Interview de Denis Roulleau, auteur du « Dictionnaire raisonné de la littérature Rock » : « Le Rock est un matériau inépuisable »

Denis Roulleau vient de publier aux éditions Scali le « Dictionnaire raisonné de la littérature Rock », un pavé de près de 500 pages recensant et explicitant de nombreuses références mythiques de William S. Burroughs à Hunter S.Thompson jusqu’à Tom Wolfe… Plus méconnus, on y découvre Graham Greene qui a notamment écrit « Le rocher de Brighton » livre fétiche de Pete Doherty (à qui il rend hommage dans sa chanson « Love you but you’re green »), Woody Guthrie (« En route pour la gloire »)… ou encore la définition, un brin moqueuse du jazzy Boris Vian sur le rock’n roll… Par contre on regrette (ou on apprécie c’est selon) de trouver des références pas vraiment littéraires telle que Thierry Ardisson ou Antoine de Caunes et pléthores de magazines/fanzines et groupes mythiques du rock. En complément de notre article sur la littérature rock (litrock), nous avons posé quelques questions à Denis Roulleau sur la littérature rock en général et sur sa démarche éditoriale :

BUZZ… littéraire : Quelle est votre définition de la « Littérature Rock » ? N’est-ce pas juste une étiquette de plus ?
Denis Roulleau : Oui, c’est une étiquette de plus, comme celles du Nouveau Roman, de l’autofiction… mais derrière l’étiquette, il existe incontestablement un champ de l’écrit Rock qui regroupe des écrivains, des journalistes, des magazines, des livres qui s’inscrivent tous dans la même démarche par le style, le rythme et des références communes. C’est ce que met en évidence mon dictionnaire. A mon sens, la meilleure définition serait celle de Nik Cohn, auteur en 1969 du premier ouvrage « intelligent » sur le Rock : « La clé d’une écriture Rock se trouve dans une attitude, dans une certaine approche, plutôt que dans le fait d’écrire ou non sur le Rock ».

Existe-t-il, selon vous, une « french touch » de la littérature Rock ?
Oui, elle se distingue par son côté « intello » et analytique. Les français aiment décortiquer, les anglo-saxons sont, eux, plus directs et intuitifs, hormis des Greil Marcus ou des Simon Frith qui oeuvrent sciemment dans un registre universitaire. Les ouvrages de François Bon (quoi que l’on en pense !) sont symptomatiques de cette French Touch « verbeuse », qui a connu son heure de gloire dans les années 70, en grande partie grâce à Rock and Folk. Ne disait-on pas à l’époque : « les français n’ont pas de grands groupes de Rock mais ils ont les meilleurs Rock-critiques du monde ».

Quel est, à votre avis, l’avenir de cette littérature tandis que de nombreux jeunes auteurs tentent de s’en emparer, parfois un peu superficiellement (name-dropping…) ?
Le Rock est à la mode et il est normal que de jeunes auteurs l’utilisent comme trame romanesque. C’est un matériau inépuisable. Maintenant, il ne suffit pas de pratiquer le name-droping à outrance (n’est pas Bret Easton Elis qui veut) ou de s’emparer de Keith Richards sur 150 pages pour publier un livre dit « Rock ». Dans ce cas précis, remplacez le guitariste des Stones par le chanteur de Tokyo Hôtel et vous obtenez à peu près le même ouvrage. Le danger est là, que le Rock serve d’alibi littéraire à tout et à n’importe quoi.

Qu’est-ce qui a motivé votre démarche de rédiger un Dictionnaire de Littérature rock raisonné et quels sont vos auteurs de prédilection personnelle (expliciter les raisons) ?
J’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire. Pour moi, le Rock et la littérature sont intimement liés et se nourrissent mutuellement. L’objectif était triple : dresser un panorama le plus complet possible (même s’il a fallu faire des choix) de la littérature Rock sous toutes ses formes, dessiner en filigrane une histoire parallèle du Rock et rédiger un dictionnaire « sérieux » qui ne se prend pas pour autant au sérieux, grâce à de nombreuses petites anecdotes qui font aussi la grande histoire. A ce propos, il est intéressant de constater que les parcours de certains écrivains et rock-critiques n’ont rien à envier aux frasques des rock-stars les plus déjantées.

Quelques auteurs de prédilection : Philippe Garnier pour son sens de la digression jubilatoire, Patrick Eudeline pour sa plume à cœur ouvert, Nick Toshes pour son lyrisme érudit, Hunter S. Thompson pour ses divagations éclairantes, Murakami Ryû pour sa violence poétique et le trop méconnu Alexander Trocchi, mi-beat, mi-situationniste, pour son fantabulesque « le Livre de Caïn ».

A noter en complément l’ouvrage « Etre rock » aux éditions Tana (2007), signé Philippe Manoeuvre :
En clin d’oeil à cette fameuse question posée dans le courrier des lecteurs du magazine Rock & Folk, Philippe Manoeuvre a réuni 113 mantras de rockers des Who aux Stones en passant par Gainsbourg…, chaque rocker livre sa conception du business, du sexe, de la drogue… et du rock n’roll :
« La seule connerie que j’aie jamais faite avec les drogues, c’est de passer une frontière avec » – Hunter S. Thompson – 1987
« Il faudrait arrêter de confondre ce qui vend et ce qui est bien » Bob Dylan 2006
« Who the fuck is Mick Jagger ? » – Tee-shirt porté par Keith Richards, Rolling Stones Tour 1978
« Nous nous intéressons au chaos » Jim Morrison parle des Doors 1967

A lire aussi : « Rock et littératire : vrai genre littéraire ou (im)posture ?
et « Dictionnaire égoïste de littérature française », « Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs », « La littérature française pour les nuls » : que penser des bibles littéraires ?

2 Commentaires

    • folantin sur 30 octobre 2008 à 13 h 52 min
    • Répondre

    Je pense a cette injustice profonde qui sépare le rock critic du critique littéraire. Ceci que le premier fait son miel du seul fait d’être en situation d’exercer son activité critique. Ca se passe toujours dans le hic et nunc de telle salle de concert enfumée, tel jour si particulier ou l’ambiance était particulièrement électrique (l’ambiance y est toujours électrique, me demandez pas pourquoi).

    Pendant ce temps là, le critique littéraire va chercher son SP à la boite aux lettres. Tout ce qui peut lui arriver, c’est de croiser la concierge dans l’escalier.

    • folantin sur 30 octobre 2008 à 13 h 56 min
    • Répondre

    Je retrouve un vieux post de Naked City, du 10 octobre 2006 :

    "En prolongement de cette ouverture: je suis tombé sur le "roman" de Pacadis, pastille jaune chez Gibert, pas cher.
    Je vais lire ça, j’ai envie d’entendre une nouvelle fois ces histoires de grands mères, ces histoires de l’âge d’or. Comme celle que racontait pépé au coin du feu.
    Des histoires de Punk français, de vibrations dans les squats, de feuilles journalistiques percutantes, d’adoubement chevaleresque, Saxon et Français.

    Peut être se passe t il des choses passionnantes. Si passionnante que les privilégiés qui les vivent en gardent jalousement l’accès. A peine existent ils, ils sont si discrets. Et moi qui ne sais pas ou c’est.

    Non.
    Alexandre a conquis Bagdad à quoi… 21 ans? Avec ses 50000 fantassins grecs.
    A l’époque, le monde était moins complexe.

    No Future, ah ah, n’empêche Zermatti il est encore la, à faire peur aux enfants."

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