Après « La belle personne » de Christophe Honoré, nouveau rendez-vous cinématographico-littéraire sur Arte ce soir à 21h avec la diffusion de « New Wave », film-livre de Gael Morel et d’Ariel Kenig. Depuis 2005, Ariel Kenig fait entrendre sa voix singulière au sein de la littérature nouvelle génération. Auteur protéiforme, il s’est déjà illustré au théâtre et en littérature à travers des écrits pour la jeunesse, essai engagé et bien sur ses romans qui explorent les affres de l’adolescence, le temps des amitiés, de la fascination, du rejet… Autant de chemins initiatiques qu’il dépeint dans « Camping Atlantic » puis « La Pause » (qui vient de paraître en poche) et aujourd’hui « New Wave ». Un roman à la genèse pour le moins original et l’occasion de confronter la première (ré-éditée en poche début 2008, J’ai lu Nouvelle génération) et la dernière parution d’Ariel Kenig.
Avec New Wave (aux éditions Flammarion) le jeune écrivain (de 25 ans à peine) revient au devant de la scène littéraire aux côtés de Gaël Morel, réalisateur et scénariste. L’histoire de ce roman, contée par le cinéaste en préambule, n’est pas banale.
Alors que le réalisateur avait tourné et montait son film, New Wave, Guillaume Robert, éditeur chez Flammarion tombe par hasard sur le manuscrit. Il contacte le père du bébé, lui propose une novellisation, c’est-à-dire l’adaptation de son scénario en roman. Une idée un peu saugrenue, de prime abord. L’inverse étant beaucoup plus courant. Et l’étonnement passé, la curiosité se trouve émoustillée par le projet.
Lors de leur rencontre, l’éditeur avait déjà un auteur en tête. Le réalisateur pensait lui aussi à une plume découverte sur le tournage même de New Wave. Heureux hasard, il s’agit de la même personne : Ariel Kenig, qui accepte la proposition. De là s’en suivent des rencontres, des discussions informelles, des compilations musicales des années 80 (des titres et des extraits de ces chansons amorcent d’ailleurs chaque nouveau chapitre du roman). Le romancier se met au travail. Gaël restera du côté des images. Ariel du côté des mots. Les deux ne se mélangeront pas.
Que conte New Wave ? Il s’agit de l’histoire d’Eric, collégien de 3e dans une ville de province. Peu doué en cours, peu entouré, il digère mal le départ pour l’armée de son frère, Fabrice, à qui il voue une grande admiration. La toile de fond du roman ? Le spleen de la campagne, la mélancolie de l’adolescence, le blues des années 80 où traînent les idées punk du « no futur » et de son inoubliable mode musicale : la New Wave. Entre rock et électro-pop, cette tendance d’alors était représentée entre autre par Depeche Mode, The Cure, Eurythmics, Indochine, Taxi Girl ou encore David Bowie (Une play-list est même présentée en fin de roman !)… Elle berce Romain, « le nouveau » de l’année qui débarque – et détonne – dans la classe d’Eric. Un autre solitaire en mal de grand frère, qui décide de baisser sa garde et d’initier Eric à son univers et à sa musique. Sauvage, fier, instable, Romain néglige par moment Eric qui ne sait comment réagir. En lieu et place de la colère ou de la mise au point, Eric ouvre les bras sans demander d’explications à chaque retour de son ami. Jusqu’au jour où l’un d’entre d’eux disparaît…
Ce roman est un pari périlleux, puisqu’Ariel Kenig, né en 1983, méconnaît ces temps là. Pourtant, il a su éviter les écueils et les clichés, se fondre dans une époque et en rendre compte avec subtilité. A la lecture, les années 80 se dessinent en filigrane et deviennent le fil conducteur mais invisible, d’un mode de pensée. Les portraits des deux protagonistes priment. Leurs relations aussi, tout comme leur qualité d’adolescent.
New Wave face à Camping Atlantic
A travers son premier roman, le jeune écrivain a dévoilé une plume mordante, corrosive, un regard désenchanté et sans concession. Le récit de l’amour fou entre deux frères que tout oppose, que les parents séparent depuis l’enfance, que l’envie de fuir et de se reconstruire à l’abri des horreurs du monde réunit, est dérangeant et par certains aspects agaçant. Déroutant par la violence, la radicalité des choix et des actes des frères et la révolte permanente que charrie Adonis, le protagoniste et narrateur de Camping Atlantic et son grand frère Nicolas. Irritant pour les mêmes raisons. Trop de violence et de haine crachée à la face du monde donne parfois la nausée. Mais ce n’est qu’une impression fugace.
Trois ans et trois romans plus tard, Ariel Keing s’est assagi. Toutes proportions gardées cela dit ! Car il n’a renoncé à rien, il a seulement affiné sa plume, son regard. Dans New Wave, Eric et Romain sont plus sages, plus subtils, moins frondeurs mais plus sensibles et réfléchis, plus hésitants aussi. Sa critique de la société, sans perdre de son acidité, se révèle plus profonde, plus souterraine et explose au terme du récit. Pourtant, malgré quelques facilités, une vulgarité qui parfois n’est pas justifiée ou justifiable, Camping Atlantic reste une bonne porte dans l’univers d’Ariel Kenig. Et sans doute, faut-il, pour découvrir cet auteur, commencer par ce premier roman.
Dans New Wave l’auteur revient aussi sur des thématiques déjà explorées dans Camping Atlantic. Notamment l’amitié entre garçons, avec tout ce qu’elle comporte d’admiration sans borne, d’émulation plus ou moins saine, l’initiation à la grise réalité de la vie d’un personnage par un autre, les relations familiales étouffantes, les envies d’émancipation et de liberté ou encore les relations entre grand frère et petit frère. Dans Camping Atlantic, l’éphèbe Adonis n’a d’yeux que pour son aîné Nicolas : « Je plaque ma joue sur les pectoraux de Nicolas. Ca colle un peu. Je ne dis rien. – Je t’adore. De ces phrases, je n’en redemande jamais. Je ne réponds rien. Pas de Merci, Toi aussi. Rien. Que Nicolas se contente de sa tendresse ; il le saura plus tard : elle me ravit aussi. » Ici, Eric s’en remet pudiquement à Fabrice, qui fait office de référence et de conseiller : « Certes la fin des vacances marquait chaque fois le recommencement d’une routine à l’abri des débordements paternels, mais le départ de Fabrice pour sa caserne compliquait les hypothèses. Son aîné ne lui servirait plus d’appui. » Ce dernier assure le rôle de passeur, entre la vie d’adolescent passif dans son collège et la vie qui tend les bras au futur lycéen. De soigneur également, pour panser les blessures de la complexe amitié d’Eric et Romain. Romain, qui lui aussi, admire son propre grand frère.
A travers ses deux romans, le premier paru et le dernier publié, c’est donc la plume d’un auteur que le lecteur a la chance de voir s’affiner. Son style gagne en intensité et en aisance à chaque publication. Ariel Keing confirme son statut de « romancier à ne pas perdre de vue » … [Anne-Laure Bovéron]
Extrait choisi de « New Wave » :
– Votre prénom ?
– Romain, dit le jeune homme sans prêter attention à la cérémonie.
– Romain Imbert ? vérifia Melle Colinot.
– Je me mets où ?
Stupéfaits, les rangs s’émerveillaient de cette intrusion nonchalante, car celui qu’on avait imaginé ne se crêpait pas les cheveux, ne se maquillait pas les yeux, ne dépareillait pas les lacets de ses Converses, et d’aucune façon la classe n’aurait également pensé qu’un nouveau se serait si peu soucié des usages. Romain n’a pas répondu à son nom.
– Vous semblez bien pressé pour quelqu’un qui arrive en retard… Où étiez-vous ? Vous revenez d’un bal masqué ?
– J’ai changé d’établissement pour pouvoir m’habiller comme je veux… C’est un collège public, ici, non ?
– Asseyez-vous au fond, abrégea-t-elle. Vous demanderez à votre camarade quelques conseils vestimentaires.
Melle Colinot regretta aussitôt sa maladresse : des rires avaient éclaté aux dépens d’Eric dont personne n’enviait le style.
Maintenant que Romain s’approchait de lui, elle redoutait de les voir assis côte à côte. Leurs différences n’admettaient aucune entente, mais lorsque Romain tendit sa main en direction d’Eric, la classe s’égosilla, éblouie par l’élégance et l’aplomb de son inattendu leader.
De son côté, Eric avait cessé de rougir. Intérieurement, il remerciait cet allié qu’il n’espérait plus. »
Extrait choisi de « Camping Atlantic » :
« A table, Nicolas se cure les dents à la fourchette. Des deux enfants de la famille, mon frère est le plus vieux – et le plus admirable en cela qu’il est le seul à ne pas me considérer. La serviette Vichy trempe dans le céleri rémoulade et je regarde ce fils de pauvre comme un allié. Un jour, je lui raserai ses pattes et retaillerai ses chemises. Je trouverai l’assurance, la hargne. Il faudra braver la misère, je ne lâcherai pas, ce frère ; il n’y a rien de pire que l’absence de combat. »
A découvrir également son deuxième roman « La Pause » qui vient de sortir en poche :
1 Commentaire
C’était sympa de découvrir vendredi soir, le film "New Wave" de Gaël Morel sur Arte dont est tiré le livre éponyme d’Ariel Kenig. Intéressant aussi parce que de cette manière on met le doigt sur les particularités de l’un par à rapport à l’autre. On plonge davantage dans la sensibilité de chacun, les thèmes qu’ils ont plus creusé, leurs regards sur une même histoire.
Mais je crois que voir le film avant de lire le livre est un bon exercice. On construit son livre de cette manière. Alors que dans l’autre sens on a tendance à comparer le film par rapport au livre, comme dans une adaptation classique qui finit toujours en "ah, je ne l’avais pas imaginé comme".