Quelques citations et extraits autour du thème des vacances estivales, de la plage et de ses corps « empilés », blafards ou bronzés, aux jambes fraîchement épilées, entre odeurs de monoï et d’esquimeau à la fraise… Tour à tour cruel, cynique, frustré, tendre, pathétique ou nostalgique… Très belles vacances à toutes et à tous !
Extrait de « Nouvelles sous ecstasy » : « L’homme qui regardait les femmes » par Frédéric Beigbeder :
« L’hymne des plages, selon moi, n’est pas Sea, Sex and Sun de Serge Gainsbourg mais plutôt J’aime regarder les filles de Patrick Coutin. C’est une chanson magnifique : « J’aime regarder les filles qui marchent sur la plage / Quand elles se déshabillent et font semblant d’être sages. » Chaque fois que je m’allonge sur du sable, j’entends cette ode à la frustration sexuelle, cette apologie du voyeurisme balnéaire. Je pense à ces milliers d’après-midi écrasants, passés à observer les demoiselles dorées, en monokini, à Bidart, Biarritz ou St Tropez, sans jamais oser les aborder. Je suis convaincu que ces inombrables heures de contemplation timide ont fait de moi l’ignoble obsédé sexuel que je suis devenu.
Leur poitrine gonflée par le désir de vivre / Leurs yeux qui se demandent : mais quel est ce garçon ? Il y a un crescendo violent dans la chanson de Coutin qui traduit bien l’impuissance exaspérée du vacancier hétérosexuel, anéanti par la chaleur, cerné par une atroce beauté incontrôlée. Les filles gambadent, soulèvent le sable brûlant, crient des prénoms de garçons plus bronzés que lui. Elles sortent de l’eau les tétons mauves ; les poils taillés de leur sexe se collent contre le slip de bain. Elles embrassent des surfeurs australiens, ou des disc-jokeys camarguais.
Elles ignorent les garçons malingres et verdâtres qui lisent des livres, la bite enfoncée dans leur serviette éponge. (…) Pourquoi laisse-t-on les filles de seize ans se balader en liberté sur les bords de mer ? »
Extrait du recueil « Rester vivant » de Michel Houellebecq :
Vacances
« Un temps mort. Un trou blanc dans la vie qui s’installe
Des rayons de soleil pivotent sur les dalles
Le soleil dort; l’après-midi est invariable
Des reflets métalliques se croisent sur le sable
Dans un bouillonnement d’air moite et peu mobile
On entend se croiser les femelles d’insectes
J’ai envie de me tuer, de rentrer dans une secte ;
J’ai envie de bouger, mais ce serait inutile.
(…) Je survis de plus en plus mal
au milieu de ces organismes
Qui rient et portent des sandales,
Ce sont de petits mécanismes. »
Extrait du recueil « Le sens du combat«
« Une âme exposée au Soleil
Tout près de la mer menaçante ;
Les vagues s’écrasent et réveillent
Une douleur sombre et latente.
Que serions-nous sans le soleil ?
Ecoeurement, dégoût, souffrance,
Stupidité de l’existence,
Tout disparaît sous le Soleil
(…) Sans pitié la mer se déploie
Comme un animal qui s’éveille ;
Cet univers n’a pas de loi.
Que serions-nous sans le soleil ? »
Autre extrait :
« Les corps empilés dans le sable,
Sous la lumière inexorable,
Peu à peu se changent en matière ;
Le soleil fissure les pierres. »
Extrait de « Jubilations vers le ciel » de Yann Moix
« L’été arrive. Ca pue du slip sous les tilleuls. On regarde les cerfs-volants plonger dans les décolletés. Ca jouit sur les toits. Des bouches aspirent dans des pailles et la menthe s’en va. Des gros seins dodelinent dans l’espace. C’est l’autoroute du Sud : cigales et corps d’enfants carbonisés sous le soleil qui bande. Ils sont rouges, ils sont laids, ils sont gens : empiètent et enjambent, escaladent et bousculent. Ils posent leurs poils sur la vague. Ils essayent la canicule en lisant des viols. La plage est le crématoire de leur horreur scandaleuse. Ils se déportent eux-mêmes. »
Extrait de « Le potentiel érotique de ma femme » de David Foenkinos où les deux protagonistes décident d’ouvrir une hilarante « Agence de Voyage pour Mythomanes » (AVM). Petite explication :
« Seules quelques semaines avaient suffi pour remplir à ras bord les classes. Si, au départ AVM proposait surtout les Etats-Unis et l’Amérique du Sud, il n’existait pratiquement plus un coin du globe qui ne possédât son cours. On pouvait seulement en six heures de cours faire croire au premier venu qu’on avait passé six mois au Tadjikistan, en Irak, ou, pour les plus téméraires, à Toulon. Les professeurs de l’AVM enseignaient, selon leur propre expression, les anecdotes qui tuent toute opposition verbale, qui prouvent sans le moindre doute votre voyage. Et il y avait même des arguments passe-partout : pour parler d’un pays, dites que rien n’est plus comme avant, les gens seront toujours d’accord sans trop savoir de quoi vous parlez. Enfin, pour les plus riches, la société pouvait fournir des preuves, des souvenirs personnalisés qui pouvaient carrément franchir la barre peu respectable du photomontage. Ou pour certaines région réputées dangereuses, on pouvait blesser un peu. Il y avait par exemple une section : « Vietnam 1969, avec option blessure de guerre. »
Extrait de « Vallauris plage » de Nicolas Rey :
« A l’entrée de Vallauris Plage, un panneau affiche complet sans trop que l’on sache pourquoi. Le corps d’Arianne Backer repose sur le sable. Un corps bien vivant, huilé, un corps que Paul m’a raconté le soir même, au bord de la piscine de la villa. Je lui ai demandé de me dire son nombril gracieux et ses genoux foncés. Son ventre, ses jambes et ses seins qui reposent aussi sur le sable. Arianne a dégainé le matelas et la serviette de bain qu’on lui proposait. c’est une fille douée pour prendre le soleil. Cela doit sans doute s’accorder à sa structure moléculaire. »
(…) « Arianne portait de grandes lunettes de soleil roses. Elle m’a embrassé en souriant (…) « Allez Franck, venez vous baigner, votre lecture peut bien attendre un peu. » J’avais peur de l’eau. Je tenais mon « Que sais-je ? » comme une protection. Je n’aimais pas cette foule à perte de vue. Je redoutais son jugement sur ma peau blanche et mon absence de muscles.
(…) Elle a glissé sa robe en lin. Elle s’est retrouvée en string rose framboise. Je voyais ses seins pour la première fois. Elle a ri. Je n’ai pas bougé. Je redoutais l’eau salée et certainement trop froide. J’étais devenu maladorit dans mon vieux corps inerte. (…) Me planquer pour fuir l’humanité, je savais. Ne pas me rendre à un rendez-vous, j’étais devenu un maître. J’avais été imbattable pour détruire chimiquement mon passé. Je trouvais cela aussi facile que de respirer. Je le faisais même sans m’en apercevoir. Mais me lever pour aller me baigner, je ne pouvais pas.
(…) En même temps je trouvais formidable qu’elle me propose quelque chose. (…) Comment refuser à une fille d’aller se baigner ?
(…) J’ai fait quelques pas sur le sable. Je tenais encore debout. J’ai retiré mes chaussures. J’ai regardé le buste d’Arianne dans les vagues. J’ai ôté ma chemise. Le soleil m’a brûlé le dos, c’était une douleur agréable, une sorte de main immense qui me donnait envie de continuer. »
La comédie des vacances (extrait du Journal de Jérôme Attal)
« Pendant les vacances le fait de ne pas être joignable est vécu chez certaines personnes sur un mode euphorique. Chez certains spécimen on en arrive à une hystérie de l’indisponibilité qui culmine par la création d’un message spécial sur les répondeurs ou en retours de mail précisant que, de la période du tant au tant, il est inutile de chercher à les joindre – glissant pour les plus enragés le lieu d’une destination exotique ou reculée censée décourager toutes les tentatives – bien que le réseau se soit largement amélioré depuis l’apparition des cellulaires. Mais la vraie question est la suivante : Est-ce que vraiment les gens sont davantage joignables le reste de l’année ? Est-ce que cette vacance euphorique de trois semaines n’est pas une bonne parade, une triste comédie pour s’excuser de ne pas être en fin de compte plus ou moins joignable de septembre à juillet ?
Je veux dire, le reste du temps, est-ce qu’il y a vraiment quelqu’un à joindre ?
Du moins quelqu’un dont on ait le numéro de téléphone…
Ce n’est pas si sûr. Souvent j’ai l’intention d’appeler quelqu’un de précis pour lui dire quelque chose de précieux, et je m’arrête en chemin. Souvent encore les premiers mots que le destinataire prononce corrodent mon message ; le premier signe d’indigénat, de badinerie ou d’incompréhension, le découragent ; abîment sa vocation et son assurance, sa qualité de secret. Quand la parole perd soudainement les terribles raisons qui l’ont provoquée. C’est droit dans le mur et la vie comme elle vient.
Je sens alors que ma voix s’amoindrit. Déjà la voix abandonne. Et la plaisanterie qui est souvent la cavalerie de l’incapacité des choses à se dire, arrive à la rescousse.
On devrait donner l’immortalité aux personnes dignes de recevoir un secret, de l’écouter et de l’entendre, et de renvoyer le langage d’une compréhension parfaite. Rien de moins que l’immortalité – immédiate – pour ces personnes, quand le secret survit au chemin parcouru ; que ce chemin mette plusieurs années, dure des semaines, ou qu’il s’agisse des quelques secondes d’un trajet téléphonique.
Mais alors, à bien y réfléchir, nous arrivons à ce constat que si la vie est brève et la plupart du temps injuste, l’immortalité quant à elle est assez bien distribuée. »
« – Je ne pars pas en vacances parce que j’ai une oeuvre à faire mon petit. Et puis aussi parce que je n’ai ni femme ni enfants. C’est simple. Qui peut s’intéresser à partir en vacances en dehors des femmes et des enfants ? Alors voilà, tant qu’on en a pas, on part pas ! »
Extrait de « Tendre est la nuit » de FS Fitzgerald :
Luxe, high society et Riviera…
« C’est à mi-chemin de Marseille et de la frontière italienne, un grand hôtel au crépi rose, qui se dresse orgueilleusement sur les bords charmants de la Riviera. Une rangée de palmiers éventent avec déférence sa façade congestionnée, tandis qu’une plage aveuglante s’étend à ses pieds. Un petit clan de gens élégants et célèbres l’ont choisi pour y passer l’été (…)
Au petit jour l’image de Cannes à l’horizon, l’ocre rose de ses vieux emparts, la dent mauve des Alpes qui ferme l’Italie se réfléchissent dans la Mer, et le clapotis insensible des algues, qui tapissent les fonds, agite ces reflets de petits cercles paresseux.
(…) Rosemary enfonça le visage dans l’eau et, d’un crawl assez peu orthodoxe, se dirigea vers le plongeoir. La fraîcheur de l’eau montait vers elle peu à peu, dissipait la trop grande chaleur, lui caressait tendrement les cheveux, s’insinuait jusqu’au plus secret de son corps. Elle s’y tournait, s’y retournait, l’étreignait, s’y abandonnait. Elle atteignit le plongeoir hors d’haleine, mais, comme une femme très bronzée et aux dents très blanches la regardait venir, elle prit soudain conscience de l’agressive blancheur de son propre corps, se tourna sur le dos et revint vers la plage.
(…) Rosemary chercha un endroit où s’asseoir. Chaque famille considérait visiblement comme sa propriété personnelle la langue de sable qui prolongeait son parasol. Mais on se parlait d’un territoire à l’autre, on se rendait visite. C’était une vraie communauté organisée, cohérente, à laquelle il paraissait outrecuidant de vouloir s’intégrer.
Un peu plus haut, là où la plage était couverte d’algues sèches et de galets, elle aperçut quelques personnes, dont la peau était aussi blafarde que la sienne. Ils n’avaient pas de parasols, s’abritaient sous de simples ombrelles, et ne faisaient manifestement pas partie des indigènes de l’endroit. Rosemary décida d’élire domicile à mi-chemin de ces blafards et des bronzés, et posa son peignoir sur le sable. »
3 Commentaires
Ils sont beaux tous ces mots, je suis nostalgique en les (re)lisant.
Un grand plaisir à lire tous ces extraits. Merci.
Merci à vous, j’espère que vos vacances ont été bonnes.
Je vais bientôt ajouter un autre extrait que l’on m’a fait suivre et qui est assez sympa même si l’auteur n’est pas tout à fait "nouvelle génération"…