La fascination pour son personnage de jeune fille puis de femme libérée et insolente, à la fois émouvante et mondaine, aimant faire la fête à Saint Tropez ou dans les caves de St Germain des près ou rouler à toute vitesse dans son Aston Martin, a beaucoup contribué à sa notoriété. Plus que son œuvre à proprement parler ? Sa vie particulièrement romanesque fera en tout cas l’objet (au printemps 2008 sur France 2) d’un téléfilm de Diane Kurys avec Sylvie Testud (incroyablement ressemblante) dans le rôle de l’écrivain qui sortira ensuite au cinéma sous le titre « Sagan ». Par ailleurs, deux nouvelles biographies/témoignages sur sa vie viennent aussi d’être publiés en cette rentrée 2008 (« Un amour de Sagan » d’Annick Geille et « Sagan à toute allure » de Marie-Dominique Lelièvre). L’occasion de revenir sur ce roman phare de sa jeunesse :
« Car que cherchions-nous sinon plaire ? »
« Bonjour tristesse » (titre envoûtant inspiré par le poème d’Eluard éponyme) a d’abord été remarqué par son caractère « scandaleux » pour l’époque (les années 50 où la pilule et la libération des mœurs n’existaient pas encore). L’évocation libre de la sexualité (bien que suggestive avant tout), la frivolité voire la « perversité » d’une adolescente (voire l’évocation en filigrane pour certains d’une homosexualité latente…) et une certaine arrogance dans le style de l’auteur ont été à l’origine de ses offuscations morales. Il apparaît aujourd’hui des plus « fleur bleu » et ne choque bien sûr plus personne, à l’heure d’une Virginie Despentes ou d’une Catherine Millet.
Contenant déjà tout l’univers et l’essence de Françoise Sagan (la vie facile, les voitures rapides, les plaisirs de la nuit, les belles villas, le soleil, un mélange de cynisme, de sensualité, d’indifférence et d’oisiveté), il raconte l’été tragique de Cécile, jeune parisienne de 17 ans et de son père à qui elle voue un attachement quasi fusionnel.
Le duo adepte de la vie légère et insouciante, s’offre des vacances sur la Côte d’azur, accompagné de la jeune (et un peu bécasse) maîtresse du moment de son père, Elsa. L’arrivée impromptue d’Anne, amie de la famille à la fois raffinée et brillante, viendra troubler le bonheur tranquille du trio en attisant progressivement jalousie, rancœur et manigance jusqu’au dénouement fatal…
Rondement menée cette brève histoire de jalousie et de vengeance a le mérite d’être parfaitement ficelée. Elle-même fait dire à sa jeune héroïne : « Nous avions tous les éléments d’un drame : un séducteur, une demi-mondaine et une femme de tête. » Sagan nous conduit insidieusement là où elle l’a prémédité et termine avec un certain panache son intrigue, en distillant une semi-tension tout du long. Au passage, elle brosse le portrait d’une certaine jeunesse féminine libre et sensuelle à l’« allègre inconscience », selon l’expression des critiques de l’époque, ainsi que la découverte de l’amour physique sans réels sentiments.
Le thème de « l’été cruel » est un classique romanesque que l’auteur revisite sans grande originalité si ce n’est son style fluide et évocateur (sa fameuse « petite musique ») basé sur des trios nominatifs : « La chaleur, l’étourdissement, le goût des premiers baisers passaient en longues minutes. » ou encore son art de la formule « Je connaissais peu de choses de l’amour : des rendez-vous, des baisers et des lassitudes. »
Elle recrée l’atmosphère estivale dans toute son insouciance et nonchalance délicieuses : le sable chaud, la fraîcheur de l’eau, la pinède embrasée, la « crique dorée » et ses « rochers roux »…
Se plaçant sous l’égide d’un Oscar Wilde (qu’elle cite : « Le péché est la seule note de couleur vive qui subsiste dans le monde moderne »), elle parvient à muscler (masquer ?) la minceur de son propos par un art de la mise en scène (s’attardant à décrire la gestuelle, les changements imperceptibles d’expression de visage) et du dialogue ciselé.
Ses chapitres sont comme des tableaux élégants qu’il s’agisse de la farniente sur la plage, aux cigarettes fumées sur la terrasse ou encore les sorties dans les casinos et clubs de St Tropez…
« Je me rappelle exactement cette scène : au premier plan, devant moi, la nuque dorée, les épaules parfaites d’Anne ; un peu plus bas, le visage ébloui de mon père, sa main tendue et, déjà dans le lointain, la silhouette d’Elsa. » La psychologie des personnages et leurs dilemmes bien que superficiels et basés sur les grands archétypes antagonistes (la légèreté des uns face à la discipline et la droiture de l’autre : « Elle fréquentait des gens fins, intelligents, discrets, et nous des gens bruyants, assoiffés, auxquels mon père demandait simplement d’être beaux et drôles. ») fonctionnent bien.
Quelles que soient ses qualités et faiblesses, cette œuvre a immédiatement été couverte de lauriers : elle serait remarquable par « sa modernité », sa spontanéité », « l’efficacité de son étude de mœurs » aux accents de « tragédie grecque » ou encore sa capacité à aborder en à peine 150 pages (édition de poche) « les fondamentaux de la condition humaine l’amour – la jalousie -la réussite, la rancœur – la vengeance mais aussi la liberté -le remords, l’égoïsme ou la mort » allant jusqu’à affirmer qu’elle a davantage « œuvré pour la condition féminine que le mouvement M.L.F ».
Des éloges qui peuvent tout de même étonner face à la simplicité de cette bluette que certains ont jugée digne d’un scénario des « Feux de l’amour »… Sagan fait illusion avec un certain charme mais il manque sans doute à sa prose la puissance littéraire d’une Colette, d’une Duras ou même d’une Violette Leduc (aujourd’hui) plus méconnue et pourtant autrement plus poignante.
A lire aussi :
Chronique de « Aimez-vous Brahms ? » de Françoise Sagan
Deux ou trois chose que l’on sait sur François Sagan :
Histoire d’un premier roman…
En 1951 elle est reçue au bac, avec un 17 sur 20 pour l’épreuve de français dont le sujet est: « En quoi la tragédie ressemble-t-elle à la vie? ». Elle s’inscrit à la Sorbonne et, pendant l’été 1953, écrit un roman en six semaines dans les cafés du boulevard Saint-Michel. Elle l’envoie à deux éditeurs, Plon et Julliard, mais c’est René Julliard qui est le plus rapide. François Le Grix, le lit en une nuit et sonne aussitôt le clairon : «Authenticité. Vérité totale. Talent spontané. Poème autant que roman. Aucune fausse note.»
C’est « Bonjour tristesse », tiré à plus de deux millions d’exemplaires. « La gloire, je l’ai rencontrée à 18 ans en 188 pages; c’était comme un coup de grisou« , racontera-t-elle plus tard. Par la suite elle rédigera pour le magazine ELLE une série de reportages sur l’Italie, qu’elle parcourut du Sud au nord. Ils étaient intitulés comme suit: « Bonjour Naples », « Bonjour Capri »…
Disparue en 2004 (âgée de 69 ans), l’auteur avait déjà rédigé son épitaphe au début des années 1990, pour le Dictionnaire des écrivains : « Fit son apparition en 1954 avec un mince roman, « Bonjour tristesse », qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également bâclées ne fut un scandale que pour elle-même. ».
L’adaptation ciné d’Otto Preminger avec Jean Seberg et Katherine Hepburn – 1958 :
Dans l’adaptation plutôt fidèle de Preminger (qui reprend la narration basée sur le flash-back), on ne ressent pas vraiment le dilemme de Cécile, sa bataille intérieure et les sentiments contradictoires qui s’affrontent en elle. Il n’y a pas vraiment de tension progressive ni l’émotion des sentiments exacerbés qui mènent au drame final. On s’ennuie passablement…
Jean Seberg, malgré sa beauté mutine, apparaît un peu trop lisse et sage et n’a pas le côté petit chat sauvage de Cécile ou une quelconque trace de « machiavélisme » (déjà très soft dans le roman).
Il tente d’ajouter quelques notes d’humour (dont on ne voit pas vraiment pas l’intérêt…) comme les gouvernantes successives qui se relaient de façon surréaliste (Léontine, Albertine…).
Outre les clichés, les acteurs américains emblématiques qui prétendent être des parisiens typiques ajoutent au ridicule… A la limite, il aurait mieux fallu transposer l’ensemble aux USA. Il n’en reste que la photographie (qui joue sur l’opposition des couleurs éclatantes et du noir et blanc) du film offre un superbe panorama de la Riviera ainsi que du Paris chic des années 50. A noter l’apparition de Juliette Gréco qui interprète de sa belle voix grave la chanson « Bonjour tristesse » composée par Arthur Laurents.
En revanche, l’adaptation de son 7e roman « La chamade » traduit mieux le charme de son écriture avec une Catherine Deneuve en lumineuse femme-enfant égoïste et entretenue par son amant, confrontée au choix entre l’amour véritable et les facilités matérielles d’une vie oisive dorée… [Alexandra Galakof]
L’écrivain Nina Bouraoui à propos de « Bonjour Tristesse » :
« Lecture marquante de ma jeunesse, première lecture dans son édition originale qui appartenait à ma mère; pour cette scène, immense, d’une jeune fille, assise sur un escalier de pierre, qui n’arrive pas à allumer sa cigarette; c’est toute l’émotion de l’adolescence, toute sa fragilité aussi, ce sont tous mes voyages amoureux dans le sud de la France. Il y a comme un double. J’ai souvent pensé que nous avions pris les mêmes chemins, que nous avions eu les mêmes serrements de cœur, ceux de l’âge tendre et si cruel aussi. »
* Lire aussi :
L’analyse critique de La chamade de Françoise Sagan
Françoise Sagan vue par Frédéric Beigbeder
et aussi… Le biopic sur Françoise Sagan ne convainc pas la critique par son absence de dimension littéraire
7 Commentaires
Passer au formulaire de commentaire
Une merveille d’équilibre et de style, ce roman. Une merveille tout court, d’ailleurs.
Plus qu’une "petite musique" (qu’on attribue généralement à Céline), j’ai trouvé dans Bonjour Tristesse une "petite fragrance", une manière de senteur dans le style, quelque chose qui chatouille les narines, plutôt. Il y a comme un mélange de crème solaire et de sel marin, dans l’air de cette hisoire, dans le style sensuel de l’auteur…
Il faut lire aussi *Des bleus à l’âme* (plus ré-édité mais à trouver chez les bouquinistes ou sur e-bay) et *Avec mon meilleur souvenir* (des portraits très vivants de ses plus grandes rencontres).
chère alexandra.
Sans le savoir je crois que tu tournes autour du génie de Sagan : effectivement si on se tient à l’histoire tous les Sagan sont confondants de pathétique (peu d’enjeu, pas d’action, un seul milieu) sauf que justement c’est Sagan qui écrit et que uniquement pour ça, tous ses textes tiennent debout par magie.
Sagan a découvert la magie fragile d’un écriture sensuelle et envoutante, je pense qu’elle pourrait écrire le botin en restant fascinante (au sens propre de fascinant, quand on reste figé devant un objet sans pouvoir bouger).
bref pour faire court, oui pour moi c’est une de mes influences majeures déjà parce qu’elle démontre que finalement "l’histoire" n’a pas forcement une place essentielle dans un roman… Ce qui ouvre pas mal de portes finalement…
Pour finir comme strangedays, je pense qu’on reconnait une grand auteur à l’odeur de ses pages: si ellis sent le poppers et la coke, houellbecq la javel et le chlore des endroits stérile ou toute vie est impossible, céline la cendre et le goudron, mauriac les pins et la terre mouillée disons que sagan sent la bergamote et le lila, une petite odeur fine, délicate et rare…
Enfin voila quoi, pour finir mon passage préféré de bonjour tristesse est quand elle se lève et qu’elle mange un orange sur la terrasse au soleil, je trouve ce passage totalement parfait (on sent le soleil, l’engourdissement du sommeil chassé par l’acidité du fruit…)bref…
amitiés
yann
Mais qu’est ce qui vous fait croire que je n’aime pas Sagan ?
Je ne suis juste pas « émerveillée » par sa plume même si je reconnais qu’elle a un style singulier.
Après avoir vu à la télévision la série SAGAN, j’ai une réelle envie de me procurer son premier livre :
BONJOUR TRISTESSE. J’ai été impressionnée par la série, ce qui mm’a donné envie de lire son roman.
Dans le lot, où vivait Françoise Sagan, on est toujours un peu triste de l’absence de considération des élus pour Madame Sagan. Certes au niveau national LE Président l’aimait mais dans le département nous regrettons l’absence d’espace Françoise Sagan…