En 2006, âgé de 46 ans, Frédéric Boilet décide de revenir avec L’apprenti japonais sur sa découverte riche en surprises et coups de coeur pour son pays d’adoption. Et nous fait partager sa passion pour ce peuple étonnant et ses charmantes habitantes… L’apprenti-japonais retrace donc comme son nom (inspiré de la jolie formule de Dominique Noguez) l’indique douze années « d’apprentissage » au pays des tatamis et de Murakami. Un carnet de voyage vu de l’intérieur, léger mais non superficiel, loin des idées préconçues et des sentiers balisés touristiques… Passionnant et très attachant:
On a souvent cité le nom de Frédéric Boilet en 2006 car il a été le héros involontaire d’un petit roman graphique sulfureux ayant fait grand bruit l’été dernier. Frédéric Boilet avait en effet inspiré cet amant au « joujou extra » de l’insatiable et délicieuse Aurélia Aurita dans son controversé « Fraise et chocolat ». Mais il est aussi avant tout un talentueux dessinateur et scénariste, seul français (originaire d’Epinal) pouvant prétendre au titre de « mangaka », installé depuis 1994 au Japon, suite à l’obtention d’une bourse. :
« Les japonais sont en tout point pareils à nous, c’est leur façon d’être identiques qui change ! »
Sous la forme d’un journal de bord hétéroclite et ludique, il dessine par petites touches l’intérieur d’une ville à travers ses habitants et surtout habitantes, quartiers et lieux de vie (de la papeterie au restaurant karaoké en passant par la carte de métro ou encore le temple de Nezu…).
Un Tokyo du quotidien comme il le revendique. Un Tokyo intime et de l’anecdote en somme loin des parcours touristiques balisés ou des « français du Japon » (qu’il tient en horreur !) et finalement bien plus révélateur. L’apprenti japonais n’est donc pas une BD ou un roman graphique mais plutôt un recueil de notes et réflexions (parfois sur des petits détails très prosaïques tels que le coût de la vie à Tokyo ou le contenu d’un menu…), émaillé de photographies prises sur le vif, d’extrait manuscrit de son agenda et bien sûr de ses dessins. Une forme (qui n’est pas sans rappeler celle d’un blog finalement !) qui peut dérouter au début mais à laquelle on s’habitue très vite et crée une complicité avec l’auteur facétieux.
Gambaru (persévérer, persister), issôkemmei (avec ardeur) et doryoku suru (faire des efforts) sont parmi les mots que l’on apprend le plus vite en venant au Japon.
Divisé en quatre chapitres, il évoque tout d’abord son installation dans la capitale à l’occasion d’une bourse de manga qu’il a remportée. L’occasion de rompre avec quelques clichés comme le métro bondé (uniquement aux heures de pointe comme partout !) et dévoiler quelques saynètes ou dialogues du quotidien sur en vrac, la crêpe Suzette à la japonaise, les marchands de tôfu (pâte de soja), de perches ( !) en bambou, les yataï (petites baraques ambulantes qui font office de bistrot nomade dans la rue), la passion de la sieste des japonais, le minutieux rituel du thé, la fête du Tanaba et ses lampions colorés, la censure des scènes sensuelles dans les films ou encore les réflexions truculentes de sa jeune amie Kaoru (et future épouse) qui inspirera l’héroïne de la manga qu’il prépare « Tokyo est mon jardin » telle une nuit où elle compare le ciel à… un planétarium (le ciel étant habituellement blanchi par les néons). Il s’extasie également sur l’honnêteté des japonais qui peuvent laisser fenêtres et porte ouverte de leur domicile sans craindre aucun vol ! Il nous entraîne ainsi dans les célèbres quartiers de Tokyo de Ginza à Shibuya… ou nous parle de la saison des pluies, des typhons, de sa peur du Tsunami…
« D’après Kaoru, on dit au Japon que le premier amour est un souvenir doux-amer, et que le premier baiser a un goût de citron. »
Amusant, il rapporte également la perception des japonais à son égard. Il est souvent comparé à Alain Delon ou à Jean Marais ou moins flatteur les Japonais le prennent toujours pour un touriste américain (« Pour la plupart des japonais, la France est une province d’Amérique ! »).
« Un bonheur est que les japonaises font, elles-aussi, très souvent la sieste. Il est très agréable de s’asseoir en face d’une japonaise assoupie dans le métro, on peut observer son balancement de droite à gauche, d’avant en arrière, et le doux relâchement de son corps et de ses jambes… Mais il est encore plus agréable de s’asseoir à ses côtés : il n’est pas rare que sa tête vienne doucement se poser sur votre épaule. Ou presque. »
Une chance : les « Gaïjin » (étrangers) occidentaux, synonymes de romantisme et de passion, ont en général beaucoup de succès : « Quelle japonaise n’a pas rêvé d’être serrée dans les bras d’un Jean-Marc Barr ou d’un Christophe Lambert ? » En apprenant qu’il n’est pas marié, sujet de grande surprise, ses amis font tout pour lui organiser des rendez-vous avec de jeunes célibataires, peu farouches. Un thème qu’il approfondit dans la deuxième partie en s’attardant sur son sujet de prédilection : les japonaises dont il est grand admirateur et dont il parle si bien de leur beauté et de leur charme. Il s’étonne (et se réjouit !) en particulier de leurs approches entreprenantes. Ces révélations n’auront pas manqué de lui susciter un courrier abondant de la part des lecteurs désireux de savoir « comment rencontrer des japonaises »…
« Les japonaises ont un secret, c’est leur nuque. On ne dira jamais assez de bien des nuques. »
En témoin privilégié (et séduit), il les observe, les photographie et les dessine sans se lasser dans la rue, dans les restaurants italiens de spaghettis, salons de thé ou métros… De nombreux croquis de visages féminins jalonnent ces notes : petit nez épaté, lèvres ourlées et sages carrés noirs lisses, tour à tour rieuse ou rêveuse… Il les compare parfois à des chats ou des hérissons ! « Elles vous regardent droit dans les yeux en souriant, sont pleines de jambes, savent faire mille choses de leurs doigts, partagent toujours l’addition au restaurant, ne vous prennent pas de haut et ne débarquent pas avec leurs problèmes comme les Françaises, sont là sans bouger avec l’air de vous attendre, sont toujours d’accord pour faire l’amour, s’extasient au moindre mot gentil ou quand vous leur tenez la porte… » Pourtant en dépit de toutes leurs qualités, les Japonais préfèrent la compagnie des professionnelles. Ce qui lui fait s’exclamer : « Les Japonais ne méritent pas leurs Japonaises ! » Il survole aussi le thème des « Love hotels » et leur folklore précieux et kitsh où les couples se retrouvent pour faire l’amour. Un univers qu’il explorera en détail dans son album « Love hôtel ».
Les deux derniers chapitres, un peu moins intéressants sont consacrés à la jeunesse Tokyoïte : les kogals délurées et insouciantes qui s’habillent en mini-jupe rose, sac Vuitton hors de prix, « loose sock » ou encore imprimé panthère, usent et abusent du téléphone portable dans Shibuya, se font prendre en photomaton illustré ou encore participent à des cosplay (concours de costume de personnage de manga). Une vie débridée avant de devenir de sages « office ladies »…). Pour finir il traite du monde vu du Japon avec des reproductions de ses dessins de presse pour un grand journal japonais l’Asahi Shimbun (de la guerre en Irak à l’élargissement de l’Union Européenne en passant par la réélection de Poutine…)
Avec beaucoup d’humour et de vivacité, Frédéric Boilet nous fait découvrir son Tokyo particulièrement humain et touchant. On a tout simplement envie de réserver ses billets et de l’appeler à l’arrivée comme guide de cette ville aux mille facettes !
Lire aussi : la chronique de son album « Elles » consacré aux japonaises
A voir : le site officiel de Frédéric Boilet
1 Commentaire
« Les japonaises ont un secret, c’est leur nuque. On ne dira jamais assez de bien des nuques. »
Étonnant mais une nuque peut-être très sensuelle