Les écrivains seraient-ils en panne d’inspiration ? C’est la question que l’on pourrait se poser face au ras-de-marée (oui c’est peut être un peu exagéré mais quand même !) de détournements littéraires : remake, pastiche, parodie ou « remix », qui sont publiés ces derniers temps (il faut aimer…). C’est Pascal Fioretto qui a ouvert le bal lors de la rentrée de septembre 2007 avec son caustique (annonce-t-il) « Et si c’était niais » qui a connu un buzz non négligeable. Le principe ? Ecrire en 11 chapitres une histoire en forme d’enquête policière loufoque, menée par 11 plumes françaises différentes parmi les plus célèbres, que l’on reconnaît aisément derrière leur pseudo : Denis-Henri Lévy (Barbès Vertigo), Christine Anxiot (Pourquoi moi ?), Fred Wargas (Tais-toi si tu veux parler), Marc Levis® (Et si c’était niais ?), Mélanie Notlong (Hygiène du tube (et tout le tremblement)), Pascal Servan (Ils ont touché à mes glaïeuls (Journal, tome XXII)) , Bernard Werbeux (Des fourmis et des anges), Anna Galvauda (Quelqu’un m’attend, c’est tout), Frédéric Beisbéger (64 %)… De l’avis d’une lectrice conquise, c’est le Werbeux et le Levis qui seraient les plus réussis (remarquez c’était pas bien difficile…).
En cette rentrée de janvier 2007, c’est Héléna Marienské, cette jeune auteur (prof de français, ça se sent du reste) au premier roman très remarqué en 2006, « Rhésus » (le récit décapant et satirique des dessous sulfureux d’une maison de retraite !), qui s’y colle avec « Le degré suprême de la tendresse« , un titre clin d’oeil à Dali qui utilisait cette expression pour parler du cannibalisme. Elle livre ainsi 8 nouvelles (qui revisitent toutes le même fait divers ayant marqué l’auteur : celui d’une jeune fille qui aurait tranché de ses dents le sexe d’un homme voulant la violer), « à la manière de » Montaigne, La Fontaine, Céline ou plus près de notre époque d’un Vincent Ravalec ou d’un Houellebecq.
Par exemple, pour ce dernier, elle imagine une sorte de biographie (à travers un double nommé « Pierre Hitkartoff ») où se mêlent des réminiscences de ces différents romans dans une joyeuse récupération avec une finesse toute relative… Comme le veut le genre on imagine, elle accumule les détails sexuels bien lourds (tel que le rêve de Batman à Pigalle) censés être drôles donc. Le tout assaisonné d’échangisme, supposé être la marque de fabrique de l’auteur, de lolitas de 16 ans et de « vieilles peaux », de film porno, de clonage, de scandale médiatique ou encore de thèses ou références encyclopédiques qui entrecoupent l’action de la nouvelle. On termine sur la « zizisection ». On est ainsi plus proche de la caricature que du pastiche a priori…
Des récits tour à tour « érotique » ou « déluré » qui n’hésitent pas à maltraiter les hommes (castration, etc. ndlr), selon le communiqué de son éditeur (Héloïse d’Ormesson).
Extrait « Restriction du domaine », à la manière de Michel Houellebecq:
« Evidemment, pour toute personne de sexe féminin ignorant les derniers soubresauts du petit monde littéraire parisien, il demeurait laid, vieillissant, affublé d’une queue d’une taille insuffisante. En l’absence de certaines informations, Pierre Hitkartoff était donc toujours un zéro sur le marché du sexe. Heureusement, beaucoup de femmes lisaient. Beaucoup de femmes étaient seules aussi, tout cela était favorable.«
Découvrez « Le degré suprême de la tendresse d’Héléna Marienské »
Claro, réputé pour ses traductions émérites des oeuvres anglo-saxonnes les plus ardues (de William T. Vollmann à Thomas Pynchon en passant par Marc Z. Danielewski, ou Hubert Selby Jr…), a eu envie de rendre hommage à sa façon à la mythique (et typiquement française !) « Madame Bovary » de Gustave Flaubert, « l’inventeur du roman moderne », à travers son nouveau roman à paraître début février : « Madman Bovary« . Le pitch : Le personnage-narrateur tente de conjurer sa rupture avec une certaine Estée et cherche un dérivatif à son absence. Encore sous le choc, il se jette dans la lecture compulsive de « Madame Bovary ». Ce livre, il l’a déjà lu et relu, à tel point qu’il s’y sent presque chez lui. À peine entré dans la salle de classe du premier chapitre, il s’y promène, il s’y démène, avant de s’y dissoudre et bouleverser ainsi la structure du roman, devenant le double tyrannique et schizophrène de l’auteur. Il inventera dés lors à Emma Bovary des mœurs trash et au très guindé Charles des orgies de cocaïne. Et revisite ainsi d’une façon burlesque, pathétique ou déjantée toutes les scènes-clés du roman (du banquet de mariage au suicide d’Emma à l’arsenic).
A son sujet Claro nous confiait : « Je voulais imaginer un narrateur qui se perd dans un roman, dans sa lecture, non pour en devenir un personnage, jouer les Zelig, mais pour en parcourir le mouvement de lecture. Lit-on pour s’échapper ou se retrouver? La question est banale, mais non dénuée d’intérêt. On lit toujours les livres dans certaines circonstances, certains états, donc avec des motivations autres que celles d’un lecteur idéal. Comment lit-on quand on est amoureux, triste, désespéré, etc? Imaginer un lecteur déçu par l’amour lisant « Madame Bovary » était une façon de poser l’équation. » (interview complète de Claro à suivre).
C’est encore l’art du pastiche qui séduit Yann Moix (qui l’avait déjà pratiqué avec virtuosité dans son célèbre « Podium » avec des annexes et des annales universitaires entièrement reconstituées sur le thème de Claude François !). Cette fois-ci il s’improvise hagiographe d’Edith Stein (à qui il avait consacrer un (court) chapitre dans « Panthéon »), carmélite d’origine juive morte à Auschwitz et canonisée par Jean-Paul II. Cet obsessionnel né, a tout lu, relu et annoté de la vie et des oeuvres de Mme Stein. Il tente ainsi de comprendre, avec son cynisme provocateur habituel, qui était vraiment cette femme, quel était son engagement (« (…) Edith, dans un premier mouvement, très scolaire, commence par “penser” Dieu comme un sujet d’agrégation. Elle révise Dieu. Elle annote Dieu. Elle stabilobosse Dieu. Elle couche Dieu sur des fiches bristol. Elle veut qu’on lui pose des colles sur Dieu. Pour elle, Dieu n’est pas une énigme : c’est une interro. ») et interroge ce faisant l’identité juive et catholique, la valeur des religions, le sacré et le profane, la postérité versus l’immortalité et l’éternité, ou encore la foi et la fidélité religieuse…
Une phrase : « Israël est à la relativité générale ce que les États-Unis sont à la physique newtonienne : et la France à la physique aristotélicienne ! »
A propos d’Edith Stein : Née en 1891, à Breslau, dans une famille juive, Edith Stein fut, dans sa jeunesse, une des plus brillantes élèves du philosophe Edmond Husserl – puis, tentée par la foi chrétienne, elle finit par se convertir au catholicisme et se retira au Carmel sour le nom de soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix. C’est dans ce Carmel, en 1942, que les nazis vinrent l’arrêter, « en tant que juive ». Elle fut déportée et gazée à Auschwitz. En 1987, Jean-Paul II béatifia Edith Stein…
Enfin en octobre dernier, est paru le recueil « Des nouvelles de La Fontaine », où 18 écrivains contemporains, parmi lesquels David Foenkinos, François Bégaudeau et Stéphane Audeguy, s’emparaient des renards rusés, corbeaux naïfs, loups sans scrupule, lièvres suffisants et tortues laborieuses, afin de rendre hommage au grand fabuliste, Jean de La Fontaine, en imaginant une nouvelle à partir d’une morale extraite des Fables, « afin que le lecteur d’aujourd’hui puisse vérifier l’insolente modernité du sage de Château-Thierry », nous dit l’éditeur.
7 Commentaires
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Et que dire de Will Self et de son portrait revisité de Dorian Gray…
Bien vu ! Je l’avais oublié celui-ci, qui n’était pas une réussite si je me souviens des critiques de l’époque…
Possible, pas lu en fait, mais aime bcp le grand will (sa théorie quantitative de la démence notamment).
Amitiés,
J’espère que persone ne va pasticher Honoré d’Urfé…
Je ne suis pas d’accord avec toi, Alexandra : j’ai pris un réel plaisir à lire les pastiches érotiques de Héléna Marienské. Les pastiches de Montaigne ou de La Fontaine par exemple sont très réussis.
Vous devez déjà connaître mais j’ajoute à votre liste le pastiche de Fellacia Dessert : "La première gorgée de sperme", un érotique inspiré de "la première gorgée de bière" de P.Delerm.
www4.fnac.com/Shelf/artic…
En fait, c’est très personnel mais je ne suis pas amateur du pastiche littéraire et pas trop des remakes non plus. Au mieux ça ne me fait pas rire, au pire je trouve ça ennuyeux… En fait je préfère (re)lire l’original… Mais bon c’est très personnel, je crois que les lecteurs aiment bien ce genre d’exercice.
Pour en revenir au Marienské, je suppose que cela plaira sans doute aux lecteurs d’ailleurs pour le Nouvel Obs :" «Restriction du domaine» qui restera non seulement comme le meilleur pastiche de Houellebecq mais peut-être comme ce qu’il aurait produit de meilleur, s’il l’avait écrit."
Voilà donc hein… soyons fous ! 😉
Sinon je remarque que de très longs extraits du pastiche Houellebecq sont disponibles sur le site de Lire. Faites vous une idée !
http://www.lire.fr/extrait.asp/i...
(allez savoir pourquoi ils ont transformé son titre original "Restriction du domaine" en "Restriction du domaine de la bite"… mais bon passons 😉