« Le grenier » de Claire Castillon, c’est avec ce premier roman que l’auteur parisienne, alors âgée de 24 ans, titulaire d’un DEUG de lettres, est officiellement entrée en littérature. Officiellement car jusqu’ici elle écrivait déjà, mais à visage masqué, les romans des autres. Un travail alimentaire frustrant pour l’impétueuse romancière à la plume fébrile. Un premier roman en forme d’autofiction même si le terme ne veut pas dire grand-chose, presque de confession aux accents freudiens. Un « livre sur rien » comme certains qualifient les romans intimistes, et comme elle l’écrit ironiquement, dans l’une de ses pages comme si elle anticipait déjà le verdict des bien-pensants: « Des livres qui ne racontent pas d’histoire, qui divulguent deux trois états d’âme. » Sauf que « Le grenier » est tout sauf un livre sur « rien ». Il est au contraire « plein » ce grenier, empli de (douloureux) souvenirs d’enfance, de monstres, de colère, de violence, de jalousies, d’un besoin désespéré d’amour, de désir, de paillettes et de dégueulis… A travers ce roman allégorique la jeune romancière revisite, pour son premier coup d’éclat, le thème classique de l’adultère vu du côté de la maîtresse, de la « seconde femme ». D’emblée, elle délimite son territoire, noir et sans pitié, et impose sa voix, cynique et émouvante à la fois. « Dérangeante », « fascinante », « hypnotisante », « ténébreuse », « étrange », « étonnante » et surtout « insaisissable » : autant de qualificatifs employés pour décrire la jeune femme qui n’en fait mentir aucun dans ce premier opus…
« Mon grenier est une panse ouverte dans laquelle macèrent les choses mortes, vivantes, douces amères, chatoyantes, invisibles, qui poiçonnent ma vie. Mes fruits rongés par les vers pondent des larves. »
Axé sur le corps comme d’autres romancières l’ont expérimenté (« Truismes » de Marie Darrieussecq, « Viande » de Claire Legendre ou « Démangaison » de Lorette Nobécourt qu’elle cite d’ailleurs en référence) , « Le Grenier » symbolise le ventre de la narratrice, le QG de ses émotions, démangeaisons, inflammations mais aussi un refuge peuplé de parents d’adoption aimants (Papa Whisky et Maman perle) : « Non Maman, chez moi, ça entre, mais rien ne ressort, je suis constipée de la mémoire et aucune de tes attentions laxatives n’effacera de mon crâne ta tête ingrate du jour de plus où tu ne m’as pas comprise. » En matérialisant dans son corps, un lieu secret et réconfortant, elle tente de lutter contre son angoisse du vide et de la solitude créée par son amant « à mi-temps ». D’organiser, de calmer son chaos intérieur.
Un chaos dont le principal responsable est cet homme marié lâche et fuyant, Simon, qu’elle aime pourtant à mourir, mais qui n’est pas capable de lui donner tout l’amour et l’attention qu’elle réclame à ventre et à cris : « Ca me fait tellement plaisir quand tu te fous de sa gueule, et ça me fait tellement de mal de savoir que tu me traites comme elle. » fait-elle dire à son héroïne folle de jalousie de son épouse. Alors elle tente de combler son absence. Elle avale pour se remplir, pour remplit son grenier intérieur : la photo de sa carte de donneur de sang « avec l’agrafe », ses lettres d’amour mais aussi un calot (« Je ne voulais pas avoir une boule invisible dans la gorge. J’en voulais une bien concrète, quitte à souffrir. ») ou même de la peinture pour avoir « un bébé rose »… Et puis aussi parfois les sexes d’autres hommes : un peintre, un SDF ou le gentil Théo… C’est bien sûr assez tragique et en même temps, c’est tout l’art de l’auteur, comique. Un comique grinçant, inquiétant, cynique d’une femme-enfant « pas très équilibrée » comme elle le note dans ses pages, avec des accents de petite mégère qui rappelle le ton des premiers romans de Chloé Delaume.
On y découvre aussi un art des dialogues vifs et percutants où elle joue avec talent de l’humour par l’absurde :
– « Le sucre passe par le nez aussi. Est-ce que tu as déjà sniffé du sucre ? ai-je demandé à Simon.
– Jamais non. Tu as envie d’essayer, je suppose ?
– Oui énormément. You suppose well.
– Et tu ne te dis pas que c’est une voie anormale pour avaler du sucre ? a demandé Simon à tout hasard.
– Et toi Simon, tu ne te dis pas que ta femme, ce n’est pas la voie normale pour arriver à moi ? »
La violence qui gronde en elle s’exprime par un langage scato-trash à base de « foutre », de « merde » ou encore de « cul »… « Quand tu t’en vas, tu me dis que je sens le cul, que je sens bon. Notre odeur de cul, c’est ma baby-sitter quand tu pars. » Sans que cela ne soit jamais gratuit ou scabreux. A la violence des mots s’ajoute celle des actes réels ou fantasmés comme ces viols qu’elle souhaite perpétrer contre la famille de son amant. A noter que la romancière a elle-même orchestré une vengeance particulièrement hard : l’envoi des testicules d’un animal à un journaliste de Libération, auteur d’une critique acerbe sur son roman « La Reine Claude ». Je me suis dis: « Oh mon Dieu, on attaque l’homme que j’aime! » expliquait-elle au magazine Technikart.
« Je veux t’aimer jusqu’au fond, la surface je la connais, je sais comment elle est moche, l’intérieur, il est pire, mais il est palpitant. Tu vois, mon intérieur, c’est un bien si précieux que je ne l’ouvre à personne. Je me le garde et je le travaille, et tant pis si je m’écoeure, et tant pis si je me noie. L’important, c’est que j’arrive à ce qu’il ne soit rien qu’à moi. »«
Et puis soudain sa façade s’écroule et c’est un appel au secours qui surgit révélant sa peur panique de l’abandon et son besoin de romance : « Moi je suis malheureuse, je voudrais aller au cinéma, et puis marcher au bord des rues, l’embrasser sous un pont, qu’il dorme avec moi, prépare mon café, que je l’accompagne à la porte, qu’il me promette de venir dîner et qu’il m’appelle dans la journée. » ou encore « Ton amour a créé le monde, il m’a donné la vie. » Une psychologie excessive, jusque-boutiste, provocante et fragile. On pense à la Mathilde de Noces Blanches ou encore à Eliane dans l’Eté meurtrier
Dans une interview donnée à Zone littéraire, elle explique : « Le Grenier c’est l’histoire d’une jeune fille qui n’a pas de paroi intérieure et qui essaye de s’en faire une et de devenir solide. Ses parois mouvantes l’encombrent. Elle essaye de se cimenter pour parvenir à tenir debout. C’est pourquoi elle se met à ingurgiter des objets qui représentent telle ou telle personne, tel ou tel mal, tel ou tel plaisir. »
Sous une forme originale et inventive, Castillon livre ici un portrait féminin poignant porté par son écriture à la fois sèche et organique, une écriture de l’urgence, un cri qui saisit le lecteur à la gorge et au ventre, sans s’essouffler, en évitant les poncifs du genre.
Paroles de l’auteur au sujet de son roman « Le Grenier » :
«Le grenier: C’est la bulle que l’on place n’importe où, au fond des poches, au creux d’un arbre, dans une maison. C’est une boîte noire qui dit quand on l’écoute tout ce qu’on aimerait savoir, transformant les petits riens qu’on a vaguement cachés sans se demander pourquoi en trésors.»
« Le titre est venu au début après la rencontre d’une femme qui m’a raconté une anecdote : elle se rappelait que son institutrice lui avait demandé de raconter « un jour dans son grenier ». Elle n’avait pas de grenier, elle avait dû chercher. C’est une douleur que j’aurais pu éprouver. J’ai du reste repris cette histoire dans mon livre. À l’image d’un grenier, un ventre peut receler toutes ces choses. On peut donc avoir une lecture psychanalytique du livre. Et c’est peut-être la plus importante, qui permet de comprendre d’où vient le roman. Parce que dans Le Grenier, la grossesse remplit cet endroit creux que la narratrice ne savait pas comment combler. C’est le moyen de quitter l’angoisse, de remplir la caverne d’un être vivant, donc de chasser un peu l’amant. Même si c’est un fantasme chez la narratrice, parce que je ne crois pas qu’elle accouche réellement d’un petit être, cela la sauve de cette espèce de guerre, intime, personnelle, qu’il y avait à l’intérieur d’elle-même. Elle sort ainsi d’une certaine violence, avec la capacité d’ingurgiter. »
Auteurs ayant influencé son écriture : « La Démangaison » de Lorette Nobécourt mais aussi Paul Morrand pour le style et la délicatesse, Romain Garry ou des livres comme Belle de jour… « J’avais envie de poignarder le lecteur et de pas le lâcher jusqu’au bout comme dans les champs de fleurs de Yann Moix. Je suis pas arrivé à son niveau. Mais je crois être sur la voie. »
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