Avant que ne se referme l’année 2007, il faut absolument vous parler (même si c’est avec près de 8 mois de retard hélas !) de ce petit recueil publié par les éditions Verticales à l’occasion de la date anniversaire de leur création. « Qui est vivant ? » : la question sonne comme un sujet de bac philo. C’est pourtant celle qui a été posée à la centaine d’auteurs publiés depuis 10 ans par l’exigeante maison d’édition. Régis Jauffret, François Bégaudeau, Chloé Delaume, Arnaud Cathrine ou encore Arno Bertina… : chacun a livré, dans ce recueil éponyme (distribué gratuitement dans les librairies) sa réponse, tour à tour érudite, décalée ou poétique sur cette identité du « vivant ». Hétéroclite et très intéressant !
Michel Houellebecq essaie de « rester vivant » dans son recueil de poèmes éponyme tandis que Philippe Djian dit dans l’un de ses romans (37°2 le matin) qu’il écrit pour essayer de « se sentir un peu vivant ».
Pourtant le vivant c’est tout l’inverse. L’écriture, ainsi que la lecture, ne sont-elles pas les activités les plus mortifères qui soient ? C’est un peu ce que traduisait Yann Moix dans son roman « Anissa Corto » : « Je me cultive. Il faut se cultiver. C’est un moyen, sans vivre, de continuer d’exister. S’oublier dans des vies : Clémenceau, Raspoutine, Chaplin. Lire des biographies. Se diluer dans des destins. Se perdre enfin. Existences étrangères. Elles sont, elles aussi, remplies de drames et de souffrances qui dépassent la réalité. (…) S’oublier la vie dans l’exégèse, la spécialisation la plus poussée, s’érudire dans le marginal, faire profession du détail. Voici je crois le meilleur moyen de se suicider sans mourir. Mettre mon existence entre parenthèses. Donner le relai à quelqu’un d’autre en moi. Le même, mais sans l’espoir ni la sève, le même mais avec du passé, à la place de l’avenir. »
Olivier Adam écrivait, lui, dans « Falaises » : « Et si la vie n’est rien d’autre que ce fil ténu qui nous rattache les uns aux autres, le mien était définitivement déficient, fragile et glissant, comme rongé par le sel. »
Voici quelques extraits par ordre de préférence de ce recueil si jamais vous ne parveniez pas (plus) à vous le procurer :
Régis Jauffret au sommet : « Le temps est un attentat »
« Nous ne sommes pas contemporains, nous ne sommes contemporains de personne, nous vivons dans un temps qui nous appartient, qui nous contient comme le fourreau de notre peau. (…) Ma vie unique comme celle des autres, ma vie qui s’oublie elle-même au fur et à mesure, les souvenirs sont des escroqueries, ils recèlent des évènements qui n’ont jamais eu lieu. Les souvenirs sont des églises, ils ne sont pas plus reliés au passé que les crucifix à l’au-delà. »
« La naissance, sortie du conduit, injection officielle dans le temps. Marseille, midi, 5 juin 1955, et la boîte qui m’attend déjà là-bas, la bouche ouverte. Le couvercle claquera, je quitterai, vissé dedans mon domicile, ce sera peut-être cet appartement, un autre, une maison, il y aura toujours des murs, un plafond, le temps partout comme une nuée d’insectes. Le domicile, la niche, l’abri, rempli de temps qui s’accumule, bombe prête à exploser, à vous faire sauter à tout moment. Le temps est un attentat. Le temps est un attentat, le temps est un attentat, le temps est un attentat qui défigure, rend infirme, et tue tendrement comme une explosion. »
« Le vivant n’est qu’un perpétuel mouvement vers la prolifération. », de Fabre d’Eglantine cité par Mathias Enard
« Ecrire pour certains procède d’une faille, d’une lézarde, d’une zébrure dans le tissus même de la vie. Ces instants éclairants que je viens de vivre, ces personnages hauts en couleur que je viens de rencontrer, cette scène spectaculaire à laquelle j’ai assisté… tout se passe comme s’ils n’étaient pas pleinement achevés. Pour qu’ils le soient, il leur faut encore un écho, une réplique, la projection de ce qu’ils sont sur un autre écran. Comme si la vie possédait en elle-même un défaut essentiel, et que seule la réplique de certains de ses fragments pouvait dissiper ce sentiment… Celui qui tente d’écrire n’est donc pas plus vivant que les autres ; à tout prendre il le serait un peu moins, car ce défaut c’est aussi le sien. (…) Par l’écho qu’il tente de donner à la vie, il ne veut pas surpasser les autres, mais simplement les rejoindre – car il a tendance à supposer qu’ils habitent simplement, directement, ce lieu de vie qu’il s’efforce d’atteindre par littérature interposée. » Jean-Luc Giribone
« Nous dirons qu’un vivant saura tantôt goûter, tantôt gloser, sans que l’un ne chasse l’autre. » Ludovic Hary
« On oublie si facilement, si doucement qu’on est vivant.
Qui est vivant est toujours en désespoir de l’être. Etre vivant c’est se dire qu’on ne tient à rien, comme rien ne tient à vous, que la vie est à tout instant revisitable. C’est accepter d’être à nu, dépossédé, à vif. Là. Soudain. »
« Mais ici la vie est étrange, presque absente, nouée dans le grand organisme de la foule, qui produit du mouvement, mais pas de l’existence. » Jane Sautière
« La vie authentiquement vécue est incompatible avec l’économie et les systèmes de gestion qui la rentabilisent. L’affection, la jouissance, la créativité, la solidarité se donnent et ne s’échangent pas. » Raoul Vaneigem.
Un dialogue philosophique signé François Bégaudeau :
« Au tout début il n’y avait que des vivants, puis il y eut des morts et ce fut moins bien. Jeanne se demanda comment cela se faisait qu’il eut des morts. Elle le demanda à sa mère. Qui lui dit que c’était ainsi, tout le monde mourait un jour ou l’autre. – C’est comme ça, tout le monde meurt un jour ou l’autre, dit sa mère. – Sinon on serait trop de gens sur la Terre, ajouta son père en coupant du pain. Jeanne se retira de table et courut jusqu’au fond du jardin où l’arrêta un mur. Et pleura d’avoir à mourir un jour ou l’autre, et un mardi ce serait encore pire. – Si tout le monde meurt, tout le monde est déjà mort, dit-elle en reprenant sa place à table, et la télé donnait la météo du lendemain, du soleil partout après des brumes matinales. – Non, dit sa mère – Il y a des vies qui sauvent de la mort dit son père en coupant la tarte.»
Arno Bertina :
«Le corps où circule un fluide pulsé par un cœur (Homme, tigre et pingouin) ou par un curieux mouvement en direction de ses terminaisons (racines, feuilles et fruits). Le corps qui a les yeux sur ce mouvement à l’intérieur de lui, qui cherche (Homme, tigre et pingouin) et se faufile (racines et feuilles). Le corps qui a les yeux sur ce mouvement à l’extérieur de lui, dans l’intérieur des autres, et qui se bat pour ne pas l’empêcher (Homme, tigre et pingouin).»
Chloé Delaume :
« Le tambourin du pouls il ne faut pas s’y fier c’est juste pour le folklore. La chair est à l’ennemi, ça fait longtemps déjà. »
Vous pouvez télécharger le texte d’Arnaud Cathrine ici
2 Commentaires
le jauffret est une reprise, il doit toujours y avoir un site flash qui traîne au coin du web deux point zéro
Si François Bregaudeau était un pays, ça serait la Belgique, parce que c’est tout plat et ça n’est pas prêt de changer, à l’évidence… Foot, Musique, télé, comment être aussi ennyeux avec des mots ?