Le Japon et plus particulièrement Tokyo fascinent les écrivains. En cette rentrée, le nom d’Amélie Nothomb a bien sûr été incontournable : la suite de ses (excellentes) tragico-burlesques mésaventures dans les bureaux tokyoites (« Stupeur et tremblements« ) a créé, une fois de plus l’évènement d’autant plus que ce tome 2 intitulé « Ni d’Eve, ni d’Adam » (voir extraits ci-dessous) a bénéficié d’un excellent accueil critique et s’est même « qualifié » sur les premières listes des prix Renaudot et du Goncourt 2007 avant d’obtenir à la grande surprise le prix de Flore 2007. A signaler également un autre roman qui peut vous intéresser : « Journal d’un étudiant japonais à Paris » de Christophe Léon. Enfin c’est l’occasion de vous recommander chaudement le très sympathique carnet de voyage de Frédéric Boilet, L’apprenti-japonais, à Tokyo qui fait écho aux remarques de la romancière belge et de (re)lire « Stupeur et tremblements » (voir ci-dessous). Même si nous sommes ici loin du Tokyo d’un Haruki Murukami ou de son confrère Ryu Murakami… Bonne lecture !
Signalons en préambule ce roman « Journal d’un étudiant japonais à Paris » de Christophe Léon paru aux éditions « Le Serpent à plumes » et qualifié de « fascinant puzzle littéraire » par le journal « Le Monde » que vous aurez peut-être envie de découvrir ?
Pitch de l’éditeur : Tarô, jeune étudiant en langue française, vient à Paris pour suivre une année de cours à la faculté. Il loue un appartement dans le centre de la capitale. Au fil des jours, il tient son journal qui oscille entre le mode véridique et hallucinatoire. Tarô est-il ce Japonais anthropophage que la police arrête à Paris ? Est-il cet individu qui met ses victimes au frigo ? Est-il ce jeune homme qui a tenté de se suicider au Japon avec sa fiancée et que sa famille a exilé en France ? Tarô est-il un auteur raté qui ne parvient pas à écrire son roman ? Un soldat de l’armée nippones incestueux ? Un rescapé d’Hiroshima ? Un admirateur du célèbre écrivain Osamu Dazaï ?
Quelques extraits de « Ni d’Eve, ni d’Adam » :
A la faveur de cours de français donnés à un jeune japonais de bonne famille, qui deviendra son fiancé, Amélie San découvre, entre promenade sur le lac d’Hakone, voyage culinaire à Hiroshima ou encore randonnée sur le mont Fuji (où elle se perdra !), les us et coutume des habitants, pour le moins déstabilisants pour la jeune occidentale ! Au programme : éducation sentimentale, choc des cultures et goût de l’Autre dans toutes ses différences, le tout servi par l’art des anecdotes truculentes et l’autodérision de l’écrivain… « Il n’est pas banal que j’écrive une histoire où personne n’a envie de massacrer personne. », a commenté à son sujet Amélie Nothomb.
De l’hygiène nipppone :
Rinri, respectueux de la tradition, se récurait entièrement dans le lavabo avant d’entrer dans le bain : on ne souille pas l’eau de l’honorable baignoire. Je ne pouvais pas me plier à un usage que je trouvais si absurde. Autant mettre des assiettes propres dans un lave-vaisselle. »
Au pays de la criminalité zéro :
« Aller au cinéma à Tokyo déconcertait. Les gens s’installaient dans de vastes salles confortables, d’aucuns se rendaient aux toilettes mais pour garder leur place laissaient ostensiblement leur portefeuille sur leur siège. Je suppose qu’à leur retour il ne manquait pas un yen. »
Vous reprendrez bien un peu de « poulpe vivant » ?
« Je l’enfonçai dans ma bouche et essayai d’y planter les dents. Il se passa alors une chose atroce : les nerfs encore à vifs du poulpe lui intimèrent de résister et le cadavre vengeur attrapa ma langue de tous ses tentacules. Il n’en démordit plus. Je hurlai autant que l’on peut hurler quand on a la langue gobée par un poulpe. J’essayai de détacher l’animal avec mes mains : impossible, les ventouses collaient formidablement. Je voyais le moment où j’allais m’arracher la langue. »
Lectures d’un jeune japonais :
« Je regardai les titres : les oeuvres complètes de Kaiko Takeshi, son écrivain préféré, et aussi Stendhal et Sartre. Je savais que ce dernier était adoré des Japonais qui le trouvaient follement exotique : avoir la nausée face à un galet poli par la mer constituait à ce point le contraire d’une attitude nippone que cet auteur provoquait la fascination que suscite l’étrange. La présence de Stendhal me ravit et m’étonna davantage. Je lui dis que c’était l’un de mes dieux. Il fondit. Je le vis sourire comme jamais. »
Petit dialogue amoureux nothombien :
« J’eus droit à des mots d’amour hauts comme l’immeuble :
– Tes mains ont la perfection de la feuille d’érable
– En quelle saison ? »
Mise à jour 16/10/07 : Voir dans les commentaires ci-dessous le message reçu de Didier Da Silva, auteur d’un premier roman ayant également pour cadre Tokyo : « Hoffmann à Tôkyô »
Photo illustration : Patrick Swirc
15 Commentaires
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Apparemment Amélie Nothomb n’intéresse plus grand monde sur le Buzz littéraire.
Commencerait-t-elle par lasser son lectorat ?
Peut-on toujours la considérer comme faisant partie de la nouvelle génération ? Et jusqu’à quand peut-on se considérer en être ?
Le rythme d’un roman publié par an (en fait, le choix entre 3 romans écrits) ne l’a-t-il pas vieillie prématurément ?
Le débat est ouvert, à défaut de convictions littéraires…
Cher Monster Jack, je serais curieuse de savoir sur quels critères tu te bases pour déclarer qu’ « Amélie Nothomb n’intéresse plus grand monde » ? 😉
Je crains de devoir te détromper lourdement…
Sinon, Amélie Nothomb est-elle dans l’esprit « Nouvelle génération » du Buzz littéraire ?
A priori oui puisque on en parle… mais uniquement sur certains romans. Fait-elle partie du bouche à oreille des lecteurs ? La réponse paraît évidente.
A mes yeux, c’est une des rares écrivains qui allie une vraie exigence littéraire et un grand succès commercial (eh oui les deux ne sont pas incompatibles !). Elle a son propre univers assez diversifié d’ailleurs et elle ne s’épuise pas, ce qui est assez prodigieux, reconnaissons-le. Et je ne dis pas ça parce que nous avons de la famille belge en commun…
Quels livres as-tu lu d’elle et as-tu lu son dernier ?
J’ai beaucoup aimé ses premiers romans de par le souffle qu’ils portaient et le ton novateur, en particulier « Hygiène de l’assassin », « Les Catilinaires », puis suivirent « Attentat » et « Stupeur et tremblements » qui avaient déjà perdu de leur spontanéité (mais la transcription de l’ambiance dans le monde de l’entreprise japonaise à cette époque était très justement décrite, il est vrai) et enfin « Métaphysique des tubes » qui n’était plus qu’une machinerie bien huilée mais sans la moindre émotion. Après ceci, je me suis abstenu de la lire, considérant qu’elle ne faisait que reproduire une pale copie de son génie initial. Mais rien que de très normal en somme, on ne peut écrire des milliers de lignes par an sans s’essouffler et tomber dans la facilité d’une mécanique.
En résumé, oui Amélie Nothomb été un très grand écrivain, un météore, ce qui n’est pas rare dans le milieu. La Reine est morte, vive la Reine !!!
Quand au buzz (au sens propre su mot), je pense qu’il y a bien longtemps qu’il a été supplanté par les nombreuses campagnes des presse.
Amicalement,
Monster
Après ceci, je me suis abstenu de la lire, considérant qu’elle ne faisait que reproduire une pale copie de son génie initial. Mais rien que de très normal en somme, on ne peut écrire des milliers de lignes par an sans s’essouffler et tomber dans la facilité d’une mécanique. ))))))) Voilà des propos sensés ! Mais à ce qu’il paraît ce nouveau roman est excellent, je vais donc tenter le coup 😉
ah ok dc c’est plus le nothombien déçu que l’anti-nothombien qui parle ! Il y a plusieurs facettes chez cet auteur : les oeuvres plus fantasmagoriques et d’autres plus réalistes, plus ou moins réussies et appréciées par les lecteurs.
Pour ma part je préfère les deuxièmes. Toutefois j’ai remarqué, en discutant avec des lecteurs "nothombiens" que les "préférés" n’étaient jamais les mêmes d’un lecteur à l’autre…
Sinon concernant le buzz des lecteurs autour d’Amélie Nothomb, j’ai l’impression qu’il est toujours très fort et qu’il ne s’épuise pas à ce que je peux en juger sur le Buzz littéraire (en terme de consultations).
A savoir s’il est désormais davantage porté par le personnage d’Amélie Nothomb en elle même qui fascine que par son oeuvre…, je ne saurais le dire… Un mix des deux à mon avis !
Pour ma part "Stupeur et tremblements" est un petit chef d’oeuvre. J’ai beaucoup aimé sa langue sans fioritures qui tombe toujours juste. Son art de dire beaucoup avec peu (très japonais en somme) et son sens de la mise en scène.
Alexandra j’ai suivi tes conseils et je viens tout juste de finir "Stupeur et tremblements" que j’ai acheté ce week end. C’est génial ! J’ai pas arrêté de rire ! Un bon ptit roman, quoique la critique de la société japonaise y est plus que virulente. Je me demande comment le roman a été acceuilli là-bas…
mon passage préféré :
"- Y a t-il beaucoup de… gens comme vous dans votre pays ?
J’étais la première Belge qu’elle rencontrait. Un sursaut d’orgueil national me poussa à répondre la vérité:
– Aucun Belge n’est semblable à moi.
– Cela me rassure."
J’ai aussi lu Clair de Femme de Romain Gary sous le conseil d’un ami, et c’est magnifique, époustouflant. Il me tarde de lire d’autres romans de lui.
J’ai lu le "Journal d’un étudiant japonais à Paris" de Christophe Léon et j’ai aussi (mon dieu comme ce fut douloureux…) lu le Nothomb. Il n’y a pas photo. Franchement, entre C. Léon, inconnu mais brillant et particulièrement diabolique dans sa narration, et A. Nothomb, il existe un monde qui s’appelle… la littérature.
Le premier écrit un roman intelligent. la seconde une énième parodie d’écriture. Quitte à choisir, autant lire le "Journal…"
Whaa ! ça me fait super plaisir ce que tu me dis (enfin un livre qu’on a aimé toutes les deux !). Ce qui m’impressionne dans ce livre, c’est que c’est vraiment simple et pourtant super fort. Il y a le film aussi si tu as l’occasion… Il est assez fidèle au livre mais pas mémorable pr être honnête…
Francis, pourrais tu nous en dire un peu plus sur « Journal d’un étudiant japonais à Paris » puisque tu as pu lire ce roman. Merci !
Je copie-colle le message reçu par e-mail d’un jeune auteur, Didier da Silva, qui se fait connaître à vous, lecteurs :
« Découvrant votre post du 9/10 sur "Japon et rentrée littéraire", je me permets de vous signaler, histoire d’étoffer votre dossier, la parution de mon premier roman, Hoffmann à Tôkyô, chez "Naïve fictions". Comme il fait partie de la rentrée littéraire et qu’il se passe au Japon, je ne crains pas d’être hors sujet…
Hoffmann à Tôkyô est le récit du séjour que fait au Japon, au mois de juin 2003, un jeune Français légèrement dépressif, de ce qu’il y sent et de ce qu’il y voit. Il s’appelle E.T.A Hoffmann, comme le romantique allemand, et comme lui c’est un musicien peu satisfait de son quotidien (il perd son temps en petits boulots alimentaires et sa création n’avance pas) ; fasciné de longue date par la culture nipponne, il part sur un coup de tête, à cause du CD d’une chanteuse traditionnelle :
« Ernst en fut ensorcelé et, malgré lui, désengourdi. Il y avait un morceau, surtout, dont il ne pouvait s’arracher, et c’était le chant des pluviers. Il l’écoutait vingt fois par jour. Le pluvier est un oiseau, il vit au bord de l’eau. Un syllogisme peut-être enfantin et certainement désespéré lui fit faire sa valise : cette musique l’avait réveillé, le Japon l’avait engendrée, au Japon était son salut. »
Le livre, ou le roman (mais il y a peu de rebondissements, et quasiment pas d’autres personnages que ce voyageur solitaire), est constitué de vingt-neuf brefs chapitres, munis de titres (« Peu me chaut la réalité », «Le jardin féerique », « J’ai toujours vécu là », « L’aurore à Minato »), qui sont autant d’instantanés, rêveurs ou cocasses, de ses humeurs et de ses déambulations, dans cette ville où « coexistent, pacifiés, le néon Sprite et l’idéogramme séculaire, l’hystérie consumériste et l’ambigu sourire princier d’une lycéenne translucide ».
Un dernier extrait donnera peut-être une idée de son ton ; page 50, Ernst se trouve au bord d’un étang, dans un parc :
« La distance ? L’air ? L’anonymat ? Par quel mystère son accablement devenait-il un mystère plus grand ? S’il n’était qu’une pauvre merde, comme il l’avait pensé quelques semaines plus tôt, il l’était encore, ici même. Mais non. Il souriait. Il sentait ses orteils fichés dans la terre, l’odeur de l’herbe, tout le traversait, il était vivant. Juger sa vie ? Quelle étrange idée. Il ne valait pas grand-chose, mourrait sans rien laisser. Et puis après. Il aurait au moins vu des carpes scintiller dans l’obscurité. »
C’est un roman initiatique, si vous voulez, sauf que son héros ne rentrera pas meilleur ou plus fort. Il aura simplement vécu une exquise parenthèse, dans un suspens de ses névroses et de ses ruminations, et dans une « hébétude inattaquable » aggravée par le jet-lag et le manque de sommeil ; idéalement le lecteur aura partagé cette sensation de flottement, et entraperçu, au travers de descriptions que j’espère aussi concises que précises, cette ville surprenante qu’est Tôkyô. »
Vous pouvez lire aussi un extrait par ici :
blog.lignesdefuite.fr/pos…
Lignes de fuite qualifie ce premier roman de « délicat et impressionniste, entre drôlerie et contemplation, de la manière dont un narrateur parvient (en dépit d’un manque total de méthode) à dissoudre sa déprime dans un Japon plus rêvé que réel. »
(enfin un livre qu’on a aimé toutes les deux !) )))) c’est exactement ce que je me suis dit ! 😉
Pour répondre à Alexandra : "Le journal d’un étudiant…" est un récit de ses expériences que fait de façon tantôt hallucinatoire, tantôt réel, tantôt "trafiquer" Tarô, étudiant japonais, qui vient en France pour suivre soit disant des études. L’auteur nous fait passer d’une narration à une autre, allant du récitatif, au journal, au thriller, en passant par des notations littéraire (Dazaï par exemple). Le tour de force est dès la première page de nous mettre dans un état d’inconfort incroyable. Ce jeune étudiant est-il un cannibale qui mange ses conquête ? Un écrivain ? Un rescapé d’Hiroshima ? Etc. C’est vraiment un livre à part, intelligent et très intéressant. Je trouve que ça nous sort des éternels clichés sur le Japon et sa culture et nous tire d’un point de vue purement littéraire vers une qualité d’écriture rare de nos jours. Bref, comme vous le voyez, j’ai beaucoup aimé…
Merci !
et autre question inévitable Francis : pourquoi as tu détesté le "Ni d’Eve, ni d’Adam" ? 😉
Tout simplement parce qu’elle n’écrit plus (si tant est qu’elle ait écrit), ses deux premiers romans n’étaient pas terribles mais faisaient penser qu’elle pourrait écrire un jour une "vraie" fiction et pas ces choses formatées et commerciales pondues à heure fixe. Bref, un écrivain de gare à lire dans le train entre un mauvais sandwitch SNCF et un voisin qui ronfle.
Mais qu’est ce qui a bien pu te pousser à la lire sachant que tu as l’air de n’avoir jamais apprécié son travail ??
Disons qu’il m’arrive de recevoir de services de presse et d’y jeter un oeil. Dans le cas du "Journal d’un étudiant…", je l’ai reçu, ai lu les premières pages et me suis laissé prendre aux fil des lignes.
Pour Nothomb, je garde un petit espoir que cette fois-ci, c’est la bonne… Pour l’instant, toujours déçu. Et puis, j’applique la meilleure façon de lire ses livres: en diagonale.
J’admets aussi pouvoir me tromper et la lire des fois que…