A l’occasion des « spécial Cloclo » qui fleurissent sur tous les écrans pour commémorer le 30e anniversaire de la disparition du chanteur qui aura traumatisé des milliers de fillettes ayant eu le malheur d’être baptisées « Alexandra » dans les années 70 et 80…, voici un extrait du fameux roman « Podium » de Yann Moix (une histoire déjantée au pays surréaliste des « sosies professionnels » de Claude François, succès ciné de l’année 2004 avec Benoît Poelvoorde). Il y imagine notamment avec la minutie et l’humour (noir) qui le caractérise, les « dernières heures de Claude François ». Il reconstitue quasiment minute par minute, qu’il étire sans fin, son dernier (mythique) bain avant de se rendre à une émission TV de Drucker… Un bel exercice de style littéraire sur une pop icone hautement romanesque ou quand la fiction dépasse la réalité…
« Claude adore les bains. il s’y sent en sécurité. Sa mousse est un bunker (…) L’odeur du bain moussant l’apaise. Les bulles lui rappelle les 100 000 bulles de savon qui s’étaient envolées pendant les rappels de ce concert mythique de Marseille, salle Vallier, lorsque, voulant conjurer le sort, il avait joué à l’endroit même où 3 semaines plus tôt il était tombé en syncope sur scène.
De temps en temps, Claude jette un œil sur la pendule murale. Il est en train de vivre les dernières minutes de sa vie mais il ne le sait pas, ces minutes-là sont semblables à toutes les autres, elles sont faites de la même matière que les minutes normales, elles ont la même tête, possèdent la même durée que les minutes de ceux qui ne vont pas mourir. C’est le même sablier qui les remplit, les vide. Mais devant l’Eternel, ces minutes contiennent 1200 concerts donnés jusqu’à ce qu’évanouissement s’ensuive, 42 705 colères piquées, 14 000 nuits passées à pleurer dans les bras de blondes aux yeux bleus, 784 costumes de scènes taillés sur mesure, 45 clodettes bientôt plongées dans le noir (…) Ce sont des minutes gonflées de sang, de sueur et de sperme. Elles racontent les accidents, les détours, les erreurs et les morts frôlées, quand la vraie mort, la seule qui compte, s’annonce, dans sa banalité trompeuse, dans la même baignoire que d’habitude, presque dans la même eau, bien qu’on ne s’y baigne jamais deux fois paraît-il, dans la même salle de bains, avec dehors le même soleil qui brille sur les mêmes briques immuables, ces briques de toujours, qui abritèrent ici, avant que Claude n’en fasse son refuge, un couple dont la femme dépressive s’était taillée les veines, dans cette même baignoire, située dans cette même salle de bains, par un jour semblable où cette même lumière jaune provenait d’un soleil jumeau.
Soudain il constate une imperfection dans l’installation électrique. Un détail qui cloche, c’est l’univers tout entier qui déraille. Un dérèglement imperceptible pour nous, c’est pour Claude la fin du monde. L’applique de l’ampoule située juste au-dessus de sa tête n’est pas droite : si on ne fait pas quelque chose et immédiatement, c’est une journée de travers, elle aussi, qui va s’annoncer, une émission avec Michel Drucker qui elle-aussi sera bancale.
Claude est contrarié : il va falloir faire un effort surhumain, s’arracher à la tendresse tendre et maternelle d’un bain chaud, abandonner momentanément le pays des bains moussants aux senteurs de bonbon pour pénétrer dans un monde d’adultes et d’électriciens.
Cette ampoule est une injure à l’ordre de l’univers. (…) il se peut même que ce soit le plus grand effort qu’il ait eu à fournir de toute sa vie. Les 100 000 kilomètres par an, les galas, les fans en délire, les couchers à 6h du matin réveillé à 8h en tournée ne sont rien comparés à ce que va s’imposer à lui-même le très maniaque, François, Claude, né le 1e février 1939 à Ismaïlia : s’appuyer sur les poignées d’argent de la baignoire, étirer les muscles de ses cuisses, puis, d’une traite lutter contre la pesanteur et le ridicule en se retrouvant habillé de mousse comme dans la robe déchirées d’une jeune mariée. Et pourtant, il va l’exécuter ce mouvement. Il le sait. Il ne sait que ça. (…)
Ca lui gâche son instant infini, son azur, ce soleil de printemps précoce, ça lui gâche la beauté de sa femme et ses rêves d’Amérique (…) On ne reçoit pas 300 lettres d’amour par jour pour se laisser damer le pion par une ampoule électrique. »
(etc, etc… jusqu’à l’issue fatale, sur une dizaine de pages quand même !)
4 Commentaires
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le prénom, c’est le premier postiche ridicule dont l’existence vous affuble.
postiche ou pastiche ?
(tu m’expliqueras)
Sinon que penses tu de cet extrait ?
je serai curieuse d’avoir ton avis, même si comme toi je suis plus "picaldienne" (j’ai récupéré un doc sur RJ, tu vas être vert !) pr reprendre ton expression que "claudienne", je trouve que Y.Moix fait preuve d’une belle créativité littéraire dans cet extrait et dans ce livre de façon générale !
heu, bof pas grand chose. Mais bon il avait assuré la promo de Jauffret à la télé alors qu’il était encore presque pas connu donc c’est surement un type bien.
C’était en 2001 je crois, j’étais déjà überfan, adolescent, avec les posters dans la chambre et tout. Je me souviens que Moix avait tourné un compliment boursouflé du genre "dans la littérature française il y a eu proust, céline et maintenant jauffret". Ca m’a paru un peu injurieux de comparer jauffret à ces écrivains de second ordre.
Pour en revenir à Podium… bon tu sais ces histoires de groupies ne m’intéressent pas vraiment. C’est un peu loin de moi on va dire…
Je ne savais pas que Moix admirait le travail de Jauffret et ça ne me surprend pas.
Je m’explique : comme Jauffret, Moix est un grand malade au sens positif du terme. C’est un obsessionnel, un vrai maniaque et c’est tout simplement jouissif !
Il est capable d’écrire des pages sur un détail, sur une sensation, d’aller creuser le truc sous toutes ses profondeurs et ses strates. Cela peut énerver mais d’un point de vue littéraire c’est vraiment intéressant. C’est un vrai styliste systémique lui aussi même si ses thèmes sont différents.
Bon pour en revenir à notre extrait, je te rassure je ne m’intéresse pas spécialement aux "histoires de groupies", mais faut-il s’arrêter au thème d’un livre pour y trouver ou non de l’intérêt ? L’intérêt là c’est vraiment le traitement, la forme (même si le fond, l’histoire tient aussi la route), ce qu’il a réussi à faire à partir de cette histoire de sosies, de folie dans l’amour démesuré porté à un être.
Cet extrait illustre bien ce qu’il s’est amusé à faire, à pasticher, à détourner, en explorant tout cet univers de dingue ! C’est un peu comme qd B.easton Ellis (on y revient !) s’amuse à décrire, avec tout son sérieux ironique, l’œuvre de N.Huston, etc ds A.P.