« Le désir d’une trêve, (…), aucune lecture ne l’exauce jamais. On avale les potions de l’encre, chaque jour un peu, pour faire tomber la fièvre, on l’aggrave en fait. » écrivait Christian Bobin qui manifestement ne croit guère aux vertus thérapeutiques de la littérature. D’autres pensent au contraire que la poésie a par exemple des vertus d' »antidépresseur » ! Et Montesquieu notait dans ses Pensées diverses : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. »
Stéphanie Janicot, responsable des rubriques littéraires du magazine « Muze » (Bayard presse) et par ailleurs auteur d’une dizaine de romans (‘Les « Matriochkas », « La Constante de Hubble »…), livre, elle, une sorte d’ordonnance littéraire, « 100 romans de première urgence pour (presque) tout soigner ». Ou comment trouver remède avec la littérature… Après Lucia Etxebarria (qui fait d’ailleurs partie de sa sélection) qui nous livrait ses réflexions pour « ne plus souffrir par amour », elle s’amuse ici à prescrire pour chaque « symptôme » (enfance difficile, amour malheureux, handicap, pauvreté, maladie, etc.) un roman permettant de le traiter. Un livre concept (et un site qui l’accompagne intitulé de l’éloquent « Lire guérit ») qui, s’il a le mérite de l’originalité sur sa forme déçoit un peu sur le fond.
« Savez-vous que pour ce même prix (8 euros), vous pouvez obtenir des centaines de phrases, voire des milliers ? Il vous suffit pour cela de trouver le roman (en livre de poche de préférence) adapté à votre problème. Et, croyez-moi, il en existe toujours un car il n’est pas un problème sur cette Terre qui n’ait été expérimenté par un écrivain et relaté sous la forme d’une bonne histoire. C’est pourquoi, pour le prix d’une seule phrase d’un psychanalyste inconnu, je vous propose tout un roman – concentré de connaissances, d’émotions et de pensées intelligentes – écrit par un écrivain illustre.« , peut-on lire dans la préface de l’ouvrage. Une proposition qui résume bien le concept du livre.
Stéphanie Janicot propose au lecteur pour chaque problème rencontré son antidote sous forme de roman, soit que le héros ou l’héroïne qu’elle nous présente ait traversé la même épreuve, soit que l’analyse de ses déboires nous permette de trouver la solution pour s’en sortir.
Sans prétention, en recensant 100 titres de romanciers du XIXe comme du XXIe (Thomas Mann, Fatou Diome, ou encore André Gide, Lucia Etxebarria, Leonora Miano ou Ivan Nabokov…), en faisant appel à l’humour et à la légèreté, elle a souhaité rendre ainsi son hommage personnel à la littérature. Ainsi pour la maladie du « Je n’aime pas lire », elle prescrit « Madame Bovary », pour le « Je n’ai pas envie de travailler » c’est Bartleby de Melville ou bien encore « La conjuration des imbéciles » de J.Kennedy Toole, en cas de dépression « La cloche de la détresse » de Sylvia Plath ou encore pour les hommes impuissants « Le soleil de lève aussi » d’Hemingway (on aurait plutôt pensé à quelque chose comme « Lady Chatterley de D.H Lawrence » ou Anaïs Nin pour redonner un peu de vigueur…). Des choix qui peuvent surprendre, associés de commentaires pouvant laisser sur sa faim le lecteur mais qui pourront donner quelques pistes aux novices. On pourra lire également sur le même principe l’excellent « Livre de la sérénité ». [Buzz littéraire]
Buzz Littéraire : Comment vous est venue l’idée d’un tel recueil ?
Stéphanie Janicot : L’idée et l’envie de partager les bienfaits de la lecture, ne sont pas récentes. Il y a quatre ou cinq ans, une jeune fille handicapée m’a écrit pour me demander des lectures mettant en scène des personnages handicapés. L’idée a fait son chemin. Je crois qu’au-delà du plaisir de lire, la littérature peut soulager les maux, soit par l’empathie, soit par le recul, soit par l’absurde. Le but de ce livre n’était pas d’écrire une encyclopédie de la littérature ni d’évoquer les lettres de façon académique. Par ailleurs, je ne me sentais pas légitime dans le rôle de « celle qui sait », car je n’ai pas tout lu et j’aurais fait bien des oublis. La position de « celle qui lit » était plus naturelle pour moi. Depuis l’enfance, je suis une grande lectrice, cela m’a beaucoup apporté. Quatre romans ont largement influencé ma vie (voir « les bonus »). 100 romans de première urgence est donc un ouvrage humoristique et personnel écrit par une lectrice pour des lecteurs.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Dans un premier temps, j’ai listé les symptômes que je voulais traiter. Ce sont des souffrances, physiques, psychologiques, des difficultés d’ordre relationnel, professionnel que chacun peut avoir à affronter. Ensuite, j’ai cherché les livres qui pourraient apporter une aide, un éclairage ou une solution. Ayant travaillé seule, mes choix de références littéraires sont à la fois arbitraires et variés. Pour quelques livres, j’ai fonctionné à l’inverse, par exemple, pour La Storia d’Elsa Morante. C’est un roman que j’apprécie beaucoup et que je souhaitais voir figurer dans ce recueil. J’ai donc cherché à quel symptôme il faisait écho. Il apparaît dans la rubrique « j’élève seule mon enfant ».
Quelles parties ont été les plus plaisantes et les plus complexes à rédiger ?
Etrangement peut-être, des chapitres comme « je voudrais mourir » ou « j’ai assez d’argent pour ne pas avoir besoin de travailler » ou encore « je l’aime, il ne m’aime pas » ont été parmi les amusants à écrire. Soit pour le décalage que je me suis autorisée entre la thématique et le choix du roman, soit pour la variété des références possibles. En amour, il y a tant de cas différents qu’il existe un nombre infini de romans qui s’y appliquent. En ce qui concerne le désir de mort, je n’ai pas voulu rentrer dans un pathos collant, je l’ai traité par l’absurde, en réglant son compte au jeune Werther, de Goethe. Pour célébrer les bienfaits du travail, je m’en remets à Huysmans et son A rebours, qui démontre par l’absurde les dangers de l’oisiveté. Les amateurs de Huysmans sont si sérieux. C’était drôle de détourner leur héros à des fins un peu ridicules ! Sinon, aucune partie n’était vraiment complexe en soi. Mais la rédaction, après avoir déterminé la base, la grille des symptômes et les livres remèdes, représente un an de travail à peu près. Forcément, j’ai connu des moments de découragement.
Ne craignez-vous pas les remarques négatives (par exemple qu’il n’est pas, à proprement parler, de la littérature ni un travail de romancière) au sujet de votre ouvrage ?
Pour le moment je n’ai pas eu de telles remarques. Mais cela pourrait arriver si le livre rencontre un grand succès. Les pontes de la littérature ne manqueraient pas de critiquer mon livre, et sans doute à juste titre. Car ce recueil n’est en rien une Bible. Tant qu’il est pris pour ce qu’il est, c’est-à-dire un ouvrage léger et subjectif, alors il restera un livre qui fait du bien. Il n’est attaquable que si les gens le prennent trop au sérieux.
Quel est votre rapport à Internet ? Le Web a-t-il une influence sur votre écriture ?
Je ne tiens pas de blog. Je n’en ai ni le temps ni l’envie. En revanche, j’ai un Myspace que je consulte ponctuellement et, via Albin Michel, ma maison d’édition, un site m’est consacré : http://www.stephanie-janicot.com. Ce n’est pas moi qui m’en occupe. Le point positif avec le Web c’est la disponibilité des informations, la facilité de recherches. Il est alors possible d’aller vers des sujets que nous n’aurions a priori pas abordés, par manque de connaissances, de temps, par renoncement face aux complexités et charges de travail qu’exigent des enquêtes en bibliothèque par exemple.
Pour cet ouvrage, Internet offre des perspectives et des facilités de partage entre lecteurs passionnés. Lors de la rédaction de ce recueil, l’idée de créer en parallèle un site m’a très vite traversé l’esprit. Mon éditeur a accepté de le réaliser : http://www.lireguerit.fr. Je suis bien consciente de la subjectivité des mes renvois littéraires indiqués contre un symptôme. Avec cette page Web, tout le monde peut intervenir, évoquer son expérience. D’autre part, si j’avais été dans la position d’un lecteur face à mon livre, j’aurais sûrement aimé pouvoir témoigner à mon tour. Ma plus grande joie serait d’y voir fleurir des pharmacopées personnelles sur ce site. Pour le moment, je suis contente face à l’afflux de textes de la part des lecteurs.
Propos recueillis par Anne-Laure Bovéron et Laurence Biava, photo Anne-Laure Bovéron
1 Commentaire
*Ainsi pour la mal du "Je n’aime pas lire", elle prescrit "Madame Bovary"*
On frappe le patient avec le bouquin, c’est ça? 😀