Flash-back surComment je suis devenu stupide de Martin Page, le premier roman qui l’a révélé, petit succès de 2001 au titre provocateur et accrocheur qui partage les lecteurs. Un récit initiatique aux accents philosophiques… (et regard rapide sur ses autres romans : « Une parfaite journée parfaite », « On s’habitue aux fins du monde »…), après la présentation de son dernier opus « Peut-être une histoire d’amour »,
« Aujourd’hui à 25 ans, espérant une vie un peu douce, Antoine prit la résolution de couvrir son cerveau du suaire de la stupidité. »
« Comment je suis devenu stupide ». Quel drôle de titre ! Quelle drôle d’idée de roman ! Il me fait penser à « Comment devenir parfait en trois jours » de Stephen Manes, un ouvrage de littérature jeunesse. En fait, l’intrigue du premier livre publié par Martin Page est plutôt simple. Antoine, un jeune homme de 25 ans, pense que « l’intelligence rend malheureux, solitaire, pauvre, quand le déguisement de l’intelligence offre une immortalité de papier journal et l’admiration de ceux qui croient en ce qu’ils lisent. » Antoine décide alors de voyager dans la stupidité et de s’abrutir, même s’il écrit dans son cahier que cette « Odyssée personnelle » se transformera en « un hymne à l’intelligence ». Martin Page n’est quand même pas stupide ! Reste à définir cette intelligence secrète, élective, une fois les épreuves passées. Peut-être justifiera-t-elle cette citation de Full Metal Jacket : « Je suis dans un monde de merde, mais je suis encore vivant et je n’ai pas peur. »
Mais avant de se résoudre, d’une certaine manière, à se lobotomiser, Antoine décide de devenir alcoolique parce que c’est une maladie plus honorable que l’intelligence ; d’après lui, plus socialement acceptée. Cette tentative se révèle être un échec : Antoine tomba « en plein coma éthylique » alors que « son verre de bière était encore à moitié plein. » Cela me rappelle le suicide raté et hilarant du héros Hector, dans « Le potentiel érotique » de David Foenkinos… En parlant de suicide, tiens donc, c’est ce que souhaite aussi accomplir Antoine, puisque sa vie n’est plus « qu’infinie torture.» Et là, il faut évoquer rapidement ce livre de Martin Page, « Une parfaite journée parfaite », publié aux éditions Mutine, où le héros ne songe qu’à mettre fin à ces jours, en lardant férocement le genre humain. Livre qui a des qualités mais dont le propos est trop amer pour ne pas être pesant.
Antoine veut « croire en la politique, acheter des beaux vêtements, suivre les événements sportifs, rêver du dernier modèle de voiture ». Il veut « être comme les autres », vivre « parmi eux, partager les mêmes choses », tout en avouant cependant qu’« une certaine asocialité [lui] semble toujours la chose la plus normale du monde ». Cette « asociabilité » est récurrente dans les récits de Martin Page, même si la misère des personnages est rendue légère et follement amusante. C’est la conséquence de son style « détaché » :
« Antoine ne se sentait pas l’âme d’un voleur, il n’avait pas assez de légèreté pour ça, aussi il prélevait seulement ce dont il avait besoin : une noisette de shampoing pressée discrètement dans une petite boîte à bonbons (…) ; prélevant sa dîme, il picorait ainsi quotidiennement dans les grands magasins et les supermarchés. De même, n’ayant pas assez d’argent pour acheter tous les livres qu’il désirait, et ayant observé l’acuité des vigiles et la sensibilité des portiques de sécurité de la FNAC, il volait les livres page après page et les reconstituait ensuite à l’abri dans son appartement comme un éditeur clandestin. »
Antoine va alors devenir un « connard », un « grippe-sou, égoïste, sans autre souci que l’argent, sans autre tourment et grande question existentielle que la façon d’en gagner le plus possible. » Et prendre de l’Heurozac ! Bien sûr, cette facile opposition bonheur véritable/bonheur dû à l’argent tourne un peu à la caricature avec cet épisode où Antoine travaille pour Raphaël, un ancien camarade qui a créé une société de courtage. Antoine s’embourbe dans le capitalisme, d’où une réflexion sur le sexe et sa libération, qui n’est pas sans rappeler « Extension du domaine de la lutte » de Michel Houellebecq.
Mais il faut bien qu’Antoine rencontre sa Clémence, dans la rue. Par hasard. Et c’est ça, finalement, l’intelligence louée et enfin acceptée par Antoine : l’esprit d’aventure. Le merveilleux quotidien surréaliste trouve dans cet amour de quoi naître et renaître sans cesse. Le dialogue entre Clémence et Antoine a cette grâce, cette théâtralité qui donne à la fiction l’horizon dont le lecteur a besoin et qu’il oublie parfois : vivre. On peut alors comprendre le titre Comment je suis devenu stupide d’une manière différente. La stupidité ne correspond pas à la fuite d’Antoine pour ne plus être malheureux. Elle est la condition pour être heureux. Il faut en quelque sorte se faire idiot. Heureux les simples d’esprit, n’est-ce pas ? Pas ceux qui font preuve de bêtise, bien sûr. Les simples d’esprit, eux, ne savent jamais rien, tout leur semble nouveau et unique. Beau. Et cette naïveté dans l’instant est la condition d’une perpétuelle reverdie, d’un émerveillement incessant.
Réfléchir juste un peu et comprendre ce qu’il faut pour aller au-delà des apparences, des clichés ou des caricatures. Comment je suis devenu stupide est un récit d’initiation, certes, mais surtout au cheminement dialectique. L’apprentissage d’Antoine passe par un rejet de ce qu’il est alors qu’il possède en lui le filon du bonheur. Il épuisera peu à peu cette tentation de devenir autre et accédera ainsi à lui-même, dans la réunion du « je suis » avec « ce qui est » comme l’écrit Michael Edwards, professeur au collège de France, dans son essai « De l’émerveillement ».
Cette belle joie, cet air de fête qui clôt ce récit m’a donné envie de lire quelques-uns de ses autres ouvrages. J’ai été un peu déçu. Il est parfois difficile de ne pas être déçu après une première rencontre, qu’elle soit littéraire ou non d’ailleurs, aussi je n’étais pas très objectif. Ne pas trop avoir d’attente, en somme. Voici cependant ce que je peux en dire, rapidement, avec le recul. « On s’habitue aux fins du monde » est un roman plus intéressant peut-être que Comment je suis devenu stupide, parce que ce dernier joue trop peut-être sur le motif de la stupidité et sur le rejet du mode de vie des autres. « On s’habitue aux fins du monde » est plus long, plus dense, plus romanesque aussi. « La libellule de ses huit ans » a quant à lui la particularité d’avoir pour personnage principal une jeune femme, Fio, ce qui n’est pas courant chez Martin Page. L’univers du récit est celui de la création picturale et du marché de l’art, mais Martin Page cherche toujours à équilibrer son héroïne. [Gwenaël Jeannin]
Réactions de Laurence Biava sur « Comment je suis devenu stupide » :
Ma réaction est plus épidermique encore que pour son roman « Peut-être une histoire d’amour »…
Les bons points
Je suis d’accord avec Gwenaël sur « la marque de l’impertinence mêlée de gravité ». C’est un pamphlet contre l’abrutissement de la vie moderne. Il pose aussi la question de la bêtise de l’intellectualisme qui juge et exclut, sans raison. Martin Page nous narre la pose d’un candide moderne, qui , comme le dit Gwenaël, se raconte entre lobotomie et société de consommation. D’accord. Antoine, est un jeune homme brillant, bardé de diplômes, -déjà !- mais figurez vous qu’il est pourtant malheureux.
A force de vouloir tout comprendre, tout analyser, tout saisir, il ne parvient pas à vivre spontanément. Ce livre est une riposte, une forme de revanche sur notre quotidien. Et ce n’est pourtant pas faute de manquer de recul ou de lucidité qu’après de vaines tentatives pour devenir alcoolique, et se suicider, -rien que ça ! – il entreprend alors de devenir stupide. Une manœuvre assez destructrice dans laquelle Antoine va, il le croit, tout de même, exceller. S’ensuivent, il est vrai, quelques pages jubilatoires et bien écrites où notre héros plonge peu à peu dans le puits sans fond de la bêtise. Il est concis, Martin Page, dans cette petite histoire imaginative, ce conte contemporain qui déplore la Crétinisation consciente, et réfléchie. Il y a des bons mots, et la traduction des situations cocasses m’a bien plu… L’ensemble est assez caustique et la société de consommation en prend –déjà -pour son grade. Les petites pirouettes littéraires abondent.
Les mauvais points
Gwenael écrit : « quelle drôle d’idée que ce roman ? » Je confirme ! L’idée de ce roman est obsolète ! il n’apporte rien, ne démontre rien.
Page accumule tous les clichés, c’est incroyable. On peut le lire à l’envers et en déplorer l’écriture !
Je me suis ennuyée à mourir. Cela n’a aucun intérêt de démontrer par le menu que pour être heureux, il faut s’essayer à la bêtise. Ou qu’il existerait une relation de cause à effet entre le fait d’être intelligent et cultivé et l’impossibilité d’être heureux !
Et puis, il n’est pas stupide d’être stupide. Il n’est pas stupide d’être alcoolique. Il n’est pas stupide de tenter de se suicider. Il n’est pas forcément stupide de consommer. Il n’est pas stupide d’être triste ou dépressif.
Qu’est ce qu’il nous raconte Martin Page ?? [Laurence Biava]
Paroles de l’auteur, Martin Page, sur « Comment je suis devenu stupide » :
« Comment je suis devenu stupide est mon huitième roman écrit, et le premier publié… C’est l’histoire d’un individu qui manque d’intelligence pour vivre et qui l’attribue à son Intelligence. L’idée est qu’il deviendra plus heureux en devenant stupide. (…) Le personnage d’Antoine, jeune étudiant de gauche, observe le monde et tente de le connaître sans prendre parti, sans porter de jugement. Par son côté un peu dépressif, c’est quelqu’un qui, à mon avis, à du mal à rentrer dans l’âge adulte : c’est son malheur, la société qui n’est pas belle, etc… Toute cette vérité l’empêche de faire partie de la société, en quelque sorte. Il ne fait partie d’aucun groupe, puisque les groupes se font souvent sur des choses qu’ils aiment ou n’aiment pas. C’est aussi ce qui le rend malheureux. A la fin il acquiert de la légèreté.
« Ce qui m’intéresse dans un bouquin en fait, même en tant que lecteur, c’est quand il y a un mélange d’humour et de choses un peu plus graves. Des choses de l’enfance, du cynisme, contrebalancé par un côté un peu plus candide, plus espiègle. Je suis un peu frustré quand je lis des romans français par le manque d’humour et d’imagination. » (extraits interview)
2 Commentaires
"pour être heureux, il faut s’essayer à la bêtise" => il ne tente pas de le démontrer
"il existerait une relation de cause à effet entre le fait d’être intelligent et cultivé et l’impossibilité d’être heureux"
=> l’analyse peut être prise de tête, or ceux qui analysent réfléchissent…
Et puis, il n’est pas stupide d’être stupide. Il n’est pas stupide d’être alcoolique. Il n’est pas stupide de tenter de se suicider. Il n’st pas forcément stupide de consommer. Il n’est pas stupide d’être triste ou dépressif.
===> Supide de se suicider, si ! Stupide d’être alccolique, si ! Stupide d’être dépressif : si ! Même si parfois les raisons en sont lourdes et graves, tellement graves qu’on se résigne. Stupide de ne pas réagir, de ne pas vraiment voulloir son bonheur. Si ! Mais l’alcool, le suicide, la dépression, sont des manières se se replier, de ne pas affronter.
Ce que veut dire Page en faisant de son personnage un apprenti alcoolique c’est que l’alcoolique est plaint et de ce fait il acquiert une existence. L’intelligent n’a pas le droit de se plaindre, il est asocial. Et il faut se suicider pour rentrer paradoxalement pour Page dans le giron de la société. Page ou l’art renversé…. (allez rapidement ce que je voulais depuis longtemps…)
ET PUIS DANS TOUT CA, reste à définir vraiment l’intelligence…. L’intelligence, c’est peut-être la faculté d’adaptation dans un milieu hostile dans lequel on arrive à rester vivant : debout !
Allez, Laurence, à très bientôt. Pardon. (Au secours ?) 🙂
((Ce que je voulais dire))