Parmi les 500 pages foisonnantes et haletantes du roman culte de Bret Easton Ellis, American psycho, voici une petite sélection de 5 scènes et répliques (un peu inhabituelles de celles retenues ordinairement du livre) qui interpellent plus particulièrement par leur humour (ultra-noir et cynique), étrangeté, originalité ou puissance émotionnelle… Extraits :
« Aucune drogue, aucune nourriture, aucun alcool ne peut apaiser la voracité de cette douleur ; tous mes muscles sont raidis, tous mes nerfs en feu, incendiés.«
La scène du Réveillon de Noël (réplique des nains): Située au milieu du livre, cette scène intervient alors que Patrick Bateman nous est déjà bien connu. Elle fait écho à la scène d’ouverture (le dîner mondain chez Evelyn) et souligne le déséquilibre du héros et ses difficultés à le maîtriser même en public.
Après avoir égorgé un couriser japonais, Bateman se rend dans un état (plus que) second à la réception toujours organisée par Evelyn :
Réplique : « – Bien que je ne puisse affirmer qu’il ne s’agit pas là d’une hallucination-, il me semble bien apercevoir des nains vêtus de costumes de lutins, verts et rouges avec bonnet de feutre pointu, se promener avec des plateaux d’amuse-gueule. »
(…) « Après avoir bu mon 2e verre de champagne, je passe au double Absolut, et, suffisamment calmé, examine la pièce avec plus d’attention. Les nains sont toujours là. »
Un peu plus tard, il parviendra à convaincre sa petite amie Evelyn de quitter la réception malgré ses protestations et à l’embarquer dans une dérive nocturne aussi glauque que drôle :
Réplique cocaïne :
« Déjeuner avec Bethany » (l’ex amour de fac de Bateman qui lui parle de son nouveau fiancé et possibilité de mariage…):
Extrait du dialogue : – « Comme je te le disais Patrick – elle me jette un regard faussement méchant, qui me donne la nausée – tu dois bien savoir comme moi que, disons, le temps ne nous attend pas. Rien n’arrête la fameuse horloge biologique. (Mon Dieu, me dis-je, et il ne lui faut que deux verres de chardonnay pour en arriver là ? Quelle lavette.) Je veux avoir des enfants, ajoute-t-elle. »
Scène du pain de désinfectant (chapitre « Autre nouveau restaurant ») :
A l’occasion d’un dîner avec sa petite amie Evelyn, Bateman lui offre un dessert un peu spécial : un pain de désinfectant volé dans un urinoir recouvert d’un mauvais sirop au chocolat (en ayant pris soin que son verre d’eau soit vide au moment de la « dégustation » de son « cadeau »).
Extrait dialogue :
– Tu n’en prends pas ? demande Evelyn avec anxiété. Fébrile, elle tourne autour du pain de désinfectant enrobé de choclat, la cuillère brandie. « J’adore le Godiva« .
– Je n’ai pas faim, dis-je. Le dîner m’a… rassasié.
Elle se penche, humant le pâté ovale et marron puis, reniflant quelque chose (…) me demande, soudain désemparée : Tu… tu en es sûr ?
– Oui, ma chérie, dis-je. Je tiens à ce que tu le manges. Ca n’est pas énorme.
Elle prend la première bouchée, mâchant consciencieusement, avec un dégoût immédiat et évident, et l’avale. Elle frissonne, fait la grimace, tentant néanmoins de sourire, tout en mordant de nouveau dedans, du bout des dents.
– Comment est-ce ? Vas-y, mange. Il n’est pas empoisonné ni rien, fais-je, l’encourageant.
Elle parvient à pâlir encore (…)
– Quoi ? fais-je, un large sourire aux lèvres.
Qu’est ce qu’il y a ?
– C’est tellement… Son visage n’est plus à présent qu’un masque grimaçant, supplicié. Elle frissonne, tousse. « … plein de menthe » conclut-elle, tentant néanmoins de sourire avec délectation, ce qui s’avère impossible.
(…) A mes yeux elle a l’air d’une énorme fourmi noire – une fourmi noire en Christian Lacroix- en train de dévorer un pain de désinfectant, et je manque d »éclater de rire…
Chapitre « Dîner avec ma secrétaire » : l’invitation de sa secrétaire (Jean, folle amoureuse de lui) au restaurant :
Extrait dialogue :
– Aimeriez-vous dîner avec moi ? fais-je, le regard toujours fixé sur les mots croisés (…) Enfin, si vous ne… si vous n’avez rien de particulier. »
– Oh non, répond-elle trop vite (…) Je n’ai rien de prévu.
– Eh bien quelle coïncidence, dis-je, levant les yeux et baissant mes Wayfarers.
elle émet un rire léger mais qui traduit une urgence (…)
– Bien, où pourrions-nous aller ? me renversant en arrière, j’extrais le Zagat du tiroir supérieur du bureau.
Elle demeure silencieuse, efferayée de dire une sottise (…) et suggère enfin d’une voix hésitante : Où vous voudrez…
– Non, non pas question, fais-je en souriant, feuilletant le petit guide. (…)
– Oh Patrick, soupire-t-elle. Je ne saurais pas quoi décider.
– Allons… où voulez-vous dîner ? C’est vous qui décidez. Vous n’avez qu’à parler. Je peux nous faire entrer n’importe où.
Elle réfléchit un long moment (…) : Pourquoi pas au… Dorsia.
je cesse de feuilleter le Zagat, et sans lui accorder un regard, l’estomac soudain retourné, je me pose quelques questions : Ai-je vraiment envie de dire non ? Ai-je vraiment envie d’avouer que je ne peux pas nous faire entrer là-bas ? Suis-je vraiment préparé à cela ? (…)
– Biiiiiiien, fais-je reposant le guide, puis le reprenant d’un geste nerveux pour trouver le numéro. « Donc Jean veut aller au Dorsia… »
– Oh, je ne sais pas, dit-elle confuse. Non, nous irons où vous voudrez.
– Mais le Dorsia c’est… parfait, dis-je négligemment, composant vivement les 7 chiffres maudits d’un doigt tremblant, essayant de garder la tête froide.
Au lieu de la tonalité occupée à laquelle je m’attendais, la sonnerie résonne effectivement, et au bout de deux secondes, j’entends la voix hargneuse que j’ai appris à connaître, durant les 3 derniers mois.
– « Le Dorsia, oui ? » crie la voix. (…)
– Oui auriez-vous une table pour deux, ce soir, dans, oh, disons 20 minutes ? fais-je consultant ma Rolex et lançant un clin d’oeil à Jean, qui paraît impressionnée.
– Nous sommes complets, crie le maître d’hôtel, arrogant.
– A neuf heures ? C’est parfait, dis-je.
– Nous n’avons pas de table ce soir. (…)
– Très bien, à tout à l’heure, fais-je en raccrochant (…)
Jean reste plantée là, devant le bureau perplexe.
– Oui, fais-je me dirigeant vers le porte-manteau (…)
Elle demeure un moment silencieuse. « Vous n’avez pas donné votre nom. » dit-elle enfin d’une voix douce.
Scène des cartes de visite :
Parmi les scènes de conversation entre yuppies, on trouve de nombreuses perles, celle de l’exibition de leurs cartes de visite respectives est particulièrement hilarante.
Scène la plus gore :
Le choix est difficile… Bret Easton Ellis est allé loin dans la description réaliste des sévices infligés par Bateman à ses victimes, au point que la lecture des scènes de violence reste souvent insoutenable.
La plus vicieuse et horrifique est peut-être celle du rat, talonnées de près par celle du meurtre de l’enfant dans un zoo (où il jouit notamment du désespoir de la mère) ou encore la scène de cannibalisme… On n’en retranscrira pas d’extrait ici toutefois à noter cette chute qui illustre combien l’auteur glisse du registre horrifique à celui de la comédie avec une aisance déconcertante.
Après avoir fait cuire la tête de sa victime au micro-ondes, il tente de confectionner une « saucisse » avec sa chair (chapitre « Où l’on tente de faire cuire une fille et de la manger. »), puis se met à sangloter tout en continuant malgré tout son « oeuvre » :
« Déjà les asticots se tortillent sur la saucisse humaine, et la bave qui s’écoule de ma bouche goutte sur eux ; je ne sais pas trop si je prépare cela correctement, parce que je pleure trop fort, et que je n’ai jamais vraiment fait la cuisine auparavant. »
Dans le même registre, à noter aussi cette remarque à propos de l’agression d’une jeune SDF dans la rue : « Je l’ai dérouillée à mort. (…) Elle avait fait une faute à détresse. »
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