La tumultueuse auteur espagnole, du poignant Amour, prozac et autres curiosités », best-seller international et roman devenu culte, Lucia Etxebarria, est de retour dans les librairies en ce printemps avec un nouvel opus « Cosmofobia », qui vient nous donner des nouvelles du ventre bouillonnant de Madrid, celui des prostituées, serveuses de bars branchés, petites vendeuses de fringues, téléopératrices ou encore de la faune dorée des actrices et journalistes… Si vous ne connaissez pas encore cette auteur, on pourrait la comparer à une sorte de Virginie Despentes madrilène. Et c’est la France qu’elle a choisie pour lancer son 7ème roman en exclusivité mondiale, aux éditions Héloïse d’Ormesson. Cosmofobia est un roman polyphonique, une comédie humaine labyrinthique, bouillonnante et assez engagée, qui nous entraîne dans le Madrid moderne, gangrené par la peur, la phobie de l’Autre et de la différence, où chacun se débat et tente de s’en sortir, entre petits jobs précaires et relation amoureuse incertaine. Des thèmes qui ne manqueront pas de rappeler l’actualité de ce côté-ci de la frontière pyrénéenne… L’auteur était présente, avec son éditrice Héloïse d’Ormession lors d’une rencontre à la librairie Violette and co (photo ci-contre). L’occasion de recueillir quelques mots au sujet de leur collaboration (vidéo à voir dans Buzz + )…
« Ainsi la vie dépendant toujours du prisme à travers lequel nous la regardons, nous ne saurons jamais si une occasion perdue n’a pas été au fond une occasion saisie. D’où l’inutilité de nous lamenter sur ce qui aurait pu être et n’a pas été. Ceci est un livre sur les occasions perdues ou saisies. »
Dans la veine de son « Aime-moi por favor« , des nouvelles qui mettaient en scène une myriade de personnages représentatifs de la condition féminine du XXIe siècle, Cosmofobia nous fait entrer dans l’univers et la tête du microcosme du quartier de Lavapiés, qui « se contracte et se dilate comme un muscle cardiaque, où la vie suit son cours rapide et inexorable, en un combat acharné ».
Il pourrait aussi être une sorte de Belleville ou de Barbès parisien…, ou tout autre quartier populaire et bigarré d’une grande ville. En un mot : cosmopolite. La romancière a volontairement choisi de ne pas trop « typer » espagnol ce quartier qui lui sert de décor (et où elle vit réellement) ainsi que les personnages (jusqu’aux noms qui sont très internationaux) afin de donner une portée plus universelle à leurs voix respectives.
Autour de son foyer culturel, où se pressent enfants et parents, on croise des hommes et des femmes de tous les horizons : riches et pauvres, jeunes et vieux, immigrés (Chinois, Pakistanais, Marocains, Bangladais, Sénégalais, Nigérians…) et Espagnols de souche, gays et hétéros… Mais comme le rappelle Claudia, la responsable de la ludothèque du quartier : « le quartier est multiculturel mais non interculturel. Les communautés se tolèrent mais ne se mélangent pas, chacun chez soi et tout ira pour le mieux. »
Sous la plume de la romancière qui joue elle-même son propre rôle dans le roman, ils vont se confier, se dévoiler et ce faisant nous raconter comment ils sont tombés amoureux, élèvent leurs enfants, rompent leurs fiançailles, leurs espoirs et leurs angoisses… De la téléopératrice fauchée au dealer en passant par l’éducatrice végétarienne, le clandestin, le patron d’un salon de thé ou le gamin survolté… A chaque chapitre, ils prennent la parole et leurs destins se croisent parfois parce que l’un est le frère du meilleur ami de l’autre, la mère, la voisine ou l’ex-amant… La très graphique couverture du livre fait d’ailleurs référence à cette idée « d’histoires entrecroisées », comme les appelle Lucia Etxebarria, en reprenant le principe de la cartographie des histoires de cœur imaginée dans la série L World.
« On dit que la plume est la langue de l’âme, mais l’âme, quelquefois, personne ne la comprend. »
Comme toujours dans les romans de la célèbre Espagnole, qui n’a jamais caché son engagement féministe, les hommes sont assez lâches, paresseux, infidèles, « entre gueule de bois, effarement et sentiment de culpabilité » et les femmes triment, complexent sur leurs kilos en trop (une des personnages est même anorexique dans « Les moulins à vent »), dépriment, se brouillent avec leur fille, leur mère, se dépêtrent dans leurs mensonges, sont parfois victimes de violences conjugales, de chantage affectif, de père absent ou d’insomnie… A chaque fois dominent l’incompréhension et l’incommunicabilité qui empêchent de réellement partager avec l’Autre.
La romancière met aussi en scène le chômage et la précarité qui touchent les jeunes obligés de rester chez leurs parents faute d’argent pour acquérir un logement indépendant. C’est le cas de « La teigneuse », un des caractères les plus truculents du livre : une téléopératrice qui rêve de s’échapper de sa vie morne… « J’aurais préférer mille fois passer ma vie à me faire courser par les flics de Franco qu’à bosser comme téléopératrice. » Et d’ajouter plus loin : « L’idée me traverse parfois la tête de faire la pute, mais une pute de luxe… de celles qui mettent des annonces dans les journaux, qui gagnent de la thune pour de vrai, pas celles qui font le trottoir, parce que je suis jeune et que j’ai de belles jambes, et au bout d’un an, j’aurais de quoi me payer des cours, de décoration par exemple. Je suis d’accord, c’est dégoûtant de baiser avec des types qu’on ne connaît pas, mais s’ils sont pleins aux as, on peut au moins espérer qu’ils sont propres et qu’ils sentent l’eau de Cologne chère. Quelquefois j’ai l’idée de foutre le camp n’importe où, à Ibiza et de travailler comme serveuse. Mais une serveuse, c’est payé comme une téléopératrice, moins même. En plus à Ibiza, tout le monde veut être serveur, alors je finirais sûrement pute aussi. » Et puis il y a aussi toutes ces addictions aux substances illicites, qui font partie du « folklore Etxebarrien » et que la romancière explique par le fait que l’Espagne est la porte d’entrée en Europe des drogues et plus particulièrement de l’héroïne.
Certains chapitres/personnages de ce roman ont fait l’objet d’une enquête assez approfondie de la part de l’auteur (également journaliste), allant jusqu’à mener des entretiens et faire relire ses textes par les interviewé(e)s pour s’assurer de leur vraisemblance en particulier sur les personnages d’origine arabe (respect de leur mentalité culturelle…). Son adaptation romanesque nous en apprend souvent bien plus sur la société que n’importe quel rapport sociologique ou article de presse !
Petite déception néanmoins sur le style de la romancière qui use ici d’un mode de narration proche du témoignage parlé (avec des interjections du type « vous voyez ? » ou « vous comprenez ? » par exemple) qui peut parfois être assez monotone et « plat »… Même s’il recèle de façon inattendue une ironie et un certain cynisme désabusé qui ne manquent pas de faire sourire.
On sent aussi une certaine tendance à vouloir transformer toutes ces histoires en fables où affleure, en filigrane une pseudo morale qui pourrait être « Chaque fois qu’une porte se ferme, il y en a une autre qui s’ouvre. » Le roman amorce ainsi le suivant (« Ya no sufro por amor ») qui ne devrait pas tarder à être publié en France et qui a été qualifié en Espagne de « manuel de développement personnel », même si la romancière s’en défend (elle confie avec humour qu’elle n’a jamais lu de tel livre si ce n’est « Arrêter de fumer sans souffrir » non pour elle mais pour aider ses amis !). Il s’agirait d’un roman qui reviendrait sur son expérience de la gestalt thérapie et comment elle a pu envisager sa vie sentimentale plus sereinement grâce à cette approche…
Rubrique Buzz+ : Découvrez les vidéos de la rencontre avec Lucia Etxebarria plus chaleureuse et enjouée que jamais !
A noter également la sortie en poche de son précédent roman : « Un miracle en équilibre » pour lequel l’auteur a reçu le prestigieux prix Planeta 2004 en Espagne. Elle y décape sans tabou le miracle de l’enfantement, la fatigue infinie ou les joies de l’allaitement « certes, donner le sein est tout ce qu’il y a de plus naturel, mais aller vêtu d’un pagne et forniquer en plein air aussi », avec son humour toujours aussi relevé. Sous la forme d’une lettre ouverte destinée à la petite fille qui vient de naître, baptisée Amanda, en latin, « celle qui doit être aimée », elle explique son « choix inconscient et sincère » de devenir mère ( « J’ai désiré ta conception parce que j’avais besoin de quelqu’un pour combler ma solitude. », écrit-elle) et les difficultés à assumer des désirs multiples parfois antagonistes (être indépendante, séduisante, active, présente, sérieuse…). Mais aussi les incertitudes du métier d’écrivain : les pannes d’inspiration ou au contraire l’avalanche d’idées désordonnées… De New York à Madrid en passant par Alicante, elle livre ici un portrait touchant de la maternité moderne.
9 Commentaires
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Elle est bizarre cette photo, on dirait José Garcia et François Weyergans en train de faire une bonne blague, mais ça doit être l’écran d’ici qui déconne.
Belle chronique Alexandra
mais Etxebarria, honnetement, c’est vraiment pas mal ou bien…?
Ah enfin qqn qui s’intéresse aux livres…
Pour te répondre, son lectorat est essentiellement féminin mais je pense qu’un homme peut aussi être touché par son univers et sa plume un peu déjantés à la Almodovar.
« Amour, prozac et autres curiosités » fait partie de mes livres culte. Son énergie et son émotion m’ont vraiment beaucoup touchée (il faut dire qu’il m’a renvoyée à ma relation avec ma propre sœur…).
Ce dernier opus est plus engagé politiquement. D’ailleurs Lucia a émis à plusieurs reprises des critiques virulentes à l’égard des discours anti-immigration et xénophobique du Le Pen espagnol et a évoqué le climat politique crispé de l’Espagne bipartiste (parti socialiste versus parti populaire).
A signaler aussi ce roman, « L’homme qui inventa Manhattan » de Ray Loriga, qui semble être dans le même esprit :
Pitch : Comme Extebarria, Ray Loriga, romancier et scénariste espagnol (il travaille notamment avec Pedro Almodovar) a écrit un roman-cathédrale où les personnages se croisent d’un chapitre à l’autre. Il fait preuve dans ce livre d’une maîtrise de l’écriture digne du Raymond Carver de Short Cuts. Loriga a longtemps vécu à New York, une ville qu’il aime et qui l’a marqué profondément. D’autant, rappelle-t-il, qui y était un certain 11 septembre, ce 11 septembre qui imprègne tellement la littérature d’Amérique et d’ailleurs. Ce roman gris et drôle à la fois est aussi une ode d’amour à une ville, qu’on découvrira ici sous un nouvel angle, à travers le regard décalé et affectueux de Loriga.
Bonjour Alexandra,
je me permets d’énoncer un avis différent du tien. Je n’ai pas réussi à plonger dans cet univers trop touffu, épars… Je ne suis pas parvenue à aller au-delà des 100ères pages.
Elle a son univers, particulier, c’est vrai. Mais je trouve que le style est négligé. Le fond l’emporte largement sur la forme et c’est dommage…
Il faut en effet aimer les romans du type "chorale"…
Par ailleurs voici ce qui a été écrit (pas forcément contradictoire avec ton ressenti) :
"Petite déception néanmoins sur le style de la romancière qui use ici d’un mode de narration proche du témoignage parlé (avec des interjections du type « vous voyez ? » ou « vous comprenez ? » par exemple) qui peut parfois être assez monotone et « plat »…
(…) On sent aussi une certaine tendance à vouloir transformer toutes ces histoires en fables où affleure, en filigrane une pseudo morale qui pourrait être « Chaque fois qu’une porte se ferme, il y en a une autre qui s’ouvre. »
Je conseille plutôt à tous ceux qui voudraient découvrir cette romancière de débuter par "Amour prozac et autres curiosités".
Un chef d’oeuvre (du genre) !
Ils vaut mieux la lire que la regarder en tout cas… cruelle nature.
je suis dessus. et pour l’instant, faut avouer que c’est pas si pire…
Je suis un homme, un vrai et j’adore. Je ne vois pas en quoi Lucia serait un auteur pour femmes comme Barbara Cartland. Tous ses livres m’ont procuré des heures de plaisir et de réflexion sur le genre humain. Je regrette seulement la traduction française de son recueil de nouvelles, absolument ridicule. Je dois aussi dire que j’aurais préféré ne pas voir sa photo. Un fantasme perdu….