour le remords, et c’est cet espace intermédiaire, cette interface entre le monde des morts et celui des mortels qu’explore l’âge des trente ans. Nous visitons plus souvent les jours enfuis, nous partons en voyage dans les années abolies. Nous n’avons plus pour seule obsession celle du temps à remplir, et nous nous tournons volontiers vers le temps rempli. Il m’avait fallu atteindre l’âge de trente ans, aussi distant du début de la vie que du début de la mort, pour admettre, dans ce monde sans cesse parcouru par les mouvements compulsifs des êtres qui se cherchent l’un l’autre, que l’amour est la seule réalité possible. Toujours précaire, puisque tel est le destin d’une flamme, il était plus simple qu’à vingt ans parce que j’avais la force, enfin, de le préférer au reste. Ce « reste » était la somme de toutes les activités professionnelles, politiques, sportives, sociales et culturelles que les hommes ont inventés pour les hommes, dans leur souci de faire patienter la mort en se cultivant un peu, en mangeant beaucoup.
Je n’avais plus à trente ans, à ce moment de l’existence où les certitudes deviennent des hypothèses, le souci de la fonction ni le goût de la carrière. La réussite est la forme la plus subtile de l’échec. L’amour nous protège des tentations de l’ascension sociale, mais il est la seule issue possible face au monde de l’entreprise. Lui seul me permettait de vivre une vraie vie faite de vie ou de mort. »
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