Le 1er août 2007 sortira sur grand écran l’adaptation ciné (intitulée un peu plus platement « Tel père, telle fille ») du roman nirvanesque, « Teen Spirit », de Virginie Despentes publié en 2002 chez Grasset. Ce roman, victime de nombreuses critiques négatives -plutôt sévères- lors de sa parution (jugé « vulgaire », « simpliste », « démago », « caricatural » ou encore de « vague clownerie »…) relate l’histoire de Bruno – interprété par Vincent Elbaz -, rockeur et écrivain ratés, la trentaine, glandeur irresponsable et squatteur (chez sa copine Elodie Bouchez), apprenant brutalement qu’il est le père d’une fille de 14 ans au caractère bien trempé (à la mère aussi bourgeoise et overbookée qu’il est oisif et fauché) ! D’abord sous le choc et inapte à gérer une adolescente (incarnée par la toute jeune inconnue Daisy Broom), Bruno fera progressivement son apprentissage de la maturité et de son rôle paternel. Les « blondes » Frédérique Bel et Léa Drucker complètent le casting, tandis que le critique rock et écrivain Patrick Eudeline a joué les consultants artistiques sur le film et servi d’inspiration au personnage principal. Il campe également une sorte de manager défoncé, réduit à vendre des fringues aux puces pour vivre, et incarnant un père d’adoption d’Elbaz.
« Je ne veux pas entendre parler de responsabilités. J’ai trente balais, je me connais, j’ai passé l’âge de me raconter des salades : je ne suis pas capable de vivre normalement. C ’est trop pour ma tête. Un loyer, un boulot, un patron, des impôts, prendre le métro, retrouver une copine, payer des factures, supporter des caves à longueur de journée pour gagner de quoi croûter… Je pourrais pas. Je m ’en fous. Je ferai clochard juste en bas de chez elle, cette connasse. Qu’elle reste bien au courant du grand bien qu’elle me fait.«
Si la romancière a été accusée de verser ici dans les « bons sentiments » et le manichéisme (où les flingues cèdent la place aux gaufrettes à la fraise et où abondent les déclarations dignes d’une réunion de parents d’élève : défense de l’innocence enfantine contre la télévision abrutissante- qui « déverse ferme de la daube dans les chirauds de nos petits enfants« – (« Jamais propagande n’avait été mieux dispensée, et jamais propagande n’avait connu un tel cynisme. Même dans les pires bourrages de crâne, staliniens, hitlériens, sionistes ou palestiniens, catholiques et scientifiques, les professeurs avaient eux-même été fomatés, et croyaient ce qu’ils dispensaient.« ), éloge du civisme et de la galanterie, argot de banlieue décrié comme « effet pervers des quotas de chansons françaises à la radio » ou encore indignation sur le piercing et les tatouages…), rompant ainsi avec l’image « destroy » de ses précédents romans (dont Baise-moi en tête), elle est aussi parvenue à se glisser pour la première fois, et avec une certaine justesse, dans la peau d’une voix masculine (le roman est raconté du point de vue du héros).
Elle dresse ainsi le portrait émouvant de cette génération de « nouveaux pères » trentenaires. Au sujet de ce roman elle déclarait même : « Si je faisais une analyse, je dirais qu’à travers ce livre, je me redonne un père. J’aurais aimé un père comme Bruno, un peu crétin, immature, mais affectueux et sécurisant. Cet âge qu’on croit tendre a d’abord besoin d’écoute, de règles, pour que la vie ne devienne pas un jeu tragique. » Ainsi, en dépit de sa rustrerie et de sa mauvaise foi, Bruno le narrateur (un homme qui a « au moins une chose que la vie lui a appris à réussir : serrer les gens contre lui en plein désastre, faire semblant de ne pas avoir peur… ») reste sympathique aux yeux de son auteur : « Il se raconte des salades, c’est sûr. Mais j’ai l’impression de voir beaucoup de mecs dans la trentaine qui ont du mal à passer plusieurs caps, qui ne sont pas dans la vie active ni dans une vie affective. Ils ne s’engagent dans rien. Ce sont des gens que j’aime bien. Mais pas comme petits amis, parce que c’est une maman qu’il leur faut.», analyse-t-elle.
Outre le rapport père-fille, Teen spirit est également un roman sur le rock, les compromis, la réussite sociale, l’aggravation de nos conditions de vie dans une société en forme de rouleau compresseur pour sa jeunesse.
Avec cet opus, l’écrivain entame un cycle de romans (poursuivi avec « Bye, bye Blondie ») axés sur cette période trouble et charnière de l’adolescence. Elle évoquait d’ailleurs cette orientation dans une interview du Buzz littéraire suite aux réactions reçues sur son blog à la sortie en poche de Teen spirit : « Ce qui m’a le plus surprise, c’est le nombre de mineurs qui m’ont écrit, j’imagine que les gosses sont plus sur Internet, qu’ils écrivent plus facilement, mais quand même je n’avais pas encore réalisé à quel point les ados lisent mes livres et y pensent ensuite. Je me suis promise, dans mon prochain roman, de leur en donner le plus que je peux. »
Qui dit ado, dit aussi « langage djeuns » : un franc-parler qu’elle restitue avec réalisme dans son roman et qui a pu choquer certains lecteurs. Fusent ainsi au fil des pages les « surkiffer sa race », « sale putain de ta race de connasse de merde »», « foutre son wild », ou encore « taxer des thunes (afin de) filer un rush de reconnaissance » qui se mêlent à quelques métaphores originales allant de « la virilité japonaise » à « la finesse viking » !
Le réalisateur Olivier de Plas, dont c’est le premier long-métrage, déclare au sujet de cette oeuvre : « C’est un roman à part, moins violent, on y trouve une note d’espoir qu’il n’y a pas dans les autres. « Baise-moi », par exemple, est beaucoup plus radical. C’est un livre que j’adore, qui m’a profondément marqué, mais, en découvrant « Teen Spirit », j’ai été surpris, enthousiasmé par cette tonalité plus joyeuse, plus légère. Virginie Despentes donne l’impression d’être plus sereine et, du coup, nous avons pu en tirer une comédie, ce que l’on imagine difficilement en se référant à son style. »
Plus que la dimension « rock » du roman, il s’est avant tout intéressé à l’évolution de ce personnage d’ado attardé face à une véritable ado (sa fille) en pleine crise. Il quittera progressivement son irréalisme puéril, son jemenfoutisme et son égoïsme pour réellement s’investir. Il tente ainsi de donner une dimension touchante à cette histoire en évitant le côté mièvre.
À la fin de Teen Spirit, Nancy annonce à ses parents qu’il lui est impossible de grandir entre deux ratés : « J’ai une mère merdique et paumée, ça serait drôle que dans une sitcom. Et toi, je te trouve vraiment gentil, tu sais, mais t’as même pas de maison, et t ’as même pas de travail, ni de copine… Ton livre, tu l’écriras jamais, parce que t’es qu’un foutu raté et faut vraiment avoir dix ans pour te trouver drôle et classieux. Qu’est-ce que je peux devenir entre vous ? Hein ? Une putain de ratée, moi, aussi. C’est pas juste. » tandis que son père Bruno s’inquiète : « J’ai regardé Nancy et j’étais désolé pour elle. Un monde défiguré à nos enfants… Gosses de riches se bagarrant entre eux, écrasant tout sous leur fureur. Comment s’en sortir dans un monde pourri de « décombres et de fumées, d’embuscades, de répression sanglante et de bordel en crescendo » ?
Nancy alias Daisy Broom, la lolita -à tendance trash- en crise, sera-t-elle la nouvelle « Vic » de Claude Pinoteau, version 2007, à laquelle s’identifiera toute une « génération perdue »… ?
10 Commentaires
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Oui… pas lu le livre, mais j’irai voir le film pour me faire une idée…
La chose intéressante, c’est qu’il y a trois personnages (la mère paumée, le trentenaire, l’ado) qui peuvent toucher et concerner des publics différents.
En revanche, une sortie le 1er Août, pour une comédie française, c’est risqué, non ?
Cordialement!
J’ai participé au tournage et au vu du bordel et du manque d’organisation de l’équipe je pensais vraiment que ce film ne sortirais jamais…
J’ai mis du temps à lire "Teen spirit", il était tellement convenu de dire que c’était un Despentes "mou", que la rage de "Baise-moi" s’émoussait… J’ai trouvé au contraire qu’elle était étonamment intacte, cette énergie, simplement mise au service d’autres histoires.
A voir si un film peut capter ça… Casse-gueule !
Je suis juste extrêmement choquée qu’un livre aussi fort et puissant ET PUNK puisse devenir une sous-merde pour dimanche soir sur TF1 avec en BO "i love rock’n roll" qui ressemble à tout sauf à un hymne PUNK et avec en super héros du film un merdeux bobo au lieu du héros punk du livre !!!! M6 présente le film comme "la comédie de votre été", V.Despentes doit être trop vener’ de se voir récupérer comme ça !!! c’est une honte, un scandale, qu’il retourne faire des films pour TF1 cet abruti de réal’ !!!!!!
y se serait pas un peu empâté le vincent elbaz ?
Oui je pense que ce film réunit en effet tous les ingrédients d’une comédie grand public et surfe sur l’air du temps. Bon, comme le dit Etoile, c’est plus du rebelle version TF1 que Requiem for a dream…
Mais c’est voulu a priori.
ça y est, j’ai vu le film.
C’est certainement pas le film de l’année mais c’est pas la cata non plus.
La première partie est pas mal (avec un ton désabusé et un bon rythme) et la deuxième qui se recentre sur le comportement de l’ado m’a un peu gonflé.
Vincent Elbaz est très bon. L’Ado et sa maman sont bien interprétées. Par contre Elodie Bouchez, bof, on y croit pas.
Dans l’ensemble, c’est pas génial mais ça passe le temps, disons…
😉
Certains dialogues sont sympas, le caractère du loser bien rendu… Et les apparitions d’Eudeline assez touchantes.
Bref, effectivement, ça sent le prime-time TF1 avec une pincée de rebellion rock dedans.
Cordialement!
merci mon cher Hoplite.
Témérité ou grand désoeuvrement estival ? en tout cas merci de cet avis éclairé sur ce film que je louerai peut être en DVD histoire de…
bon, moi j’ai raté la sortie mais apparement c’est pas grave. pi de toute facon c’est pas dans un vidéo club de mon bled que je trouverai le film.
Encore une fois c’est pas plus mal. Le despentes y’a pas mieux qu’en noir sur blanc
t’es macquée maintenant? j’écoutais genesis p-orridge me montrer, tout à l’heure… ma mère m’a offert ton dernier book, king kong, sur l’avis d’un docteur… 36 ans. serait tant que je m’y mette, non ? profond, héhé…
j’aimerais bien avoir une maman comme toi, et un papa comme hank, qui gueule, mais ils m’aimeraient, au moins, me dis; ptdr
te respecte pas en tant qu’écrivain e, mais j’aime bien ce que tu dis, et surtout, "comment" me sens proche, même si c que de la glaire, héhé (m’écoute les psyclones en ce moment, 83 ou 84, on a envie de finir au four avec eux )